samedi 27 septembre 2008

Rubén Fernandez, comédien, San Carlos de Bariloche

Pour commencer, pouvez-vous vous présenter et nous raconter comment vous avez eu envie de faire du théâtre ?
Ouh, c'est long ! (rires) Bon avant tout, je me présente : Rubén Fernandez, ça fait plus ou moins vingt ans que je fais du théâtre, depuis le moment où j'ai commencé à étudier, ensuite j'ai joué, enseigné et fait de la mise-en-scène. Mes débuts sont en relation avec le jeu enfantin, ce désir d'être autre, d'être un pirate ou Superman. A partir de ce désir, j'ai participé aux activités scolaires, avec beaucoup de timidité, mais j'avais envie de le faire. J'ai mis beaucoup de temps à vaincre ces peurs. La situation du pays n'a pas beaucoup aidé. J'ai vécu mon adolescence pendant l'époque de la dictature et il n'y avait pas beaucoup, en réalité il y avait très peu même de liberté d'expression. On ne pouvait pas faire ce que l'on avait envie de faire. Tout ce qui avait trait à l'art était "persécuté" et il n'y avait pas de lieux pour développer notre art, surtout en ce qui concerne le jeu de l'acteur. Donc ça a mis du temps. C'est vers 22 ans que j'ai décidé que je voulais réellement jouer. La dictature était tout juste terminée et j'ai commencé à étudier. Après, je suis venu à Bariloche, à 1600km du centre de tout dans ce pays, et j'ai commencé à développer quelque chose, à donner des cours, à mettre-en-scène, à créer des troupes, et voilà, maintenant, je donne des cours et je joue de temps en temps.

Pouvez-vous nous parler du théâtre à Bariloche ?
Ici, le théâtre n'est pas précisément quelque chose qui attire les foules. Ce phénomène est amplifié par le fait qu'il n'y ait qu'un seul théâtre pour une ville de 140'000 habitants... Il y a parfois des lieux alternatifs qui émergent mais ils disparaissent aussitôt, parce qu'ils n'ont pas les moyens de se maintenir, car tout se convertit en quelque chose qui doit être "commercialement rentable". Par exemple ici-même (Biblioteca Sarmiento, seul théâtre de Bariloche, ndlr) il y a eu une tentative pour être rentable. Malheureusement, pour beaucoup de gens, tout passe par le côté financier. Comme nous nous ne nous dédions pas à cela, on ne sait pas trop comment s'y prendre. Le théâtre tombe là-dedans, non ? De quelle manière on peut survivre ? Donc parfois, ce qui manque, c'est l'expérimentation, chercher des choses nouvelles, trouver un langage nouveau. Il y a quelques essais, mais ils sont rares et durent peu de temps.
Mais il y a plusieurs types de théâtre. Généralement c'est plutôt de la comédie ou de l'humour parce que ça attire les spectateurs. Parfois, on veut mettre-en-scène une oeuvre d'un auteur universel, il faut alors voir de quelle manière on pourra payer les droits d'auteur. Et pour payer les droits, il faut calculer combien on peut espérer gagner pour que ça en vaille la peine. Il faut donc faire des choix, dont on n'est pas toujours content.
D'autres font de la création collective.

Quel type de théâtre défendez-vous ?
Je ne sais pas. Je n'ai pas un type. Ça me plairait de transiter entre tous les types de théâtre. Par contre, le théâtre commercial ne m'attire pas beaucoup, celui dont l'unique intérêt est de faire venir des gens dans les salles. Ce qui me plairait, c'est de réussir à tout conjuguer : que les gens viennent au théâtre avec quelque chose de bien, de qualité. Par exemple, l'humour peut nous faire réfléchir : à ce que nous sommes, à comment nous agissons. C'est le théâtre qui me plaît : le théâtre réflexif.
C'est la même chose quand je donne des cours, je ne me réfère pas à une seule technique, à une seule école. Mais je vois, j'essaie, je teste.
J'aime voir les progrès, voir grandir les gens.

Quelles sont vos méthodes de répétitions, comment travaillez-vous ?
Ça dépend des groupes. Ça peut être à partir de mouvements, d'improvisations ou de jeux. Il n'y a pas une forme, une méthode. Je fais aussi en fonction du type de personnes avec lesquelles je suis en train de travailler. Et après je vois ce dont j'ai besoin sur le moment, par rapport au texte.

Selon vous, existe-t-il un devoir de l'artiste de théâtre ?
Je ne sais pas. Je crois qu'on a tous un devoir envers son prochain, un devoir social. Pour moi, l'acteur a un devoir envers les autres tout comme les autres ont un devoir envers tous.
Il me semble que pendant des années, et encore aujourd'hui, il y a ce truc individualiste. Mais il me semble qu'une chose qui s'est perdue, et qui n'aurait pas dû se perdre, c'est cette attitude : "je suis avec des autres et je dois...", la convivialité. L'homme de théâtre doit répondre de cela, comme tout un chacun, comme le médecin, le vendeur, etc.

Le théâtre doit-il nécessairement être engagé ou peut-il être du divertissement pur ?
Ça me plaît toujours quand l'engagement a à voir avec cette recherche d'attirer les gens dans les salles. Le théâtre "engagé" finit par repousser les gens et par se regarder le nombril. C'est aussi bien que les gens rient, passent un bon moment.
Des fois, le mot "engagé" peut-être interprété comme quelque chose de pamphlétaire.
Moi qui travaille avec des ados, je le vois : parfois ils se rapprochent du théâtre en voulant qu'il soit engagé, ils s'ennuient et s'en vont chercher autre chose. Ce qu'ils voient ne leur plaît pas, ils trouvent que ce n'est engagé avec rien du tout et ils s'en vont, et on les perd en tant que spectateurs. Il faut donc bien se mettre d'accord sur cette notion de "l'engagement".

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Moi j'aime quand les gens sortent et continuent à penser à ce qu'ils viennent de voir. C'est un défi.
En tant que spectateur, j'aime parler de ce que je viens de voir, ne pas dire : "C'est fini, on va prendre un café et parler de foot". Qu'on puisse se dire : regarde comment nous sommes, les Argentins, qu'on puisse en rire.
J'ai vu un spectacle humoristique qui reflétait ce que nous, les Argentins, nous sommes, avec cette histoire de football, de café, la relation aux femmes aussi (rires). Les gens riaient beaucoup, mais quand ils sortaient, ils en parlaient et se disaient : "Regarde! Je suis comme ça!

vendredi 12 septembre 2008

Marcia Paredes et Paula Huerta : Teatro social SUYAI, Valdivia


Tout d'abord, pouvez-vous vous présenter et nous raconter comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
Marcia Paredes : Je m'appelle Marcia Paredes, je suis communicatrice sociale. J'ai eu l'occasion de faire du théâtre social au sein du service socio-éducatif - c'est le domaine qui m'intéresse le plus - et cela fait 5 ans que j'y travaille. En ce qui concerne le théâtre, cela fait 2 ans. Avec ce groupe SUYAI, qui fait du théâtre social.
Paula Huerta : Je m'appelle Paula, je suis actrice populaire, je fais partie de ce projet artistique, non pas par intérêt ou par nécessité de faire du théâtre, car dans un lieu comme celui-là, il y a d'autres priorités, survivre par exemple. Pour moi, cela passait en second, je n'étais pas l'une des premières à croire en ce projet, mais aujourd'hui, je crois que je suis la plus engagée. Cela a été fondamental pour me retrouver moi-même, mieux appréhender les gens qui m'entourent, et comprendre le sens de mon existence. Ma perspective a changé depuis que je fais du théâtre social. Ma réalité, aussi.
Marcia : J'ai oublié de t'expliquer ce qu'est le théâtre social, dont nous parlons ici. C'est parti d'un besoin et d'une envie chez les femmes du campamento d'avoir des espaces d'expression, de dialogue et de jeu, des lieux ou elles pouvaient apprendre à mieux se connaître. Et dans ce même "espace" est née l'idée de faire du théâtre. Et maintenant, grâce à l'expérience que j'ai eue en Espagne avec d'autres groupes qui travaillaient sur le même thème à travers le clown, le mime et différentes manifestations artistiques, j'ai découvert que le théâtre était une véritable arme de libération pour les communautés qui n'ont pas bénéficie de toutes les opportunités que le système pouvait offrir. Le théâtre surgit comme une nécessité d'expression pour ce monde-là, à la fois individuelle et collective. Et quand on leur a finalement proposé l'idée de faire des ateliers, on les a appelés "ateliers de croissance personnelle et collective", à travers le théâtre social que proposait notre intervention socio-éducative. Au début, il y avait une vingtaine de femmes, et peu a peu le groupe s'est un peu restreint, certaines se sont démotivées en route car c'est un processus assez long. Et maintenant, nous formons un groupe qui émerge peu a peu, qui est parti de ce théâtre social pour arriver à quelque chose de plus artistique. C'est un espace d'apprentissage et d'évolution pour tout le monde, parce qu'il est horizontal.

Comment travaillez-vous au sein du groupe SUYAI ? Quelles sont vos méthodes ?
Marcia : On a commencé a travailler à partir de trois choses : le corps, moteur principal de l'apprentissage, pour redécouvrir nos sens, les expérimenter, car à partir du corps tu génères d'autres sensations. Ensuite le cœur, car le jeu de émotions est le plus important dans ce contexte. Et enfin le jeu, par la parole, par les improvisations, etc ... beaucoup de monologues écrits par chacune, ou à partir de témoignages, et à partir de cette matière, on a construit une pièce. La première représentation de Historias sobre las tablas a eu lieu en 2006. Et à partir de celle-là, on monte celle qu'on travaille en ce moment. Le montage final contient 7 scènes, et dure une cinquantaine de minutes, et inclut des dialogues, des monologues, des jeux d'ombres, de la photographie corporelle, de la poésie, des images ... car finalement le corps nous a beaucoup aidé à exprimer des choses que la parole ne pouvait pas raconter.

Qu'est-ce qui a été le plus difficile dans ce processus, car au début vous étiez 20 actrices, puis plus que 6 ... ?

Marica : Euh ... (rires) Paula pourrait vous le raconter de son point de vue ... non ?
Paula : (rires) Bon. Il faut savoir qu'on se ressemble toutes sur beaucoup d'aspects, avec chacune notre évolution personnelle, et Marcia devait de son côté atteindre un objectif bien particulier ... on a été frustrées parfois de voir que sa partenaire ne s'engageait pas de la même manière que soi, mais la difficulté pour Marcia a été de nous faire comprendre que chacune était différente l'une de l'autre, et qu'il fallait le respecter. En plus, les conditions de travail n'étaient pas idéales : le climat, l'infrastructure, deux d'entre nous on dû changer de campamento, ce qui a rendu les choses plus compliquées, elles avaient plus de mal à venir aux répétitions.
Marcia : A cause de ces changements, ça a été plus difficile de maintenir un groupe soudé, car ou on se voyait ici, ou bien il fallait se déplacer à l'autre campamento. Et à un moment, il a fallu prendre une décision, ça a été très dur pour chacune d'entre elles car au final on formait comme une petite famille... et avec la réhabilitation de ce campamento, et celle d'autres campamentos de Valdivia, sont arrivés de nouveaux habitants, etc ... du coup ... forte charge émotionnelle pour tout le monde.
Paula :Mais si tout cela n'avait pas eu lieu, rien de ce qui existe aujourd'hui n'aurait émergé, ce résultat, cette énergie... Il fallait que ça se passe comme ça, que ça évolue, que ça grandisse... et maintenant, on peut aussi comprendre quel est l'intérêt de ce projet, pour chacune. Moi j'ai envie de faire quelque chose de ma vie, Valdivia c'est très grand, il y a des tas de choses a faire, maintenant ça me motive, maintenant je fonce.
Marcia : Mais tout cela tu ne l'avais pas forcément compris au début.
Paula : Non, au début, non. Mais maintenant oui. En tous cas celles qui devaient comprendre ce message l'ont compris.
Marcia : Elle a quand même été la première opposante au projet ! (rires) Il y a deux ans à peu près, tout près d'ici, en prenant le once, j'ai dit : "Pourquoi on ne ferait pas un atelier de théâtre "social" ?"
Paula : "Non ... tu sais, ça ne donnera aucun résultat." (rires)
Marcia : "... il y a d'autres priorités avant de faire du théâtre, il faut d'abord manger" a-t-elle répondu. Mais cela se comprend.
Paula : Et aujourd'hui je mange très bien. Quand tu réalises que tu peux tourner les choses en ta faveur, tu trouves l'énergie pour tout.

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait un "devoir" ?
Marcia : ... de raconter un peu la réalité qui nous entoure ? Je crois que oui. Je crois que le théâtre peut le faire, comme tout autre discipline, j'ai le sentiment que chacun peut, à travers l'art, raconter son monde intérieur et son monde extérieur, son contexte social, ce qui l'entoure. Ici, pour nous, le théâtre social a un sens de témoignage. En plus de cela, il va permettre au public de connaître la realite quotidienne d'une autre manière. Car cette vie, cet endroit, tout cela est peu connu des gens. Beaucoup de monde n'a jamais expérimenté les campamentos. Ils ne savent pas de quoi il s'agit. Je crois que le théâtre peut permettre de faire accepter cette réalité aux autres.
Paula : Et c'est encore mieux que cela soit conté par des actrices venant de là, qui ont vécu ce mode de vie, et qu'elles le fassent avec fierté.
Marcia : Je crois que c'est nécessaire que l'histoire soit jouée par des personnes ayant vécu dans ces lieux. C'est pour cela que c'est appelé "théâtre social", "populaire". C'est avec et pour. Avec elles, et pour elles. C'est du théâtre "horizontal". Bien sûr, le côté artistique est très important aussi ! Beaucoup de gens croient que si c'est populaire ou social, ça va avoir une qualité artistique inférieure. C'est pour ça qu'on a fait appel à un acteur professionnel, Rodrigo Gonzalez, et à un régisseur son et lumière Francisco Rios. Pour faire de cette création collective une œuvre de qualité. De l'art. Qu'elle puisse être critiquée au même titre qu'une autre pièce, et pas seulement en temps qu'œuvre sociale. C'est très significatif. Et c'est le plus important pour nous. Que notre travail soit remarqué. Que le groupe puisse grandir, évoluer, s'intégrer. Avec la perspective de faire les festivals internationaux, bien sûr, la qualité artistique est très importante. Il faut avoir un groupe pluridisciplinaire.
Paula : Tout en montrant quelque chose de représentatif de ce que l'on vit, aussi. Sinon ce serait un mensonge.

Pensez-vous que le théâtre doive être toujours engagé, ou peut-il être seulement divertissant ?
Marcia : Dans l'idéal, le théâtre social doit dénoncer quelque chose, mais dans la nuance. Cela peut inclure des passages très dramatiques, mais aussi comiques, réalistes, ou oniriques. Je crois qu'il faut de toute façon nuancer notre travail. Cela dit, la pièce doit avoir un message, et forcément un message social. Pour nous en tous cas, le contenu doit être social. Mais on peut le raconter de différentes manières. Il y a tant de façons d'exprimer tout cela ! Ce qui est intéressant avec le théâtre, c'est que c'est pluridisciplinaire. Par exemple, dans notre pièce, on intègre des éléments audiovisuels, du théâtre d'image, de l'expression corporelle, de la danse, de la musique... il y a beaucoup d'éléments qui font que cette œuvre a aussi plusieurs langages. Elle passe par différentes étapes, et on réussit a montrer toute une palette d'émotions par le biais de ce pluri-langage. Pour une première représentation, je peux dire qu'il y avait un très bon niveau.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Paula : L'espoir.
Marcia : La transformation. Individuelle, ou au sein de la société. Pour moi le théâtre est une arme de changement social.

mardi 9 septembre 2008

Claudia Rosales et Maha Vial, compagnie "La Gran Bufanda", Valdivia

Pouvez-vous vous présenter et nous raconter comment vous avez eu envie de faire du théâtre ?
Claudia Rosales : Mon nom est Claudia Rosales, je suis née ici, à Valdivia. J'ai toujours vécu près d'une "École de la culture". En sortant de l'école on allait donc toujours là-bas l'après-midi pour étudier le théâtre, la musique, il y avait tous les arts et c'était gratuit. C'était un lieu extraordinaire parce qu'il y avait des enfants de partout, de l'école publique, privée ou subventionnée, on se réunissait tous là-bas.
Je suis issue d'une famille nombreuse et avant il y avait beaucoup de vie familiale, de réunions de famille, etc... Tout était beaucoup plus collectif quand on était petites et avec ma soeur, on s'occupait de la partie artistique de ces évènements bien sûr. On présentait des sketchs, on imitait les séries TV... J'étais un peu le clown de la famille ! Mes parents m'ont alors inscrite à une école de théâtre, c'est à partir de là que tout a commencé, que je me suis dit que j'allais consacrer ma vie au théâtre.
Maha Vial : En réalité, je n'ai pas eu une relation aussi fluide avec le théâtre, parce que ça me résistait , j'avais pas mal de problèmes avec tout ce qui a trait au langage quand j'étais petite. Alors j'écrivais beaucoup, j'écrivais trop. La chose qui m'est naturelle, qui est en moi, c'est l'écriture. Le théâtre m'a toujours résisté, aussi parce que j'étais assez timide, que ça me coûtait de devoir enlever le masque pour en mettre un autre.
Mais ça a commencé comme ça : j'ai été invitée à lire un récital, et quelque chose s'est libéré pendant que je lisais ce texte que j'avais écrit. A ce moment, ils cherchaient une actrice dans la troupe de Valdivia et ils m'ont proposé. Et a ce moment-là, oui, je me suis dit que je ne pouvais pas mourir sans faire ça. Mais ça a été très très traumatique.

Pouvez-vous nous parler du théâtre à Valdivia ? Quels types de théâtre peut-on y trouver ?
Claudia : Dans les années '80, il y avait une grande activité théâtrale, beaucoup de diversité, de troupes, une grande effervescence.
Maha :Figure-toi que c'est curieux, parce que c'était à l'époque de la dictature, il y avait ce phénomène de répression qui a, paradoxalement, permis la floraison de plusieurs groupes différents, avec des propositions nouvelles. Des troupes allaient dans les maisons, chez les gens pour faire du théâtre. Ils arrivaient dans ta maison pour raconter quelque chose, jouer une petite œuvre et après tu prenais le thé avec eux !
Il y avait aussi une autre troupe, de théâtre plus frivole, plus "light", et celle du Théâtre Municipal.
Après, on a formé une troupe avec des artistes qui sont maintenant aux USA, de théâtre d'expérimentation et de recherche. On était un peu lasses de travailler avec des textes établis, on voulait trouver notre langage propre, nos propres codes. On était en rébellion contre le système.
Et puis il y avait aussi pas mal de festivals de théâtre organisés par le groupe des "Amis du théâtre". Grâce à eux, on a pu voir du très bon théâtre.

Quel type de théâtre voulez-vous défendre ?
Claudia : Je suis tres liée a la problématique sociale. Le théâtre, finalement, est un outil fondamental pour changer la société.
J'ai toujours suivi cette dynamique.
En 2005, nous avons créé la compagnie La Gran Bufanda. Les premiers travaux ont portés sur les sujets de la folie, du suicide et de la torture. Ce furent des expériences très fortes et très significatives.

Comment travaillez-vous au sein de la compagnie ?
Claudia : On fait beaucoup de travail d'investigation. Par exemple, pour le thème de la torture, on était avec une prisonnière politique du temps de la dictature, quelqu'un qui a beaucoup souffert de la torture.
Pour la folie, on a travaillé deux mois avec des schizophrènes à l'hôpital psychiatrique.
En ce moment, on joue une pièce qui mélange l'histoire patrimoniale et des personnages représentatifs de Valdivia. La pièce se joue dans des demeures et les acteurs parcourent les espaces, les pièces, le public suit.
Maha : C'est compliqué de faire du théâtre, de trouver des lieux surtout. Au début, les premières représentations sont gratuites, mais après, tout le monde a déjà vu la pièce. C'est donc impossible de générer des bénéfices.

Que pensez-vous de votre travail avec les enfants ?
Maha : C'est une expérience traumatisante ! (rires) Je me disais : est-ce que je vais être capable de toucher ces enfants ? Il faut faire attention à tellement de choses quand tu t'occupes d'enfants. Mais c'est très intéressant. Ces enfants ont souvent des carences en matière de culture, ils n'ont pas de moyen de s'exprimer.
Claudia : C'est très gratifiant. J'ai toujours travaillé avec des enfants. En fait, j'ai eu la chance de voir beaucoup de théâtre dans ma jeunesse, alors je me sens un peu redevable et je veux transmettre ça aux enfants.

Selon vous, existe-t-il un devoir de l'acteur ?
Maha : Pour soi-même, du fait d'être acteur, de se diviser, je crois qu'il y a un devoir sur tous les plans. En-dehors du contexte théâtral. Tout artiste a plus qu'un devoir, c'est quelque chose qui est naturel. Tu ne peux pas le nier, tu ne peux pas fermer la fenêtre sur la réalité.

Le théâtre doit-il nécessairement être engage, ou peut-il être un pur divertissement ?
Claudia : Je crois qu'il doit y avoir de tout. La richesse réside justement dans la diversité.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Claudia : Je pense que le théâtre est l'un des arts le plus complet, car il est lié à tout : au rythme, à l'écriture,... Je pense que ça permet de se connaître soi-même, et en ce sens, il offre beaucoup de possibilités.

mercredi 3 septembre 2008

Manuel Loyola, metteur-en-scène de la compagnie El Oraculo, Concepción


Tout d'abord, pouvez-vous vous présenter et nous raconter comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
Cela fait 10 ans que je travaille dans le théâtre, d'abord 2 ans à Santiago, puis 8 ans ici, dans ma ville, Concepción. C'est là que nous avons fondé la compagnie El Oraculo, qui est orienté vers un théâtre corporel, le teatro físico, comme on l'appelle ici au Chili. Chacune de nos réalisations viennent d'investigations faites dans le domaine du mouvement, et aussi celui de l'image et de la musique. Ainsi, notre ambiance de travail est toujours assez agréable. Il y a beaucoup d'apprentissage, et l'on cherche toujours un peu plus à approfondir nos connaissances, en découvrant de nouvelles choses, de nouvelles techniques, etc... c'est comme cela qu'on peut grandir au sein de ce métier incroyable qu'est le théâtre.

Pourquoi avoir choisi le teatro físico ?

Sans doutes parce que le théâtre de texte, une pièce écrite, nous semble trop "rationnel", cela fait appel aux idées et exclusivement aux idées, et je crois qu'il faut essayer de stimuler d'autres choses, comme l'émotion, la sensualité, etc ... pour nous, l'art se trouve plus de ce côté là que de celui du "dire". Il s'agit de découvrir et de réveiller des zones inconnues. Voilà l'objectif du teatro físico, avoir un moyen de communication autre que le langage. Cela nous paraît plus attractif.

Est-ce que les acteurs de la troupe ont suivi des cours de théâtre, ou des cours de danse, ou les deux ?
Il y en a certains qui ont pris des cours de théâtre, d'autres sont danseurs à la base. Cela dit le groupe s'auto-discipline et se forme tout seul. On est sans arrêt à la recherche de perfectionnement. On a développé notre propre manière de travailler, d'improviser et de créer sur scène. On fait un mélange, un assemblage de différentes techniques d'apprentissage, et avec ça, on raconte une tragédie qui a eu lieu ici au Chili, l'histoire d'un massacre commandité par une personne, et la vengeance d'une autre. Il y a un peu de technique japonaise, de mime, d'impro, ou toute chose pouvant être utile. Quelques éléments de danse aussi, mais pas beaucoup. A partir de ce que l'on a découvert, on a créé un spectacle.

Qu'est-ce qui a été le plus difficile pour traduire cette histoire sur scène ?
Narrer une histoire sans utiliser la parole, le fait de travailler à travers les sensations et les émotions, et de créer des scènes à partir de ça. Comme dans tout le théâtre contemporain, ce que nous faisons, c'est de l'improvisation. Toutes les expériences montrent que l'impro est un vrai champ d'expérimentation. On essaie des techniques, on essaie des scènes, puis on sélectionne ce qui fonctionne, et ça fait le spectacle.
Mais le pus difficile est de maintenir la stimulation du groupe, sa discipline, sa concentration, et de le motiver dans la recherche constante de nouvelles choses.

Combien de temps a duré le travail de répétition ?

Ce travail nous l'avons fait en un an. Un an, avec en moyenne 20h de répétitions par semaine. Deux heures d'entrainement physique, une heure d'aérobic, une phase plus sur la respiration, une phase plus technique sur la recherche de techniques sur le mouvement, 3h d'improvisations, de présentation de ce que l'on a trouvé et de sélection des scènes. Chaque répétition a une session de travail bien spécifique.

Est-ce vous qui avez créé la bande-son ? la musique est très présente durant la pièce ...
Tout le travail est fait simultanément ("en vivo"). Il y a un musicien là-haut, qui est avec tout son équipement, son synthé, etc ... et on travaille tout "en vivo". C'est la première fois qu'on travaille avec un seul musicien, avant on en avait 4, 5 ou 6, mais d'un point de vue technique, c'était compliqué, il fallait anticiper en fonction du lieu car il y avait beaucoup d'instruments, le coût du déplacement nous revenait trop cher. Et ça nous empêchait de travailler comme on le voulait.

Que voulez-vous traduire à travers le choix de vos costumes ?
L'esthétique du design choisi pour les costumes, pour le maquillage, est reliée à l'expressionnisme, à l'Orient, au Japon plus particulièrement. On a cherché à vulgariser le groupe, en évitant d'individualiser les personnages, en évitant de créer des identités différentes, c'est pour cela que les costumes sont similaires, de même pour les éléments de couleur, qu'on retrouve chez chacun.

Mais il y a deux personnages qui se détachent du groupe, bien distincts. Quelle est leur fonction ?
Oui, la ronde et le type du train. Tout à fait. Ils sont différents visuellement.
Pour la ronde, par exemple, les couleurs, les matières choisies pour le costume du personnage sont associés, pour le spectateur chilien, à la pauvreté, à ces femmes chiliennes qui travaillent dur chez elles, ces dueñas ... Quant au personnage du train, il n'a pas de sens propre, c'est comme un fantasme, un personnage sorti de la douleur, qui souffre de spasmes, et qui, à un moment donné, voyage avec la protagoniste.
Ils n'ont pas de raison d'être au sein de la dramaturgie de l'histoire, mais je voulais laisser une ouverture. C'est aussi pour ça qu'on ne fait pas de musique andine (celle du nord du Chili, du Pérou et de la Bolivie). On évite d'utiliser ces instruments aux sonorités reconnaissables, comme le charango, la flûte de pan ... car peut-être que ce massacre, la violence qui a traversé le pays pouvaient être traduits par une autre esthétique, une esthétique élémentaire. Les structures du décors le sont aussi, avec quelques éléments ça et là, pour ne pas surcharger et laisser l'espace suffisant aux propositions corporelles des comédiens.

Pensez-vous qu'il y ait un devoir de l'acteur, de l'artiste de théâtre ?
Le rôle du théâtre vient de ce qu'est la personne qui le fait, de ce qu'elle est à un moment donné. Parfois, c'est du théâtre social car la vie le demande à ce moment-là, parfois tu peux fantasmer car tu en ressens la nécessité, etc... Le théâtre est beaucoup de choses, l'art est beaucoup de choses. C'est ce que chaque personne veut ou demande du théâtre qui fait le théâtre.
Nous avons choisi de traiter cette histoire de cette manière, mais il y a d'autres compagnies dans cette ville qui l'auraient fait autrement. Et ça aurait été aussi bien. Nous, nous travaillons sans la parole, d'autres adorent travailler avec le texte, avec la dramaturgie chilienne, européenne ou contemporaine, et ... c'est bien ! Le théâtre, c'est tout. Et nous pouvons co-exister face à toutes sortes de regards, de nationalités, de couleurs, de races, de classes sociales, de sexes ...

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter au gens ?
Je pense que chacun le sait. Parfois il dénonce, parfois il apporte un sourire, parfois il surprend ... il y a tant de manières d'apporter quelque chose. Et puis il y a le théâtre pour le théâtre, l'art comme lien. Le seul fait d'investiguer sur le théâtre apporte au théâtre lui même. Tant de choses ...