mardi 16 juin 2009

Lucho Mueckay, Centro Cultural Sarao, Guayaquil

Pour commencer, pouvez-vous vous présenter brièvement.
Bien, je suis Lucho Mueckay de Guayaquil en Équateur, je suis le directeur artistique du Centre Culturel Sarao et de la compagnie du même nom. C'est une compagnie de danse et de théâtre contemporain.

Comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
Moi ? Uh ! Depuis que je suis tout petit j'ai décidé de faire du théâtre ! Je l'ai découvert et redécouvert, à l'école, au collège, à l'université, au Mexique, au Costa Rica, dans tous les lieux où j'ai été. Au Mexique, j'ai aussi découvert la danse contemporaine et à partir de là, j'ai mélangé la danse contemporaine et la théâtralité jusqu'à en arriver là.

Pouvez-nous nous raconter la genèse du groupe Sarao ?
Après avoir étudié la danse contemporaine au Mexique, j'ai connu Jorge qui essayait aussi de faire ici un travail sur la danse contemporaine très important. Je l'avais vu dans des reportages. Et avec d'autres danseurs et danseuses on a commencé à faire quelque chose qu'il n'y avait pas ici, à Guayaquil. Le groupe Sarao est le précurseur de la danse contemporaine à Guayaquil, depuis vingt ans maintenant, et avec le centre culturel, on organise deux des festivals les plus importants de Guayaquil : le festival Fragmentos de junio et le Festival Internacional de Artes escénicas.
Cela fait vingt ans qu'on crée, ça a été une grande lutte, on a essayé beaucoup de styles, de formats, du théâtre-danse, de l'humour.

Comment travaillez-vous au sein du groupe ?
Tous les jours. On a un entraînement tous les jours, pour la danse. Ensuite il y a aussi des répétitions de théâtre du mouvement : voix, théâtre, jeu de l'acteur, ... Et les répétitions : chaque mise-en-scène, chaque spectacle se transforme d'une manière ou d'une autre en espèce de laboratoire. C'est la possibilité que te donne le fait d'avoir un espace, ça te permet d'expérimenter. C'est ça le quotidien. La majorité des intégrants ont commencé quand ils avaient 7-8 ans, ce sont désormais nos compagnons et les actuels professeurs. C'est toute une vie ! (rires)

Les gens vont-ils beaucoup au théâtre ici, à Guayaquil ?
Ils vont plus au théâtre qu'à un spectacle de danse contemporaine. Mais on a insisté, et maintenant qu'on a cet espace pour la danse contemporaine, on s'est créé un public, et vient voir des codes, des symboles, des signes, ils cherchent à redécouvrir les tentatives de la danse. C'est ce qui nous permet de nous maintenir malgré le fait que ce soit une ville qui soutient plus le théâtre et l'humour. Et on a influencé quelques groupes qui incluent de la danse contemporaine dans leurs spectacles de danse folklorique ou de flamenco. Il y a eu une époque où il y a eu un grand mouvement de danse contemporaine, notamment avec des gens qui avaient étudié ici, et qui ont formé d'autres groupes.

Pensez-vous que l'artiste ait une responsabilité ?
Oui, bien sûr. Cette responsabilité veut qu'on ne l'impose pas comme un élément didactique, on a une loi. On a la responsabilité d'aider au développement du public. On a eu la possibilité d'avoir des professionnels de la danse, du théâtre, et on a la responsabilité de maintenir cet espace parce que c'est un lieu alternatif de la ville. Guayaquil est une ville très spéciale, pas vrai ? Où il y a peu de public pour la danse ou le théâtre contemporain. Mais c'est notre lutte, c'est notre résistance.

Que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
D'abord, ça leur donne d'autres options pour rêver, pour penser que le monde pourrait être compris autrement, qu'il pourrait être vécu autrement. La danse et le théâtre nous mènent à des lieux réels aussi, qui ne sont en aucun cas des mensonges, ce sont d'autres types de vérité. Lorsqu'on a une pièce qui contient beaucoup de satyre sociale par exemple, les gens y incorporent leur voix, d'une manière ou d'une autre. Ce n'est pas une seule voix qui débite la satyre et la critique sociale. On peut partager avec le public, c'est une des merveilles du théâtre, de la danse, on peut ne former qu'un seul corps avec les gens pour nous redécouvrir, pour nous réinventer, pour dire : "ce que j'ai été, je ne le suis plus aujourd'hui, et je ne le serai pas demain". Ça nous permet d'être dans un processus, on n'a donc pas le droit de tomber dans l'ennui, dans la quotidienneté et le consumérisme qui sont propres à cette ville. Pendant vingt ans on a fait ce qu'aucune politique culturelle n'a fait, quand n'existait pas le Ministère de la Culture. Maintenant que ce Ministère existe, il est possible de parler.

samedi 13 juin 2009

Santiago Roldos, Muégano Teatro, Guayaquil

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Mon nom est Santiago Roldos, je suis metteur-en-scène et acteur de théâtre, j’écris aussi. Je commence à écrire du théâtre, j’ai fait beaucoup d’adaptations de textes d’autres auteurs et en ce moment-même, je fais ma première œuvre dont je suis l’auteur. Je suis aussi professeur, de théorie théâtrale mais aussi d’art dramatique, je dirige avec ma compagne le groupe Muégano Teatro, et ensemble nous dirigeons aussi la filière de théâtre de l’Institut Supérieur d’Art de Équateur.

Comment vous est venue l’envie de faire du théâtre ?
En réalité, ce qui me plaisait beaucoup à l’origine, c’était le cinéma. Je voulais être acteur de cinéma depuis l’enfance, depuis ma jeunesse. C’est très en lien, parce que dans ma ville, Guayaquil, il n’y avait presque pas de théâtre. Le théâtre était une chose extraordinaire. J’avais la grande nécessité de m’échapper, pour des raisons personnelles, de me fuir, et pour moi, le cinéma était un lieu de fuite, je voyais les films 15-20 fois, je volais de l’argent à toute ma famille pour pouvoir aller au cinéma autant de fois. Enfin, je ne leur volais pas, hein, je faisais justice, ils me rendaient ce qu’ils m’avaient pris (rires). Le peu d’expériences que j’ai eues avec le théâtre ont aussi été fascinantes et au bout de moment, ce que je voulait c’était être acteur, plus seulement de cinéma. Mais comme la filière d’Art dramatique est très dévalorisée dans ma famille et dans la ville, dans une ville où le théâtre n’existait quasiment pas, à l’époque.
Quand j’ai dû aller m’immatriculer à l’Université, je me suis dit : « Je vais étudier la philosophie », qui me fascinait aussi. Je suis parti étudier à Mexico et peu après avoir commencé l’université je suis entré en crise et j’ai changé d’université. Au milieu de ces deux facs, je me suis mis à prendre des cours de théâtre amateur et je n’en suis pas sorti depuis. C’est comme ça que je suis arrivé au théâtre.
Ce qui est curieux, c’est que la formation qu’on recevait à Mexico, c’était un genre d’école qui était issu d’un travail très psychologique et mélodramatique en définitive. En réalité, c’était une période de transition à Mexico, des avant-gardes qui avaient existé, du théâtre universitaire mexicain des années ’70 à la franche commercialisation de tout le théâtre. Et nous avons donc eu les professeurs désenchantés du théâtre universitaire qui nous disaient : « faites de la télévision, pas de groupes, ici le groupe n’a pas de sens », nous sommes en réalité des machines sensibles pour les mélodrames télévisuels, ou, comme disait une de mes professeurs, des « ânes sensibles », des ânes qui savent pleurer (rires). J’avais beaucoup de problèmes avec ça, je ne voulais pas faire de télévision, enfin, ça m’intéressait, mais pas les « telenovelas » (sitcoms latino-américains, ndlr). Et aussi, je pensais depuis l’âge de 13 ans que je devais être Robert de Niro, je ne devais pas être acteur, je devais être Robert de Niro, concrètement. Je ne me rendais pas compte que je ne pouvais pas l’être, puisqu’il y en avait déjà un ! (rires) Et si je n’étais pas Robert de Niro, je ne serais pas acteur, j’ai donc laissé le théâtre pour ça, me disant : « je ne vais pas gagner d’Oscar, je ne serai donc pas acteur".
J’ai donc laissé la comédie, et je me suis mis à la mise-en-scène grâce à un professeur très cher qui m’a aidé à sortir de ma… ce n’était pas une dépression. Je fais de la mise-en-scène, je vois que ça me fascine, quand un changement transcendantal est survenu dans ma vie : Bertolt Brecht, le théâtre de Brecht. Le théâtre de Brecht me transporte à l’Amérique latine, à m’imaginer le théâtre latino-américain avec lequel je n’avais aucun lien – je vivais alors en Espagne. Et le théâtre latino-américain de groupe me ramène à nouveau à la comédie, de façon très relax. C’est un changement révolutionnaire, ou comment comprendre le phénomène de la comédie.

Pouvez-vous nous raconter la genèse du Muégano Teatro ?
La genèse du théâtre Muégano a beaucoup à voir avec une chose inconsciente de notre formation au Mexique. De fait, Muégano est un nom mexicain, Muégano a beaucoup de rapports avec le Mexique, même si je ne suis pas né au Mexique, certains de mes collègues sont de là-bas.
C’est un groupe qui se forme au sein de la diaspora, de l’exode du théâtre mexicain, dans ces circonstances de ne pas vouloir entrer dans le système de production existant à l’époque dans la ville de Mexico. On s’est dit : « on doit partir ». On est d’abord venu ici (à Guayaquil, ndlr), ma compagne Pilar et moi, d’abord l'Équateur, avec l’objectif d’économiser, de travailler ici où on avait plus de possibilités, et d’aller en Europe. Pourquoi l’Europe, je ne sais, c’est comme Robert de Niro (rires). On est donc allés à Barcelone, où on est restés un an, et ensuite on est allés à Madrid, où on a pu travailler. Le Muégano se construit donc au fil de ce parcours, sans beaucoup de conscience, rejeter une forme de théâtre, en connaître une autre en Espagne, qui n’était pas non plus nécessairement celle qui nous intéressait. Mais l’Espagne a été un lieu où le Muégano s’est construit réellement. C’est une ville très éloignée de nous, malgré la langue, c’est un autre monde. Nous, dans la marginalité absolue – faire du théâtre, en soi, c’est une marginalité, faire du théâtre avec une certaine motivation et avec une certaine esthétique, c’est une autre marginalité, et être sudacos (littéralement : « ceux qui transpirent », nom donné par les Européens aux immigrés latino-américains, ndlr), ou étrangers en Europe, c’est une autre marginalité. On s’est donc rendus compte que la marginalité, au fond, c’est une très bonne chose quand on la choisit.
Dans ce processus très difficile au cours duquel s’est créé le Muégano, sans encore beaucoup de conscience, après avoir monté une pièce d’Aristides Vargas (du groupe Malayerba, à Quito, ndlr), qui est un grand ami et un grand maître, on s’est dit : « Maintenant, il faut la vendre ». « Mais elle ne se vend pas, qu’est-ce qu’on fait ? » Le groupe dit : « allons étudier ». Pour la première fois on s’est dit qu’on allait être nos propres professeurs.
Il y a eu cette rencontre avec la dramaturgie brechtienne, parce que Brecht réunissait beaucoup de choses qui nous intéressaient : on voulait parler de politique, de notre indignation, on voulait danser, faire un théâtre non-psychologique mais très physique, on voulait faire autre chose que ce qu’on nous avait enseigné, et Brecht avait été comme un auteur maudit durant notre formation à Mexico. Mon professeur de mise-en-scène qui était un polonais très sympathique, et malade, disait toujours : « vous allez voir quand on arrivera à Brecht », et jamais on y arrivait ! Ça me faisait rire.
Quand le groupe se met à l’étudier… Nous ne sommes pas brechtiens, ça ne nous intéresse pas de faire ça, et je crois que le moins brechtien de tous, c’était Brecht lui-même. Il y a une vision de Brecht très orthodoxe, ou dogmatique en définitive, qui trahit Brecht, anti-brechtienne. Pour moi, Brecht a commencé à être un continent, qui me transportait vers d’autres continents, et une pensée qui m’aidait à voir le théâtre d’une autre manière et à découvrir pourquoi je faisais du théâtre. C’était la première fois que j’en prenais conscience : je fais du théâtre, pas seulement pour m’évader de la réalité, mais parce que j’ai besoin d’une autre réalité, et le territoire du théâtre est si libre, il donne la possibilité de la conscience de l’impossibilité humaine. C’est un territoire où la liberté et l’impossibilité de l’humanité cohabitent, et ça m’émeut.
Nous avons monté une pièce qui a été très déterminante dans l’histoire du Muégano, au niveau de sa relation avec la société, et sa relation avec nous-mêmes. Brecht nous ramène à l’Amérique latine, Brecht nous connecte à Malayerba, c’est très étrange, nous, en Espagne –
Équatoriens, Mexicains, Argentins vivants là-bas, à Madrid – l’étude de Brecht nous fait penser : « Nous provenons de La Candelaria (groupe de Bogotá, ndlr)», et pas seulement que nous en sommes issus mais aussi que ça nous plaît de provenir de là, et qu’on est d’accord, et qu’on veut faire quelque chose de semblable, pour reproduire le phénomène. Pour nous, dans ce montage qui s’appelle Jouets pour la violence, qui a été présenté l’année dernière au festival alternatif de Bogotá – organisé par la Corporation Colombienne de Théâtre avec Patricia Ariza – ça a été l’expérience la plus émouvante que nous ayons vécu, parce que le public de Bogotá, avec ce que signifie Bogotá culturellement, théâtralement parlant, a accueilli cette pièce avec une chaleur et une compréhension comme nulle part ailleurs, sachant que, pour moi, cette pièce c’est Bertolt Brecht lu par Bugs Bunny ! Et il y a des gens, Santiago Garcia lui-même, qui est un expert de la matière brechtienne, qui aiment ce montage. Certains critiques cubains qui sont aussi très orthodoxes avec la question de Brecht, considèrent que c’est un montage très valable, dans le sens où on applique à Brecht la dialectique. Tous les mécanismes de Brecht appliqués à Brecht, ou, comme dirait Heiner Müller, quasi « contre Brecht ». Mais être contre Brecht, cela signifie aimer Brecht, et aimer le théâtre. C’est fondamental pour le plaisir de Muégano, pour une certaine compréhension de théâtre de groupe qu’on recherche.

Cela fait combien de temps que le Muégano existe ?
Muégano existe officiellement depuis 10 ans, peut-être 9, mais le début du parcours on le situe depuis que Pilar et moi avons monté notre première pièce ensemble, en 1995 à Mexico, une adaptation que j’ai fait des Sorcières de Salem d’Arthur Miller.

Pensez-vous que l’artiste de théâtre ait une responsabilité ?
Bien sûr.
Dans mes classes je dis toujours : « que signifie le mot « responsabilité » ? » Il faudrait se demander ça. Je crois qu’il faut enlever la morale à la responsabilité, et la démagogie. Toujours, dans le monde d’aujourd’hui, la démocratie est usurpée par la démagogie, et bien sûr que dans l’histoire du théâtre latino-américain il y a eu un théâtre qui s’est lavé les mains de sa vraie responsabilité qui est celle de l’art. C’est-à-dire que la responsabilité sociale de l’art, c’est l’art, c’est opposer une résistance à la réalité, ce n’est pas jouer le jeu de la réalité. Comme dit Walter Benjamin, c’est « être dans le courant à contre-courant ». Pour moi, l’art c’est ça : pouvoir nager dans le courant à contre-courant.
Il y a eu historiquement un théâtre qui a trahi le théâtre, qui est à la base un territoire de questions, de stupéfactions, d’étrangeté – pour un théâtre de réponses, pour un théâtre commercial, politiquement commercial. Pour moi, la poétique la plus commerciale au monde, c’est la plus politique, c’est celle d’Hollywood. Tout le temps ils nous demandent : « tu es avec moi ou tu es contre moi ? », dans tous les milieux.
Je sens que la responsabilité du théâtre, en lui enlevant la morale, on lui enlève sa capacité de répondre, la réponse du théâtre doit être une question, un questionnement de la réalité. Et c’est absolument en rapport – pas tant comme on l’a compris pendant plusieurs années, comme une lutte de partis. Il y a certains de nos amis Colombiens, pas tous mais Patricia Ariza, beaucoup de gens du théâtre colombien qui nous intéresse – c’est un théâtre qui lui aussi milite, ce sont des individus qui militent dans des partis politiques, et c’est très bien. Mais en même temps, ils savent aussi que leur responsabilité artistique ne se trouve pas là. Et il y en a d’autres comme nous qui pensons qu’il n’est pas nécessaire d’adhérer à un parti politique et que notre lutte est celle du théâtre, celle de la rigueur artistique, celle de l’investigation.
Cette salle, on est en train de débattre pour savoir comment on va l’appeler, on a pensé dernièrement à la baptiser « Aula Brecht » - moi j’ai pensé plutôt à « Brecht-Stanislavski », à cause de notre propre histoire. En 2006, peu après nous être établis ici, de retour à Guayaquil, contre le théâtre et la société de Guayaquil, nous avons organisé – avec l’excuse de l’anniversaire des 50 ans de la mort de Brecht – une série d’activités et de rencontres qu’on a appelée « Les rencontres Brecht à Guayaquil », et l’une des choses les plus importantes qui ont eu lieu a été une conférence, un atelier dirigé par Charro Frances, notre maître, du groupe Malayerba, qui s’appelait Brecht-Stanislavski. Un critique de la revue Conjuntos a dit : « C’est absurde, Brecht et Stanislavski sont antithétiques » et Charro, a partir de son expérience personnelle soutient que Brecht et Stanislavski sont viables, ensemble. Tout ça pour dire que la dialectique, ou la différence, existent dans tous les milieux et que c’est une façon d’être dans le théâtre. Et dire « Brecht-Stanislavski », c’est comme de dire tous les maîtres, en réalité.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Euh… (silence).
Souvent on se demande si l’art, ou le théâtre peuvent changer la vie. Et ce qui est normal, c’est de répondre « non ». Personnellement, je sais que le théâtre a changé ma vie. Je sens donc qu’il se peut que ça ne soit pas une utopie collective. Peut-être que les utopies collectives dérivent malheureusement presque toujours vers le fascisme, comme le dit Aristides Vargas : « il n’y a rien de plus monstrueux qu’une utopie réalisée. » Je pense que c’est quelque chose de paradoxal. Voir une pièce de théâtre a pu changer ma vie, à travers ses questions, j’y ai trouvé mes réponses.
C’est une possibilité de rencontre avec l’autre, à une intensité qui n’existe pas dans la vie. Je ne peux pas dire ce que le théâtre peut apporter aux gens, je peux dire ce qu’il m’a apporté à moi, et en ce sens, j’essaie de le partager. C’est cette possibilité de vérité extraordinaire qui, dans la réalité, à cause de la domination de la consommation et de la stupidité qui domine le monde, on trouve difficilement. Je crois qu’on peut le trouver aussi dans la vie, mais c’est très difficile, et je pense que nous faisons des fictions pour essayer d’imaginer d’autres vies.
Je crois que Brecht, mon maître fondamental, est en réalité un type profondément pessimiste, et ça me plaît beaucoup. Comme le dit Heiner Müller, il a lutté toute sa vie pour trouver une manière pour que l’homme ne tue pas l’homme et au final, il a trouvé cette teinte d’une sinistre ombre rouge et noire. Cette chose qui peut paraître déprimante, je la trouve très heureuse. Je pense que tout bonheur, toute joie naît de l’amertume. Je suppose que le théâtre recherche cela, non ? Il cherche à nous rendre heureux, sans être des imbéciles.

mardi 26 mai 2009

Teatro Colectivo Mano 3, Cuenca

Pour commencer, présentez-vous brièvement.
Paúl Sanmartín: Voyons, bien, je suis Paúl Sanmartín, j'appartiens à la compagnie de théâtre Mano 3 de Cuenca en Équateur. J'ai travaillé comme acteur, metteur-en-scène, ça fait déjà quelques temps que j'explore cette voie-là.
Patricio Viteri : Mon nom est Patricio Viteri, je viens de la ville de Quito en Équateur. Ca fait quatre ans que j'appartiens au groupe Mano 3, je suis sorti de l'Université de Quito, et j'ai aussi étudié à l'école de théâtre social du Cronopio. Là-bas j'ai travaillé quelques temps avec des groupes locaux, de diverses tendances, dont le théâtre-cirque, le théâtre formel, le théâtre dramatique, le théâtre de rue, le théâtre pour enfants, dans les centres commerciaux, des choses comme ça. Et maintenant ça fait quatre ans que je travaille avec le collectif Mano 3.
Karla León : Bonjour, je suis Karla León, j'appartiens aussi au théâtre collectif Mano 3

Pouvez-vous nous raconter la genèse du théâtre collectif Mano 3 ?
Paúl : Le théâtre collectif Mano 3 naît il y a - je ne sais pas si je suis précis, mais ça fait environ quinze-seize ans, sous la forme d'un projet qui portait un autre nom. Avec un compagnon on a fondé le groupe, on venait de la danse folklorique, du folklore, on s'est retrouvés avec le théâtre à un moment et on a décidé de faire une proposition scénique de fusion des deux arts. A ce moment, je suis parti étudier à Cuba, et quand je suis revenu - là-bas j'avais été en contact avec des artistes et metteurs-en-scène cubains - on a décidé de "tomber". Parce qu'à ce moment-là, on avait une proposition académique et notre façon de résister, c'était à travers le groupe. L'idée était donc de faire venir des artistes cubains pour faire un projet binational. Les amis cubains sont venus, le groupe s'est formé et on a investigué. Plus qu'un groupe de théâtre, c'est un groupe d'investigation qui cherche à comprendre comment le langage corporel rencontre un espace, un lieu de cette planète, qui a une caractéristique particulière, comme Cuenca - et peut-être, si on avait été ailleurs, ça aurait été différent. L'idée c'est d'identifier Cuenca, pour comprendre son identité, et, à partir de son identité, pouvoir la représenter. Peu à peu, le groupe s'est développé jusqu'à avoir plusieurs pièces à son actif et participer au mouvement théâtral de Cuenca. On cherche ce que peut faire le théâtre pour la construction de notre identité.

Comment travaillez-vous au sein du collectif ? S'agit-il de créations collectives ?
Patricio : Je considère que la création collective ce n'est pas une technique de travail, c'est une politique de travail. Notre façon de travailler est donc celle de la création collective, en effet, parce que personne ne dirige ici. On cherche un metteur-en-scène en particulier au moment où on veut monter une pièce, mais on travaille de manière collective. Pour moi c'est ce qui aide chaque membre de la troupe à évoluer, avec la possibilité de pouvoir faire quelque chose quand ils le souhaitent, il n'y a pas de hiérarchie, chacun peut participer. Quant à la technique elle-même, on est sans cesse en recherche, on a plusieurs tendances : Paúl s'est formé dans le théâtre anthropologique, nous plutôt dans l'art dramatique, etc... On n'a donc pas encore de technique propre, mais on est dans cette recherche quant à notre style de travail.
Paúl :
L'idée c'est aussi qu'au sein du groupe, tous les intégrants passent par l'expérience de la mise-en-scène. Et malgré le fait qu'on soit en recherche, on a commencé à trouver des choses spécifiques. La dramaturgie de Mano 3 passe par l'image. Le public ne sort pas de nos pièces avec une histoire, mais avec des images.

Pouvez-vous nous parler de votre intervention sur la Plaza de las Flores, de votre engagement politique ?
Patricio : Il n'y a aucun engagement politique ! (rires) Je vais te confesser que - je ne sais pas si ça intéresse tout le monde, mais - on a un gouvernement, celui de Rafael Correa (actuel président de l'Équateur, ndlr) qui finit son mandat. Il a créé certaines instances qui me paraissent bien acceptées, des aides pour la culture qui n'existaient pas dans ce pays et ça vaut la peine de le dire, parce que, regarde, combien d'années de vie républicaine on a derrière nous, je ne sais pas, mais jamais on avait eu d'aides pour le théâtre, jamais. On n'a jamais reçu d'aides de l'État, et on s'est habitués à travailler comme ça. Il me semble donc que les réformes qu'il a engagées dans ce domaine sont nécessaires. C'est aussi un vote de confiance, parce qu'on ne sait pas ce qu'il va se passer, la vie politique est telle qu'elle est, tu ne sais pas ce qui se passe demain, peut-être ils te donnent pas l'aide et c'est de la pub pour gagner des votes. Ce qu'on a fait mercredi c'était donc au final plus une affinité de Paúl avec une amie. On l'a donc fait, mais on a pas brandi de drapeaux, on a fait notre travail, rien de plus, je crois.
Paúl : J'aimerais ajouter que je crois que la nécessité de militer et de comprendre les processus culturels sont déterminants. Ça me paraît très important. Pour moi, aborder des thèmes avec le théâtre, prendre position à partir du théâtre sur l'identité, parler de la mémoire du peuple, c'est déjà une prise de position politique. Moi oui, j'ai un engagement militant dans un processus de réformes. Souvent les politiques culturelles de l'Equateur ne parviennent quasiment jamais ici, en province et dans les régions. De cette manière aussi on peut y opposer une résistance. La périphérie a toujours été un lieu de propositions et d'alternatives, c'est avec cela qu'on est engagé. Avec une vision de l'Etat, une vision constitutionnelle où la culture serait garantie. Je ne sais pas si ça se réalisera, c'est un moment critique maintenant, pour cela justement. Il s'agit de montrer que la culture est un élément essentiel pour un pays, pour sa vie sociale. On va donc militer activement sur les places, dans les lieux où on a de la visibilité. La pièce qu'on mentionnait est basée sur un fait historique où une grande poétesse de l'histoire de la poésie équatorienne se suicide sous la pression d'une députée conservatrice et de diverses circonstances sociales. Et au-delà de ça ! Son corps, jusqu'à présent, on ne sait toujours pas où il se trouve, alors que ça s'est passé en 1857. On la cherche, c'est donc un engagement politique. On voulait la rappeler à la mémoire des gens.
Karla : Si on revient un peu au thème politique, je crois que la prise de position, c'est très personnel, de soutenir ou non un candidat. Et là-dessus le groupe est très clair : on n'utilise pas qu'une seule couleur.

Que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Patricio : C'est très vague. Parce que, par exemple, le théâtre comme proposition pédagogique pour les enfants, c'est un apport très précieux pour l'auto-estime de l'enfant, la liberté de partager, la liberté de voir la vie différemment, pour ouvrir des espaces en soi-même, pour pouvoir avoir des relations humaines, pour avoir confiance en soi, effacer l'égoïsme, pour aborder des thèmes difficiles comme la séparation des parents par exemple, jusqu'au problème de drogue. Pour moi, c'est un apport très précieux, le théâtre, pour soi-même, dans l'enfance. Ca me paraît fondamental que les enfants de 4-5 ans aient des cours de théâtre. A l'adolescence aussi le théâtre me paraît important, quand tu commences à forger ton esprit, tes valeurs, ta manière de voir la vie, de partager, ta façon de voir la sexualité, ta famille, ce qui t'entoure, la vie politique, la religion, etc... Et après, si on parle du côté professionnel, pour moi c'est un espace où tu peux voir la vie, pas depuis la réalité, mais à partir de tes rêves. Et pouvoir exprimer cette créativité que te donnes le théâtre lui-même, tu commences donc à te façonner tes rêves et à vivre une profession différente et alternative. Pour moi le théâtre c'est ça, c'est une façon d'exprimer les rêves, n'importe lesquels par exemple : j'ai toujours eu envie de créer une famille dans le groupe, avec tout ce que cela implique, parce que c'est très difficile, parfois tu te fâches, tu ne produis rien, mais d'un autre côté, réussir à fonder une famille dans un monde où tous s'arrêtent au lieu de s'unir. Pour moi le théâtre c'est tout le contraire, quand tu commences à former un groupe, avec toute cette familiarité que tu essaies de créer, c'est le produit d'une cellule qui a besoin du monde qui l'entoure pour pouvoir grandir, pour pouvoir être bien. Pour moi c'est ça, le théâtre.
Paúl : Voyons... je pensais - pendant que Pato parlait - que le théâtre était peut-être un mouvement de l'âme. Le théâtre est un moteur qui rassemble les situations d'une humanité qui a besoin de ne pas se laisser mourir. C'est un lieu de transformation sociale : c'est super nécessaire.
Patricio : Je crois aussi que chaque ville a un besoin différent du théâtre, il n'y a pas de généralités, on ne peut pas dire : "le théâtre sert à ça". Je crois que chaque ville, chaque lieu a sa nécessité propre. Et je crois que le théâtre est lié à la vie-même d'une ville. Parfois les gens ont besoin de rire plus, regarde le théâtre colombien par exemple, face à tout ce qu'ils vivent, face à toute la violence qu'il y a dans ce pays, si tu regardes les troupes, ils créent un théâtre super festif, c'est un théâtre plein de vie ! Je suis partisan du fait que les gens ont besoin de rire plus, ils ont besoin de rire plus, rien d'autre.
Karla : Le théâtre est un outil. Un outil pédagogique, pour gérer les conflits. Il y a mille formes d'utiliser le théâtre. Pour moi, c'est surtout une réflexion sociale, c'est un reflet de la société. La montrer sur scène, c'est un moyen de l'affronter. Pour moi, le théâtre c'est une forme de vie.

lundi 25 mai 2009

Piotr Zalamea, directeur de la compagnie Barojo, Cuenca

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots, nous expliquer ce que vous faites ?
Ce que je fais ? Je ne sais pas ce que je fais ! (rires). Je crois que je suis engagé dans les arts, c'est l'unique raison qui vaille réellement la peine, les arts. Tout le temps que j'ai, toutes les heures, j'essaie de les consacrer à l'art, mais pas seulement dans un art où moi je me sens bien, et voilà.
Je crois aussi que, dans des pays comme l'Équateur, dans des villes comme Cuenca, les gens ont besoin d'avoir accès à l'art. J'ai eu beaucoup de chance d'avoir accès à l'art dans ma jeunesse, quand j'étais au collège. Je crois que ce moment de ma vie a été si riche que j'aimerais que plus de gens y aient accès.
Je partage donc mes journées entre faire de l'art et aider les autres, surtout les jeunes, à se familiariser avec l'art, à jouer avec. J'aime jouer.

Comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
Peut-être parce j'étais très mauvais pour tout le reste ! (rires).
Ma maman y est pour beaucoup : toujours, depuis tout petits, elle nous a familiarisés avec tous les arts. Elle nous faisait peindre, écouter de l'opéra, danser sur des musiques équatoriennes et européennes - ma mère est européenne - les deux continents ont toujours été unis chez moi. Quand j'étais au collège, on m'a invité. J'étais étudiant. "Enregistrons un conte sur cassette", "Ok !" "Maintenant enregistrons une vidéo", "Ok!"; "Tu veux faire du théâtre ?" "Ok, je fais du théâtre." "Tu veux faire de la danse ?" "Ok, je fais de la danse!" Après, quand je suis arrivé à l'université et que j'ai dû choisir une formation "normale", aucune ne me contentait. Je ne sers à rien pour l'ingénierie, la médecine ne me plaît pas, les arts me plaisent, je vais donc faire de l'art. Je suis resté dans l'art, j'espère que c'est pour toujours, mais on ne sait jamais ce qui peut se passer le jour suivant.

Pouvez-nous nous raconter la genèse du Teatro Barojo ?
J'étais présent lorsque Barojo a été fondé, mais j'étais au collège à l'époque, j'avais été invité, j'avais fait un peu de théâtre et le directeur, William Saquicela m'a proposé : "on va former un groupe, tu veux y participer ?" J'ai accepté et peu à peu... Ça c'était au moment de la formation du groupe, je suis le seul qui suis resté, depuis. Les années ont passé, William a dû voyager, les problèmes de migration en Équateur sont forts, il a dû quitter l'Équateur, il est maintenant aux États-Unis et travaille toujours dans le théâtre. Moi je suis resté ici en Équateur, William m'a directement dit : "tu continues avec le groupe".
Quand j'ai été directeur de Barojo, je ne savais pas diriger quelque chose : "Comment je dirige ?" Ça a été des années d'étude, avec l'aide de mes compagnons du groupe qui ne m'ont pas laissé seul, heureusement. On a appris à mettre-en-scène, à traduire, à monter des pièces. Barojo, pour moi, c'est tout un centre de vie.
Actuellement je suis très fier, parce que Barojo a pu se présenter dans des festivals internationaux, gagner l'appui des producteurs d'autres pays, notamment des Mexicains qui ont voulu nous soutenir pour créer des pièces.
Pour un petit groupe qui faisait quelques petites choses au collège, pouvoir faire des choses plus grandes, représenter l'Équateur à l'étranger.
Je suis très fier de représenter l'Équateur, mais je suis aussi Polonais, je ne laisse pas mon autre nationalité. Et même si Barojo est un groupe équatorien, tout ce que je fais est aussi polonais, les deux sont liés.

Comment définiriez-vous le genre de théâtre que vous faites ?
Mmm... bizarre (rires). Comme on a jamais eu quelqu'un qui nous a défini une ligne, Barojo a toujours été un théâtre expérimental, parce qu'on expérimente. Au début, parler d'expérimental sans avoir aucune base, c'était trop prétentieux. Je sais que les premières pièces de Barojo n'étaient pas expérimentales.
Actuellement je crois que Barojo a pour objectif de faire du théâtre expérimental, mais pas éloigné des autres objectifs : il a beaucoup de théâtre social, du théâtre de guérilla - qui n'a jamais perdu sa vigueur à Cuenca - le centre urbain n'a plus besoin d'un théâtre de guérilla, mais le centre urbain ce n'est pas la même chose que la périphérie de la ville. Ce n'est pas seulement que je sens que c'est nécessaire, mais je crois que les gens en ont besoin.
Si tu me demandes si Barojo a une ligne, je ne crois pas qu'il en ait une. Il n'y a pas un groupe de 5 personnes et voilà. C'est un groupe de 40 personnes qui travaillent diverses activités : il y en a qui travaillent les propositions de théâtre expérimental, d'autres qui veulent juste apprendre à jouer des percussions. Il y a différentes étapes.

Vous travaillez beaucoup avec les jeunes, n'est-ce pas ?
Oui, surtout Daniel - mon frère - et moi. On a suivi une formation parallèle au théâtre. Quand on faisait du théâtre on était aussi liés à des groupes d'action sociale. Et tous les deux, nous avons étudié la pédagogie. Ça nous passionne.
Il y a une partie de Barojo qui travaille avec les jeunes, et une qui travaille avec les enfants. Bizarrement, nous les hommes on travaille plus avec les jeunes, et les femmes avec les enfants, sans qu'on ait défini quoique ce soit au préalable.

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait une responsabilité ?
Totale.
Totale. Par chance - et c'est l'une des raisons pour laquelle je ne pense pas quitter l'Amérique - en Amérique il y a cette ébullition, des choses se passent. Et quand on se réunit pour faire du théâtre, c'est un peu le lieu où se concentrent ces ébullitions, il y a beaucoup d'idées, de choses, politiques, artistiques aussi, culturelles que les gens veulent exprimer. Et tu ne peux pas tout dire partout. Il y a donc une grande responsabilité : comment je vais le dire ? pourquoi ? où ?
Je crois que j'ai un positionnement politique très clair, mais je sais que ce positionnement politique, ce n'est pas responsable de le porter partout. Si je vais voir un groupe de jeunes de 15 ans qui apprennent à connaître le monde dans lequel ils évoluent, le pays dans lequel ils vivent, et que je leur présente ma ligne politique comme étant l'unique option, ça ne leur apportera rien. Je sentirais que je suis en train de les manipuler. Je crois qu'il existe ici une responsabilité : quand tu fais quelque chose, il faut essayer de voir comment tu peux faire pour que l'autre personne puisse discerner et non pas sortir du théâtre et se dire : "Aaah! Il faut tuer les policiers!"

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Tout.
Je ne crois pas que les gens vivent bien quand c'est bien économiquement. Les gens vivent bien quand ils se sentent bien à l'intérieur. Et la culture te mène à cela : à te sentir bien. Le théâtre sert de miroir, de rapprochement avec d'autres réalités. Le théâtre, c'est une grande fenêtre. Une fenêtre sur soi et les autres choses. Ça t'apporte de la vie.
Je reconnais qu'à Cuenca, je ne suis pas le seul qui en fasse, et je crois que tous les habitants de cette ville sont acteurs. Tous. Ils cherchent tous le moment où ils peuvent jouer. Il y a ceux qui ont décidé d'en faire leur vie - comme nous - et les autres qui, bien qu'ils soient ingénieurs, avocats, cherchent toujours un moment. Le 6 janvier il y a un défilé ici à Cuenca, pour le jour des Innocents et toute la ville est présente, déguisée. Il y a ceux qui participent au défilé et ceux qui vont juste y assister, mais tous sont déguisés et tu peux les voir jouer. Le plus commun, c'est de voir les hommes déguisés en femme, et ils sont très féminins ! Il y en a d'autres qui représentent le président, qui personnifient les évènements marquants pour le pays. Et le plus curieux, c'est que bien que la Faculté d'Arts participe au défilé, il y a aussi toujours les écoles d'ingénieurs, d'avocats,... et avec des mises-en-scènes intéressantes. Ce sont des chars avec des scénographies magnifiques, des costumes très dessinés, des personnifications très étudiées. Ce n'est pas simplement : je me mets le masque du président, donc je suis le président. Ils adoptent les postures, la façon de parler,... Cuenca est complètement théâtrale.

jeudi 7 mai 2009

Teatro del Presagio, Cali

Pouvez-vous vous présenter brièvement ?
Camilo Villamarín : Mon nom est Camilo Villamarín, je suis acteur et directeur exécutif du groupe. Nous avons tous une fonction esthétique déterminée, mais aussi une fonction dans la partie "organisation".
Gonzalo Basto : Je suis Gonzalo Basto, je suis acteur et actuellement je suis les cours du dernier semestre du département théâtral de l'École des Beaux Arts. Avec Ingrid, je m'occupe de la partie publicité.
Lylyan Rojas : Je suis Lylyan Rojas, licenciée en Art Dramatique de l'École des Beaux Arts et dans la Fondation Culturelle Teatro del Presagio je suis actrice et coordinatrice de gestion.
Edwin Taborda : Mon nom est Edwin Taborda, je suis actuellement les cours du 7ème semestre d'Art dramatique de l'Université des Beaux Arts et mon rôle dans le groupe c'est tout ce qui est production et logistique.
Juan Pablo de Villa : Mon nom est Juan Pablo de Villa, je suis acteur au sein de la Fondation Culturelle Teatro del Presagio et je m'occupe de la production logistique et technique. Je suis en train de faire ma thèse d'art dramatique aux Beaux Arts.
Julian Arteaga : Mon nom est Julian Arteaga, je suis acteur du groupe.
Diana Marcela Mellado : Je suis Diana Mellado, je suis aussi licenciée en Art dramatique aux Beaux Arts et je m'occupe de la partie administrative.
Ingrid Johana Osorio : Je suis Ingrid Osorio, je m'occupe de la publicité et je me charge aussi de la production.

Pouvez-vous nous raconter la genèse du Teatro del Presagio ?
Camilo V. : La grande majorité d'entre nous a étudié à l'Université des Beaux Arts. Quand on a été sur le point de terminer nos études, on s'est réunis, avec un élément très important du groupe, Diego Fernando Montoya, qui n'est pas là aujourd'hui - il aurait voulu être là, mais il est actuellement à Bogotá pour faire des papiers, il va en Espagne recevoir un prix qu'il a gagné pour une nouvelle qu'il a écrite.
A cette époque, donc, on a connu Diego Fernando et il y a eu l'empathie, l'affinité esthétique, on s'identifiait beaucoup avec sa façon de voir le théâtre, ses propositions,... et en 2005 on a fait notre première version d'un fragment de Justine, du marquis de Sade. Et, cette première idée de monter une pièce ensemble pour apprendre à se connaître s'est converti en ce projet du Teatro del Presagio et cela fait déjà 4 ans. Nous formons un groupe stable, à Cali il y a différents groupes comme le nôtre, le Domus Teatro par exemple, qui a une salle, une infrastructure, ou des groupes comme le nôtre, qui louent des espaces, et qui travaillent indépendemment. On est des gitans du théâtre, pour l'instant ! Mais on grandit !

Pouvez-vous nous parler d'Oedipe, poème dramatique en un acte, la pièce que vous préparez en ce moment ?
Lylyan R. : Cette version de la pièce Oedipe part du classique de Sophocle mais avec une vision de notre monde contemporain, de la situation politique, sociale et économique que l'on vit en ce moment. Elle est écrite sous forme de poème par notre dramaturge et directeur Diego Fernando Montoya. C'est le moment où Oedipe, déjà aveugle, exilé de sa terre, déambule à travers le monde, la vie et ses propres souvenirs. C'est la version que nous travaillons.
Camilo V. : On prétend prendre le mythe universel comme référant pour le contexte et travailler sur le monde des spéculations, du lyrique.
Lylyan R. : On travaille avec des éléments naturels : l'eau, le sable, le feu, mais de manière symbolique. L'idée, c'est que le public entre dans une sorte de transe - pour l'appeler ainsi - qui lui permette d'entrer dans ce monde de ténèbres dans lequel erre le personnage.
Et on utilise les sonorités du dijeridoo - c'est un tube de bambou - qui est l'élément clé à partir duquel surgissent de nombreux sons - et qui ajoute l'air comme autre élément. La pierre aussi est fondamentale dans les sonorités qu'on réalise.
C'est un théâtre statique, c'est l'esthétique que nous avons choisie, le théâtre de la quiétude ou l'action émerge de l'intérieur et ne se manifeste pas tant dans le mouvement mais dans l'émotion et la parole.
Camilo V. : Vous ne l'avez pas vue en entier, mais il y a toute une mise-en-scène, un décor.
Lylyan R. : La guerre... c'est cette ambiance de désolation, de misère, de pauvreté que laisse la guerre. C'est une ambiance de "post-guerre". C'est l'inspiration pour la mise-en-scène qu'on a créée, mais sur un mode abstrait, symbolique.

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait une responsabilité ?
Camilo V. : On a beaucoup parlé de ça ! Le théâtre colombien - ou le théâtre latino-américain - s'est formé avec idée du changement social. Et nous, d'avoir grandi là-dedans, on sent que ça ne s'est pas perdu et que c'est une responsabilité. On n'a plus le même intérêt politique, nos ambitions sont plus esthétiques, plus personnelles, mais on veut que le théâtre ait une responsabilité sociale.
Julian A. : L'une des recherches du groupe qui est permanente c'est - oui, il y a cette responsabilité, mais on ne cherche pas l'évidence. Il s'agit de présenter de manière esthétique ces points de vue qu'on peut avoir, et ne pas aller à un langage direct qui empêche cette possibilité créatrice qu'a l'artiste.
L'esthétique dans nos pièce n'a jamais été réaliste, on essaie pas de reproduire la réalité. On a plutôt cherché une rupture permanente avec le réalisme. Pas parce qu'on ne lui reconnaît pas une possibilité esthétique, mais parce que c'est une recherche créative autre.
Camilo V. : C'est ce qui nous caractérise et nous différencie des autres groupes de la ville.
Lylyan R. : On parle toujours de ce qu'on est, de ce qu'on sent, de ce qu'on vit et on présent notre point de vue sur la société.
Juan Pablo de V. : On a toujours pensé que l'artiste, en général, pas seulement les acteurs, ont toujours été engagé dans le développement des sociétés.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ? A quoi sert-il ?
Lylyan R. : Je crois que le théâtre va directement à la sensibilité, et à partir de là, active l'intellect. A partir de la sensation, de l'émotion. C'est donc une forme différente d'apprendre, de connaître, de comprendre.
Gonzalo B. : Il crée une conscience.
Juan Pablo de V. : Au-delà de narrer, ou de raconter des histoires, on cherche une expérience, ou créer des sensations, éveiller des inquiétudes.
Camilo V. : L'inquiétude, c'est la base de l'apprentissage.

samedi 2 mai 2009

Teatro la Máscara, Cali

Tout d'abord pouvez-vous vous présenter en quelques mots pour la caméra ?
Suzana Uribe : Je suis Suzana Uribe, je suis directrice et fondatrice du Teatro La Máscara, cela fait déjà plusieurs années que le groupe existe.
Lucy Bolaños : Je suis Lucy Bolaños, co-fondatrice du Teatro La Máscara en 1972, je suis restée ici ... tout la vie, en faisant du théâtre, et j'ai été aussi gestionnaire culturelle, actrice, metteur en scène, je me suis entièrement formée entre ces murs, une formation intégrale tout en continuant de travailler.
Pilar Restrepo : Je suis Pilar Restrepo, je suis entrée à La Máscara en 1979, j'ai étudié la littérature, j'ai d'abord travaillé comme actrice et maintenant comme dramaturge.

Pouvez-vous nous raconter la genèse de La M
áscara ?
Lucy : La Máscara naît avec le Nouveau théâtre colombien, dans les années '70, et à travers la Corporacion Colombiana de Teatro, qui avait beaucoup de poids à ce moment-là (5 régionales à travers tout le pays, festivals nationaux de théâtre et ateliers nationaux). Et c'est au cours de leurs ateliers qu'est né le groupe La Máscara. A quelques blocs d'ici d'ailleurs, il y a le TEC fondé par notre maître Enrique Buenaventura. C'est là que s'est consolidé le groupe, d'abord avec les directeurs du TEC, puis La Máscara a pris son envol. D'abord avec du théâtre de rue puis en se rapprochant des groupes sociaux de femmes, des féministes, et en commémorant, à travers le théâtre, le jour de la non violence contre la femme. C'est de cette manière que le groupe se construit, autour d'une même problématique de genre, et du féminisme. Et lors du départ des hommes du groupe, on s'est encore davantage consacré à ça. On travaille d'ailleurs aussi avec les communes, les secteurs marginalisés, opprimés, cela fait un certain temps que l'on développe cela.

Vous voyagez beaucoup ?
Pilar : On a eu l'opportunité de connaître beaucoup de pays en participant à de nombreux festivals en 1989. On a été en Argentine, en Équateur, en Australie, en Nouvelle Zélande, le groupe a été aux États-Unis, et notre travail a été reconnu et applaudi.

Comment travaillez-vous au sein du groupe ?
Suzana : On travaille bien évidemment dans un esprit de création collective, dans le sens où La Máscara a une méthode de travail bien particulière : on invite des metteurs en scène pour qu'ils montent un projet au sein de La Máscara. On n'a pas un metteur-en-scène attitré, sinon un trio. Ils sont venus monter pas mal de spectacles ici.
Lucy : Oui, d'une certaine manière, le travail socio-culturel que nous faisons, nos spectacles tournent généralement autour de cette même problématique de personnes. On travaille à partir d'improvisations pour passer de la scène à la table et vice-versa. C'est de cette manière qu'on construit la structure de la pièce.

Et c'est toujours le même dramaturge, ou c'est en fonction de ce que vous voulez défendre ?
Suzana : En fait, on fait en fonction de ce dont on a envie : certaines fois on s'est dit : "on veut travailler ce texte en particulier". On a travaillé à partir de poème dramatique d'une écrivain new-yorkaise, un autre texte d'une auteure argentine, on est ouvertes à toutes les possibilités. Il y a aussi Pilar qui nous a écrit des textes.

Vous avez combien de pièces au répertoire ?
Lucy : On compte environ une trentaine de pièces.
Suzana : Mais nous n'avons pas toujours travaillé autour de la même thématique, autour de la femme, etc ... lorsque l'on a commencé, La Máscara était un groupe mixte.
Lucy : On a monté beaucoup de textes d'auteurs tels que Shakespeare, Brecht, Buenaventura ... Mais d'une certaine manière, à l'intérieur de ce travail d'improvisation, de création collective, d'analyse de texte, il faut savoir que tout part de l'acteur et de sa proposition sur scène. Ce n'est pas le metteur-en-scène.

Et le groupe se maintient ? Il n'y a pas trop de membres entrant ou sortant ?
Suzana : Si, tout le temps (rires)
Lucy : Nous sommes celles qui restons depuis le début.

Pensez-vous que l'acteur ait une responsabilité ?
Pilar : Bien sûr. Le théâtre latino-américain doit avoir une éthique, une réflexion par rapport à ce qui se passe au quotidien. Car c'est un art qui possède un langage propre, une autonomie. D'ailleurs nous sommes les pionnières du théâtre de genre en Colombie, il n'y a pas grand monde qui se soit consacré au théâtre féministe. Et La Máscara a la capacité, le courage et la qualité qui lui ont valu une reconnaissance internationale.
Lucy : Oui, je crois que La Máscara a une responsabilité sociale au niveau de l'Amérique latine. Au cours de nos ateliers avec la Corporacion, on essaie d'ouvrir d'autre brèches. On ne se réduit pas à faire uniquement de l'expression corporelle ou de la technique vocale, mais on étudie d'autres choses comme l'histoire, l'économie politique. On se positionne par rapport à la société dans laquelle on vit. Et face à une culture patriarcale dominante.
Suzana : Nos engagement en tant qu'actrices se trouvent aussi dans nos projets sociaux-culturels avec des populations déplacées, des jeunes en difficulté, des femmes ... C'est l'objectif majeur du travail de La Máscara, et on croit beaucoup à ce travail.

Que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Lucy : Je crois que d'une certaine manière avec les spectacles que nous montons, les thématiques, on forme un public particulier, qui a une réflexion face un thème donné. On ouvre aussi des débats, on donne des formations aux populations vulnérables, mais pour défendre les droits de l'homme. L'idée de ce travail est d'avoir un écho au sein des communautés, et de créer une conscience face à soi-même et face à la société, d'élever l'auto-estime de chacun et de donner une qualité de vie à travers le langage du corps et de la voix.
Pilar : Et pour ces femmes, par exemple, travailler avec La Máscara a été une possibilité de sortir la tête de toute cette violence ...

mardi 28 avril 2009

Cualquiera Producciones, Cali

Pour commencer, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Oscar Rivera : Je m'appelle Oscar Rivera, je suis acteur et producteur de Cualquiera Producciones.
Andrés Reina Ruiz : Je m'appelle Andrés Reina et je suis acteur de Cualquiera Producciones !
Wendy Betancourt : Salut, je m'appelle Wendy, je suis actrice de Cualquiera.
John Alex Castillo : Je m'appelle John Alex Castillo, je suis acteur de Cualquiera Producciones et je suis passionné par les arts visuels.
Ariel Martínez : Je m'appelle Ariel Martínez, et mon rôle au sein du groupe est celui d'acteur et de directeur artistique.
Paola Andrea Tascón : Bonsoir, je m'appelle Paola Andrea Tascon, je suis actrice de Cualquiera Producciones.

Pouvez-vous nous raconter l'histoire de Cualquiera Producciones ?
Ariel M. : L'idée de Cualquiera Producciones, ce n'est pas tant le nom "quelconque, n'importe quelle" (traduction de cualquiera, ndlr), mais la nécessité de faire un institut de théâtre qui nous plaise. Elle est née vers 1988-1989 avec Enrique Lozano (dit "Quique", ndlr) - qui est maintenant à Bogotá - notre metteur-en-scène et dramaturge. On a donc essayé à l'époque de convoquer des acteurs et des actrices, ça n'a pas très bien marché et en 2001, on a décidé de démarrer avec ce qu'on avait. On a donc commencé avec Elisabeth (Sánchez, ndlr) - qui n'est pas là, c'est ma femme - "Quique" écrivait et mettait-en-scène, Elisabeth et moi on jouait, et en juin 2001, on est officiellement nés sous le nom Casa Muriel Teatro avec la pièce Crochet - des textes de Rodrigo Garcia et d'autres de "Quique".
Ensuite, pour la deuxième pièce, Bam, on a pensé que le groupe ne devait plus s'appeler Casa Muriel - on avait donné ce nom parce que c'était le nom de l'endroit où on répétait pour la première pièce, la maison d'un ami. L'idée était romantique, mais bon, ça ne rendait pas ce qu'on voulait. John Alex nous avait déjà rejoint à cette époque, on commençait à penser à quel genre de nom on voulait avoir, et Cualquiera a surgi, avec le complément Producciones - qui ne dit pas beaucoup de nous non plus, mais au fond si, c'est comme de penser que nos portes sont ouvertes, et que quiconque peut en faire partie, et que quiconque peut en sortir et y revenir. Ce serait un peu compliqué et étrange d'expliquer ça, mais c'est né d'une nécessité propre, celle de faire un théâtre qui nous intéresse, autant à "Quique" qu'à moi, et qu'on puisse concevoir qu'un spectacle qui me plaise, puisse plaire et intéresser d'autres personnes, 20 ou 30, et de là, amplifier le spectre.
Depuis cette époque, cela fait 9 ans de travail sans relâche et comme je l'ai dit, parfois des gens s'en vont, reviennent, mais le groupe de base reste toujours actif.

Pouvez-vous nous parler de la pièce que vous êtes en train de répéter, Otra de leche (Une autre de lait, ndlr) ?
John Alex C. : Otra de leche, c'est le résultat d'une inquiétude qu'a ressenti "Quique" Lozano il y a quelques temps, quand il a eu l'opportunité de quitter la Colombie pour aller étudier à Paris. Cela lui a permis de voir le pays à distance, et de créer un texte qui n'était pas un texte de théâtre à proprement parler, mais quelque chose qu'il a appelé "matériel pour la scène". Il n'y avait pas d'ordre, pas de suite logique, c'était simplement des scènes aléatoires.
Ensuite, il est rentré en Colombie, il nous a ramené ce matériel pour le monter et Ariel Martínez commençait à cette époque à assumer son rôle de metteur-en-scène avec cette pièce.
C'est une réflexion sur la guerre, sans faire de jugement, sans dénoncer, et qui traite spécifiquement des êtres humains qui font les guerres, que ce soit celle de notre pays ou n'importe quelle guerre dans le monde, elles ont les mêmes effets, les mêmes conséquences sur les êtres humains.
Notre travail a été de trouver une suite logique, et on a travaillé sur l'interprétation de la parole, l'axe principal étant le mot. On n'illustre pas forcément avec une grande quantité d'éléments : on utilise seulement un filet qui se transforme et qui modèle l'espace. On n'a pas de costume pour identifier chaque rôle, on est tous en noir, c'est seulement l'attitude et l'usage de la parole, l'intention, qui permet au public de nous distinguer.
Avec cette pièce, on a été invités à un festival de jeune théâtre latino-américain en Espagne, ça nous a donc permis d'emmener un échantillon de réflexion sur nos guerres latinos-américaines et mondiales, et surtout d'emmener une mise-en-scène contemporaine, qui est l'intention de cette pièce, Otra de leche.
Ariel M. : Et pour ajouter quelque chose d'anecdotique, cette pièce a été pas mal "accidentée" : on a commencé à la monter après Bam, en 2003. "Quique" nous a d'abord donné une partie, on a commencé à investiguer sur des rapports qui n'avaient pas été rendus publics par le biais des moyens de communication. Des rapports sur des quantités de massacres perpétrés dans le Pacifique, dans la région du Chocó. "Quique" a donc récolté ce matériel, la ré-élaboré et a commencé à écrire. On en était à ce stade de mise-en-scène, que "Quique" dirigeait, lorsque John Alex s'est foulé une cheville. Il a dû rester 6 mois au repos, on jouait donc d'autres pièces du répertoire. Quand il était à nouveau sur pied, que le médecin l'a autorisé à faire des exercices physiques, cette même semaine, "Quique" a été renversé par un camion, on n'a donc pas pu commencer. Après sa récupération, on a décidé que, comme on avait peu de temps - on voulait présenter au mois de décembre - on s'est dit : "pour les mois qu'il nous reste, montons une autre pièce de "Quique" qui est déjà écrite." Il l'a mise-en-scène, on l'a montée et on l'a jouée: Familia Nuclear (Famille Nucléaire, ndlr).
Ensuite, "Quique" est parti à Paris et là-bas, il a eu la distance et la possibilité plus concrète de nous envoyer le texte. Il nous l'envoie donc, déjà complet, on l'a montée, il y a eu 3-4 versions : d'abord avec deux acteurs et une actrice, moi j'essayais de jouer et de mettre-en-scène, mais on s'est rendu compte que ce n'était pas possible, on a donc fait appel à un autre acteur.
Initialement, la pièce est écrite pour 4 acteurs : 2 actrices et 2 acteurs, on a donc fait une autre version, qui a été celle qu'on a emmenée en Espagne, et c'est avec cette version qu'on travaille actuellement.
Pour conclure, c'est comme si notre travail... quand "Quique" commence à écrire, c'est à partir de réflexions que nous avons à propos d'un contexte qui nous entoure, et les résultats sont divers : pour Breve anotación de movimiento (Brève note sur le mouvement, ndlr), le thème était les relations inter-personnelles, le cannibalisme, l'anthropophagie et tout ça, et il en a résulté une comédie ! On ne sait pas à quel moment elle s'est convertie en comédie, mais ça a été le résultat.
Avant cela, Familia Nuclear, c'était aussi une comédie mais sur le thème de la violence familiale. C'est donc un thème très sérieux qui, à travers la dramaturgie et la mise-en-scène, se converti en comédie, avec au fond une réflexion.
Et cette pièce-ci a pour thème notre contexte actuel. Je ne voudrais pas parler de cela, mais parfois j'en ressens la nécessité.
Wendy B. : J'ai été une des premières actrices à participer au montage initial et à plusieurs occasions, ça a été pour nous une situation très forte de présenter la pièce parce qu'elle parle de beaucoup de choses, bien qu'il n'y ait pas de dénonciation, on ne parle d'aucun groupe en particulier, mais on avait peur, peur de pouvoir générer un certain type... de réactions, pour quelqu'un qui est dans le public et qui a une position politique par rapport à ce qu'on vit. Une fois, on l'a jouée dans un lieu où le contexte politique est très tendu et on avait peur ! Parce que la pièce, même si elle ne passe pas par un langage littéral, les symboles et la poétique utilisés sont forts, sont d'autant plus forts. Cette humanité que contient la pièce touche le public d'une telle façon qu'il y a des gens qui nous ont dit : "il y a beaucoup de sang, dans cette pièce", alors qu'il n'y a pas une seule goutte de sang sur scène.

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait une responsabilité ?
Ariel M. : Je crois que Otra de leche est une des pièces qui nous a le plus permis de réfléchir et de nous positionner. Il y a une réflexion sur le plan politique, sans que nous ayons une tendance affichée. Mais je crois qu'il faut avoir une vision claire de ce que l'on fait, de ce qui nous entoure, de ce contexte.
John Alex : Il y a une phrase d'Albert Camus qui dit que, quand le contexte social est tendu et qu'il y a des guerres et des conflits, le rôle de l'artiste ce n'est pas de juger et de dénoncer, mais de chercher la manière de récupérer "l'humain", avant tout. Et je crois que c'est notre position, surtout avec Otra de leche.
Oscar R. : Nous avons eu des conflits dans la dynamique de création, dans la partie physique : quel est le rôle de l'acteur ou de l'actrice qui s'arrête sur scène ? qu'est-ce qu'il représente ? au nom de quel concept vient-il communiquer quelque chose à un public ? Cela a généré chez nous une prise de position en tant qu'artistes : devons-nous nous transformer ? ne pas nous transformer ? Nous sommes nous-mêmes dans des conditions déterminées par notre sexe, et par les relations entre les comédiens. Chacun doit réfléchir à cela, c'est une vision politique, une vision humaine : où sommes-nous ? où va-t-on ? que veut-on ? que veut-on donner aux gens ?
Ariel M. : On ne cherche pas... notre objectif n'est pour rien au monde de faire des pamphlets, parce que les conditions socio-politiques du pays ont changé, ce n'est plus le même contexte, même si au niveau historique certaines choses demeurent. Mais on a changé, nous sommes une autre génération, qui se détache des générations antérieures, qui est aussi née avec la violence et la guerre. Ce n'est pas quelque chose que l'on peut accepter : nous vivons dans un conflit armé, et oui, ça revient, et ça se transmet, d'une certaine manière, de génération en génération, et c'est ce qui nous oblige à avoir un parti pris politique. Bien sûr il y a d'autres aspects : l'esthétique, le jeu de l'acteur,... mais il y a toujours la question politique.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Silence.
Ariel M. : Personnellement, je ne sais pas si le théâtre peut transformer les esprits, une société, mais je crois que l'une de ses tâches, c'est de proposer un espace de réflexion. S'il y a 300 spectateurs dans la salle, et 10 ou 15 qui sortent en se disant : "c'est bien de réfléchir au sujet de ce qui se passe", et le reste qui se dit : "quelle bonne pièce / quelle pièce pamphlétaire" ou je ne sais quoi, l'objectif est atteint.
Wendy B. : Je pense que le théâtre et l'art en général peut dire des choses qui ne se disent pas au quotidien. Être sur scène nous permet, nous donne ce pouvoir d'aborder un thème - dans notre cas ce thème si complexe, qui nous affecte tous, et on ne parle pas que de la Colombie mais de l'absurde de la guerre et de cette humanité qu'il y a chez les personnes qui font la guerre. Ça nous permet donc aussi d'avoir une vision sur les choses du monde, de la vie, qu'on ne peut pas voir à d'autres moments. Quand tu regardes un journal télévisé, personne ne se pose des questions sur cet être humain qui fait la guerre. Nous on peut, ici, sur scène, se le demander. C'est cela que permet l'art.
Ariel M. : Je crois que c'est très compliqué, surtout dans notre contexte, parce que, dans l'histoire, le théâtre colombien a été important à un moment, il a marqué comme un point avec le travail de création collective, et le Nouveau Théâtre latino-américain. Je pense qu'il y a eu comme un vide après cela. Il n'y a pas de culture théâtrale dans notre société, on essaye, mais je crois qu'on ne peut pas parler de "culture théâtrale", où les gens ressentent la nécessité d'aller au théâtre, de voir du bon théâtre, parce qu'ici, surtout à Cali, le "bon théâtre", c'est celui de l'Aguila Descalsa, du théâtre commercial comme on dit ici, dans lequel il y a des acteurs de la télévision, connus, ça c'est le théâtre pour les gens, pour une grande partie des gens. Mais un groupe de Cali, de Medellín ou de Bogotá, qui n'a aucun acteur de télévision, comme il n'y a aucun attrait commercial, les gens n'y vont tout simplement pas. C'est très difficile, avec ce type de théâtre que nous faisons, de pouvoir atteindre les masses.
Wendy B. : Bien que ces dernières années, un mouvement théâtral fort a commencé à se développer à Cali. Je suis revenue il y a peu d'Argentine, j'étais loin pendant 3 ans, et beaucoup de groupes de théâtre ont grandis, ont fleuris, avec des acteurs stables, un metteur-en-scène, et une proposition. Et je crois que ces dernières années - bien que, quand j'étais à l'université, il était beaucoup plus difficile de rencontrer des groupes - aujourd'hui tu regardes les affiches de théâtre, et il y a beaucoup de possibilités, et le public va au théâtre.
Oscar R. : Toute société possède un niveau de censure, qui dépend du système socio-économique de chaque lieu. Je l'ai aussi vécu de l'extérieur, et maintenant que je suis ici, je vois qu'à Cali par exemple, à ce jour, apparaissent ces pamphlets qui disent : "Tout gay, toute prostituée, tous ceux qui sont différents, ne peuvent plus vivre". Pour moi, l'art ou le théâtre plus spécifiquement, doit essayer de montrer et de faire le lien entre tous ces gens qui le servent : dramaturges, acteurs, metteurs-en-scène, public... essayer entre tous, de construire une dialectique pour que cette ligne de censure puisse baisser. Dans ce contexte, c'est difficile, parce que notre censure augmente tout le temps : tu dois te coiffer pareil, parler pareil, penser pareil, ressentir pareil. Le rôle du théâtre, pour moi, c'est de baisser cette ligne de censure, de la baisser, baisser, baisser...
John Alex C. : Pour parler de cette question qui est si importante : A quoi sert le théâtre dans la société ? je crois que, au milieu de tant de moyens technologiques, de tant d'écrans, de tant de manières d'être soi-disant en contact avec l'autre, le théâtre continue d'être la chose, très ancienne, qui permet de faire se rencontrer un acteur et un spectateur, physiques, réels, dans un espace réel, ouvert ou fermé, pour faire des choses fausses, pour créer des conventions, pour simuler, simuler la réalité au milieu de tant d'effets spéciaux, de tant de films, de tant de possibilités que nous avons. Le théâtre nous permet de nous rencontrer.
La possibilité de la rencontre, pour penser, ou pour créer des symboles et les lire, je crois que c'est par là qu'est le théâtre. Pourvu qu'il ne perde pas ça !
Paola Andrea T. : Je pense aussi que le théâtre est un outil pédagogique. Tu peux transmettre de manière très efficace des messages, et le public peut vivre des expériences à travers le théâtre.

samedi 25 avril 2009

Gerardo Potes López y Leonor Amelia Perez, Casa de los Titeres, Cali

Tout d'abord pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Gerardo Potes López :
Je suis Gerardo Potes López, je suis le directeur artistique du Pequeño Teatro de los Muñecos et de la Casa de los Titeres. Le groupe est né en 1963. Je suis calénien de naissance.
Leonor Amelia Perez : Je suis Leonor Amelia Perez, je suis membre du Pequeño Teatro de los Muñecos, cela fait 26 ans que le groupe existe et nous l'avons fondé avec Gerardo et Alejandro.

Comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
Gerardo : En ce qui me concerne, mon grand-père est musicien, et la relation que j'ai au travail vient de lui. Ma grand-mère, elle, vient du sud, c'est une indigène de Pasto. Et à Pasto justement, il y avait un évènement annuel très particulier, un carnaval en noir et blanc. On voyait passer des chars avec de grandes marionnettes ... je pense que c'est un peu à l'origine de tout cela. Mais il y a aussi que depuis tout jeune, je suis assailli par ces contradictions politiques et idéologiques dans un pays conservateur mais rempli de violence, et où il n'y avait pas vraiment d'échappatoire à tout cela. On était très jeunes, animés par le désir de se tourner vers autre chose, mais enserrés dans un monde étroit, celui de la fête, on faisait la fête tous les jours. De mon côté j'ai commencé à me poser des questions, sur ce que je voulais faire de ma vie ... j'ai pris la décision d'intégrer l'Ecole d'Arts Plastiques, mais cela m'a frustré dans le sens où je faisais de la musique et que bien qu'ayant certaines affinités avec cet art, ce n'était pas ce qui me motivait vraiment. En 1974, l'année suivante, je suis entré à l'Ecole de Théâtre et à partir de là je n'ai fait plus que ça, du théâtre.
Leonor : De mon côté, j'ai sept frères, et avec l'un d'entre eux on était comme les petits clowns de la maison, tout était prétexte à rire. Autre chose de très important aussi, c'est que je suis née dans ce quartier, c'est un quartier traditionnel de Cali où il y a toujours eu beaucoup de mouvement culturel. A quelques pas de là nous avons le Teatro al aire libre Los Cristales, c'est un théâtre magnifique, spacieux, où gravite beaucoup de monde. Quand j'étais petite et il n'y avait pas beaucoup de télévision et toute la technologie d'aujourd'hui, on pouvait assister à des spectacles de tout genre, théâtre, musique, danse, etc ... et cela a été comme le déclic à toute cette sensibilité. Oui, il y a du mouvement dans ce quartier.

Comment est née la Casa de los Titeres ?
Gerardo : La Casa de los Titeres est une nécessité. Elle est née à partir du rêve de plusieurs groupes. On jouait dans un petit théâtre à une époque, mais il était laissé à l'abandon. Je me suis fait la réflexion qu'il nous fallait un espace bien à nous où l'on puisse se former un public, pour les marionnettes, avec une école pour gagner de la crédibilité, et conquérir nos spectateurs. Voilà, on voulait un lieu où l'on puisse amener ce public et le sensibiliser aux marionnettes. Lui donner une culture de la marionnette. On a commencé à chercher est on a trouvé cette maison. Toute la structure existait déjà, on n'avait plus qu'à l'habiter, la vêtir, l'arranger. Mais elle était telle quelle, avec la salle au fond. Elle n'attendait plus que les marionnettistes. Donc on a débarqué dans cet endroit, et on a commencé à travaillé. Ça a duré 6 mois comme ça jusqu'à ce qu'on se rende compte que le public n'était pas au rendez-vous. On a décidé de consolider ce rêve, de lui donner un toit, et on a travaillé beaucoup plus dur, tellement intensément qu'on est venus vivre ici, dans la Casa. On n'arrêtait pas, 8 jours sur 8, sans relâche, promouvoir, faire de la comm', distribuer des prospectus. Et aujourd'hui cette maison est devenu un projet de la ville, un patrimoine de la communauté calénienne. On commence d'ailleurs une nouvelle production de pièces, on a tout un public ... on a déjà eu la visite de plus de 150 000 personnes, on a fait 8 festivals internationaux, des rencontres de théâtre de marionnettes, des rondes populaires c'est à dire que l'on offre un espace aux groupes qui n'en ont pas, pour présenter leur travail.

Et pourquoi avoir choisi les marionettes plus qu'une autre forme théâtrale ?
Gerardo :
On est tous acteurs de formation. Et avec le groupe, lors d'une tournée en Amérique centrale, on a découvert le spectacle d'un marionnettiste incroyable. Lorsqu'on était ici, en tant que comédien, on ne voyait pas les marionnettes comme une possibilité d'évoluer où d'avoir une cohérence théâtrale. On les voyait comme quelque chose de très récréatif. Donc c'est là-bas que l'on a assisté à une nouvelle proposition artistique, pas seulement une proposition scénique, mais aussi tout un espace mis en place. Cela nous a fait comprendre quelque chose, et a donné une nouvelle dimension aux marionnettes. Ici en Colombie on n'avait jamais réussi à avoir une relation aussi forte. J'ai découvert qu'il y avait un espace de recherche, d'investigation, et que cela m'intéressait de travailler dans ce sens, et dans l'animation d'objets. On a commencé le processus de création en 1983 en fondant le Pequeño Teatro de Muñecos. Mais ce n'est pas pour cela que l'on a mis de côté l'importance de l'acteur. Le comédien et la marionnette sont pour nous deux éléments indissociables. Il y a tant de possibilités de jeu, autant avec le corps qu'avec la marionnette.

Et pensez-vous que l'artiste ait une responsabilité ?
Leonor : Bien sûr ! Nos spectacles sont toujours en rapport avec la réalité qui nous entoure, car si un artiste n'évolue pas dans son travail avec une époque ou une situation, je ne crois pas qu'il puisse rester artiste. Donc c'est un grand mot, responsabilité, mais comme on l'emploie ici, je pense qu'elle est conséquente, notre responsabilité : on doit dire des choses, ouvrir les yeux à ceux qui les ont fermés, à ceux qui avancent dans l'obscurité. Car pour moi l'artiste a comme un troisième œil, sur ce qui se passe au sein de la société, sur le rythme effréné de la vie, sur la globalisation, sur le bruit, et sur toutes ces choses qui se passent dans le monde. On est obligés de sensibiliser les gens, de leur offrir de nouvelles possibilités. Sans cela je crois que je ne continuerais pas à faire de l'art.
Gerardo : Nous avons une responsabilité, oui. Le théâtre est une manifestation sociale, il a une fonction sociale. Ce serait très difficile, pour nous, de faire abstraction du monde, on vit dans une réalité qui touche l'homme. Notre objectif, plus que de faire de l'argent, est de proposer de nouvelles choses à un public submergé par la rapidité du quotidien. Il n'a plus le temps de lire, ni de penser. Nous autres les artistes, c'est ce que nous faisons. Puiser dans ce qu'offre la vie et le présenter sous une autre forme au public, par le biais des marionnettes. De les émouvoir. De les faire réfléchir. Généralement, chacune de nos pièces est différente. On ne se répète jamais, c'est une recherche constante, vers autre chose. Pour pouvoir arriver à montrer ce que l'on veut au public.
Leonor : La pièce que vous avez vu est didactique, par exemple. On se dit : aujourd'hui, on veut que le public soit ému, et de ce fait, il laisse sortir les larmes, car on lui offre du mélodrame, et parfois on le fait rire, avec une farce poétique. Mais au milieu du rire, de la fantaisie, il y a toujours des choses qui se disent. On ne le laisse pas partir sans rien, il y a toujours un élément transcendantal.

Que pensez-vous que le théâtre de marionnettes puisse apporter aux gens ?
Gerardo : Il apporte beaucoup. On n'a jamais classifié notre travail comme étant du spectacle pour enfant. Ça a été très difficile car l'enfant vient systématiquement accompagné d'un adulte, on essaie donc de toucher l'adulte pour qu'il continue d'amener son enfant. Car on peut amener un adulte à réfléchir, on peut atteindre son cœur et réactiver en lui ce qui est mort en grandissant. Lui donner la possibilité de profiter de la fantaisie. L'enfant, lui, est plus vierge. Il a déjà toutes ces choses en lui, il joue avec les marionnettes, converse avec elles, sa relation est très naturelle. Nous autres adultes avons déjà un niveau de réflexion plus complet.
Leonor : Il y a quatre chose de très important, en parlant d'apport : les marionnettes rassemblent tous les arts à la fois : du théâtre, de la danse, de la plastique, de la musique. Nous sommes privilégiés dans ce sens. Quand on crée une marionnette, rien n'est laissé au hasard. Elle naît d'un processus de travail, de dessin, elle doit avoir certaines caractéristiques car la pièce le demande.
Gerardo : Ce que nous faisons, c'est former un public pour le futur, à travers l'art plastique, la danse, la musique et le théâtre. Beaucoup d'adultes viennent voir nos spectacles et nous disent : "Je ne savais pas que les marionnettes étaient comme ça, je ne m'imaginais pas ça." Dans la Casa de los Titeres, il y a une vision beaucoup plus universelle, beaucoup plus ample de ce que sont les marionnettes. Ce ne sont pas "juste" des spectacles pour enfants. Cela vise tout un chacun.

lundi 20 avril 2009

Jacqueline Vidal et Serafín Arzamendía, Teatro Experimental de Cali (TEC), Cali

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Jacqueline Vidal : Je m'appelle Jacqueline Vidal, je suis actrice et je fais la mise-en-scène de plusieurs œuvres. Je travaille avec le TEC depuis bientôt 50 ans...
Serafín Arzamendía : Je m'appelle Serafín, je fais de la musique et je travaille en tant qu'acteur au TEC depuis environ 18 ans, à temps complet et dédication exclusive.

Pouvez-vous nous raconter l'histoire du Teatro Experimental de Cali (TEC) ?
Jacqueline V. : C'est une histoire très longue. Très longue. En 1955 Enrique Buenaventura a commencé à former des gens ici à Cali pour faire ce théâtre. Un théâtre qui à la fois intègre l'histoire de l'Amérique latine et qui s'engage dans la lutte de libération des pays qui ont été colonisés. Cela fait déjà 55 ans.
Nous proposons une formation intégrale aux gens dans une forme très... la création collective, telle qu'elle se pratique au sein du TEC, met l'accent sur deux choses, selon moi : premièrement, tu touches la matière du théâtre. La matière du théâtre, c'est la relation de deux forces qui sont dans l'imaginaire collectif, ou dans la société, mais qui sont venues au théâtre pour s'affronter, se confronter. Ensuite vient l'improvisation. L'improvisation par analogie, c'est-à-dire le chemin artistique pour réunir ces conflits qui nous intéressent.
Et la poésie, la grande poésie. Au début, Enrique Buenaventura a formé les gens avec le théâtre classique, avec Shakespeare et d'autres. La formation des gens ici se fait vers un théâtre qui donne beaucoup d'importance à la poésie, à la parole. Ce qui différencie le théâtre de toute autre forme d'art du spectacle, c'est la parole. C'est la musique du mot.
Mais c'est aussi un théâtre très festif, qui donne aussi beaucoup d'importance au langage non-verbal, à la plastique, Buenaventura était aussi peintre - il faisait les dessins des costumes et des décors qui surgissaient des improvisations, puisque tout surgit des improvisations.
Ce sont les caractéristiques de notre théâtre.

Avez-vous déjà regretté d'avoir choisi cette voie ?
Serafín A. : Si on regrette ? non. Sans remord ni regret. On essaie de s'éloigner un peu de nous-mêmes. De voyager par ce biais. Et on ne le regrette jamais puisque c'est ce que nous voulons faire, et c'est ce que nous faisons : transformer. On est tout le temps dans la transformation. Et ce avec la méthodologie relativement moderne et avancée de la création collective.
C'est un divertissement pour nous, on s'amuse énormément en faisant ce type de théâtre.
Jacqueline V. : Et il faut que le public s'amuse, lui aussi !
Serafín A. : Bien sûr, il faut divertir le public. S'amuser en divertissant le public.
Jacqueline V. : Non, le chemin de la création collective, c'est un chemin encore inexploré. Il y en a qui retournent au vieux théâtre, mais c'est parce que, d'une certaine manière, la société est en train de régresser. Le capitalisme impose encore une fois ses lois, de façon très cruelle. Beaucoup de jeunes s'intéressent à ce théâtre.
Nous, ici, nous avons des ateliers de formation auxquels assistent beaucoup de jeunes qui se forment sur le tas.
Les acteurs s'occupent eux-mêmes de toutes les activités nécessaires pour faire du théâtre, par exemple Serafín s'occupe de tout l'équipement technique et il est aussi professeur. Nous avons des formations tous les jours, formation physique, vocale,... tous les jours. Serafín est devenu un grand maître des arts martiaux. Nous pensons que les arts martiaux sont très importants parce que, dans les arts martiaux, si on ne comprend pas bien le langage gestuel de l'autre, on peut perdre la vie ! C'est une formation intéressante pour les acteurs, les arts martiaux chinois qui travaillent par analogie : comment se bat l'éléphant ? Comment se bat la fourmi ?

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait une responsabilité ?
Serafín A. : C'est le plus irresponsable de tous ! (rires) Mais oui, il y a un engagement politique, parce que l'art est politique, et l'art est social. Il fait partie d'un évènement social. Et l'engagement de l'artiste, c'est celui du sens.
Moi non plus je ne suis pas Colombien, je viens du Paraguay et là-bas, penser c'est un délit quand les militaires sont au pouvoir. Je suis donc parti du Paraguay pour chercher la manière de pouvoir développer ma pensée, et j'ai trouvé ce lieu qui m'a paru très intéressant, c'est une réflexion qui rompt avec tout, et donc j'y suis resté pour apprendre, et ça fait pas mal de temps que j'apprends, et je continue d'apprendre, tous les jours on apprend ici. Et c'est cela l'engagement de l'artiste : apprendre tous les jours pour pouvoir transformer, et donner quelque chose au public.
Jacqueline V. : Oui, c'est sûr que Buenaventura a toujours insisté sur le fait que notre lutte est artistique. Mais l'art a des implications. Le seul fait monter sur scène, c'est un défi. Si on n'a rien à dire, de quel droit monte-t-on sur la scène ?
Toutes les activités de la vie sont politiques, jusqu'à la façon de dire "bonjour" le matin, de se réunir avec les autres pour manger...tout. Mais peut-être que l'art, c'est plus que cela. C'est une forme qui cherche au-delà de ce que peut faire la pensée rationnelle. Il arrive souvent que nous montions une pièce, et peu de temps après, il arrive quelque chose qui établit que nous avons eu une sorte de prémonition. Je crois que c'est Maïakovsky qui dit que l'art est futuriste, ou alors qu'il n'est pas. C'est-à-dire que c'est une vision : qui n'exprime pas obligatoirement des désirs, des pensées.
De toute façon, notre niveau c'est celui de l'expression. On exprime donc ce qui n'est pas, mais ce qu'on voudrait dire. Il faut en être conscient et se rendre compte de ce qu'on dit, de ce qu'on fait.
La formation de l'acteur c'est bien sûr de jouer, mais aussi d'être spectateur. C'est pour cela qu'il y a toujours ceux qui improvisent, et ceux qui "lisent". Et ce rôle de metteur-en-scène s'apprend sur le tas, parce que n'importe quel acteur peut proposer une improvisation et après le groupe analyse ce qu'il vient de se produire. On a besoin de beaucoup de temps pour cela, la création collective nécessite toujours beaucoup de temps. Mais on pense que c'est ce qui est propre au théâtre. Même ceux qui le nient ne peuvent pas ne pas faire de création collective, parce qu'il y a ce moment où rien n'a été répété, où rien n'a été pensé, qui est celui de la relation entre le public et le spectacle.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Silence.
Jacqueline V. : Douter. Douter de soi-même. Et observer, essayer de donner un sens à la vie. Trouver un sens à toutes les activités de l'être humain.


Cristóbal Peláez González, Teatro Matacandelas. Medellín

Tout d'abord, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Bonjour, mon nom est Cristóbal Peláez González, et je suis directeur du Teatro Matacandelas de Medellín en Colombie.

Comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
Cela a commencé très tôt, à l'école. Chose étrange, on avait un prof qui aimait monter des spectacles, et chaque année, durant la semaine culturelle, on pouvait assister à de la danse, du chant, du cinéma, et cela nous permettait de sortir un peu du système académique. J'ai commencé en participant à des comédies très courtes, très drôles, et après être monté sur scène, je me rendu compte que le théâtre m'avait absorbé de telle forme qu'il fallait que je me retire de l'école pour exercer cet art autrement, de manière plus autodidacte. Ce qui m'a fait voyager en Espagne, ou j'ai suivi des études plus sérieuses, puis fait du théâtre indépendant.

Pouvez-vous nous raconter la genèse de Matacandelas ?
En 1975, je pars donc pour l'Espagne. C'est une année très intéressante, puis c'est celle de la mort de Francisco Franco. Le pays subit un espèce de renversement social assez important. Surgissent des mouvements culturels et théâtraux dans toute l'Espagne, c'est une période critique, révolutionnaire. Lorsque je reviens en Colombie, je retrouve les compagnons avec lesquels j'avais fait mes premiers pas au théâtre, et on décide de fonder un groupe. Une sorte de "point de rencontre" pour la vague d'inquiétudes et de préoccupations esthétiques qui nous submergeait. Il a été fondé par trois personnes : Héctor Javier Arias, un des camarades de collèges, davantage tourné vers la musique, John Eduardo Murillo, plus intéressé par la littérature, et moi-même.

Que défendez-vous en faisant du théâtre ?
Pour moi, faire du théâtre, de manière basique, va dans le sens de reconstituer une patrie que j'ai perdue, ou que j'ai l'impression de perdre. C'est la possibilité de se rapprocher de l'enfance ... on sait que la plus grande tragédie de la vie, c'est de sortir de l'enfance, cette chute phénoménale. Donc le théâtre est une sorte de substitut de l'enfance, pour éviter la chute, c'est une forme plaisante de vivre. Le théâtre m'a permis de revenir aux choses que j'aime dans la vie. Mais cela n'a pas été une arme de défense ou de construction, mais sinon plus de partage. Partager un point de vue, une expression, se réjouir un peu de la vie. Car pour moi la vie est une porcherie. On a besoin d'inventer des choses pour ne pas mourir de la réalité qui nous entoure. Ces choses dont je parle sont la peinture, la poésie, la danse, et le théâtre. Et ceux qui ne sont pas créatifs s'en sortent par d'autres moyens. On essaie tous de surmonter cette terrible réalité, c'est incompréhension qu'est la vie. On essaie de l'éviter. Car l'existence, si on la regarde en face, est quelque chose d'atroce.

Comment travaillez-vous au sein du groupe ?
Le Teatro Matacandelas est le produit d'une époque très riche dans l'histoire du théâtre colombien. On a beaucoup cherché a travers d'autres moyens d'expression comme la danse et la musique. Le théâtre en Colombie est né d'arrivages, certaines compagnies espagnoles ont débarqué à Buenos Aires, d'autres au Chili, et certaines arrivaient en Équateur et remontaient jusqu'en Colombie. C'est comme ça qu'on a eu de très bonnes compagnies espagnoles, mais aussi argentines. Nous autres, les Colombiens avons mis le pied à l'étrier plus tard, dans les années '50, durant lesquelles se sont formées les premières compagnies théâtrales. Et à cause du manque de dramaturges, du manque de tradition théâtrale dans le pays, l'acteur s'est fait lui même dramaturge. On a appelé ça, de manière discutable, le "Nouveau Théâtre". Certains noms surgissent de cette période : Enrique Buenaventura, notre maître Santiago Garcia, que l'on reconnaît comme notre père. Pour l'instant l'histoire théâtrale colombienne ne connaît pas de mère. Et c'est avec cette méthodologie que l'on a commencé à travailler. Des choses très intéressantes ont vu le jour, très diverses, critiques, contradictoires. Nous autres sommes le produit d'une seconde génération. Je rappelle que le groupe est né en 1979, et on a basé notre travail sur toutes ces méthodes en cours, celles de Stanislavski, de Brecht qui a été un véritable appui dans notre approfondissement théorique, puis dans sa mise en pratique. Et à partir de cette matière, nous travaillons de manière collective. Cela s'appelle d'ailleurs Collectif Théâtral Matacandelas. Cela dit, on opère bien plus dans le sens du peintre que celui de l'homme de théâtre. On part de ce que l'on appelle "l'esquisse". Plus qu'improviser, on esquisse. Pour nous le théâtre doit réinventer à chaque mise-en-scène, comme le faisait Enrique Buenaventura. C'est la meilleure leçon que j'ai apprise. Et je travaille aussi beaucoup à partir de l'acteur comme créateur. C'est un homme qui a une conception du monde et de l'art bien particulière, une sensibilité poétique. Au sein de Matacandelas, on part toujours d'une idée, d'une scène, d'une forme que l'on modèle ensuite sur scène. C'est un laboratoire constant.

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait une responsabilité ?
Je crois qu'il a une responsabilité civique. Cela dit, on a trop souvent conféré au théâtre des responsabilités gigantesques, comme celles de régler la société, par dessus tout dans ces sociétés retardataires. Le théâtre est sensé avoir une tâche sociale. Mais l'art appartient surtout au territoire de la beauté. On lui a donné une mission qui dépasse le domaine culturel : celle de transformer le monde, mais dans ce sens, l'art ne sert à rien. Il peut aider à changer la vie, oui. Comme disait Arthur Rimbaud. Cela nous paraît plus intéressant.

Avez-vous déjà regretté votre choix ?
Non. Non, non. Si je devais recommencer, je referais du théâtre. Cela m'apporte beaucoup. Qui plus est beaucoup de gens disent que faire du théâtre en Colombie est quelque chose de très difficile, mais moi je dis que faire du théâtre en France est beaucoup plus difficile. Ici, d'une certaine manière, on a pu former un semblant de public, construire une tradition, on a un petit parcours historique, on balaye la scène pour les générations futures. Je donne toujours l'exemple qu'à Paris, en automne, sortent environ 300 pièces de théâtre. Dans une ville qui compte 4 critiques et 5 journaux. Ici, il y a 20 groupes de théâtre, et en automne il y a 2 pièces qui sortent. Donc c'est toujours un succès. En France, les critiques n'ont pas toujours le temps ni l'envie d'aller voir 300 pièces. C'est beaucoup plus difficile de trouver de la reconnaissance à Paris.

Que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Du bonheur, du contentement. Je crois que le théâtre permet de "participer" à un cauchemar sans le vivre vraiment. Cet art est une hypothèse sur le chaos. Qui a inventé le principe de la bombe atomique ? Quelqu'un a répondu : les Grecs. Sophocle, Euripide. La destruction, le chaos, la catastrophe. Puis tout se recompose, et laisse place à l'ordre. C'est aussi le principe de la création de l'univers. Dans le sens où du choc des astres et des planètes surgissent les astres et les planètes. La Terre est le produit d'un chaos. Et on dit que le théâtre est un espace où, hypothétiquement parlant, l'homme se révèle à lui même. C'est un jeu très amusant : il n'y a pas un acteur qui ne voudrait pas mourir sur scène. "Je veux ce rôle, je veux montrer l'agonie" C'est un essai sur la douleur, sur le cauchemar. Grotowski a un très concept du public : quand il entre dans la salle, il est Antigone pendant 1h30. Quand il en sort, il redevient Amphytrion. C'est un jeu, celui de la transformation. L'humanité ne peut pas vivre sans le théâtre. Shakespeare disait que le monde entier est un théâtre. Cela permet une distanciation. Chez les animaux il y a aussi ce jeu théâtral, cette transfiguration...