mardi 26 mai 2009

Teatro Colectivo Mano 3, Cuenca

Pour commencer, présentez-vous brièvement.
Paúl Sanmartín: Voyons, bien, je suis Paúl Sanmartín, j'appartiens à la compagnie de théâtre Mano 3 de Cuenca en Équateur. J'ai travaillé comme acteur, metteur-en-scène, ça fait déjà quelques temps que j'explore cette voie-là.
Patricio Viteri : Mon nom est Patricio Viteri, je viens de la ville de Quito en Équateur. Ca fait quatre ans que j'appartiens au groupe Mano 3, je suis sorti de l'Université de Quito, et j'ai aussi étudié à l'école de théâtre social du Cronopio. Là-bas j'ai travaillé quelques temps avec des groupes locaux, de diverses tendances, dont le théâtre-cirque, le théâtre formel, le théâtre dramatique, le théâtre de rue, le théâtre pour enfants, dans les centres commerciaux, des choses comme ça. Et maintenant ça fait quatre ans que je travaille avec le collectif Mano 3.
Karla León : Bonjour, je suis Karla León, j'appartiens aussi au théâtre collectif Mano 3

Pouvez-vous nous raconter la genèse du théâtre collectif Mano 3 ?
Paúl : Le théâtre collectif Mano 3 naît il y a - je ne sais pas si je suis précis, mais ça fait environ quinze-seize ans, sous la forme d'un projet qui portait un autre nom. Avec un compagnon on a fondé le groupe, on venait de la danse folklorique, du folklore, on s'est retrouvés avec le théâtre à un moment et on a décidé de faire une proposition scénique de fusion des deux arts. A ce moment, je suis parti étudier à Cuba, et quand je suis revenu - là-bas j'avais été en contact avec des artistes et metteurs-en-scène cubains - on a décidé de "tomber". Parce qu'à ce moment-là, on avait une proposition académique et notre façon de résister, c'était à travers le groupe. L'idée était donc de faire venir des artistes cubains pour faire un projet binational. Les amis cubains sont venus, le groupe s'est formé et on a investigué. Plus qu'un groupe de théâtre, c'est un groupe d'investigation qui cherche à comprendre comment le langage corporel rencontre un espace, un lieu de cette planète, qui a une caractéristique particulière, comme Cuenca - et peut-être, si on avait été ailleurs, ça aurait été différent. L'idée c'est d'identifier Cuenca, pour comprendre son identité, et, à partir de son identité, pouvoir la représenter. Peu à peu, le groupe s'est développé jusqu'à avoir plusieurs pièces à son actif et participer au mouvement théâtral de Cuenca. On cherche ce que peut faire le théâtre pour la construction de notre identité.

Comment travaillez-vous au sein du collectif ? S'agit-il de créations collectives ?
Patricio : Je considère que la création collective ce n'est pas une technique de travail, c'est une politique de travail. Notre façon de travailler est donc celle de la création collective, en effet, parce que personne ne dirige ici. On cherche un metteur-en-scène en particulier au moment où on veut monter une pièce, mais on travaille de manière collective. Pour moi c'est ce qui aide chaque membre de la troupe à évoluer, avec la possibilité de pouvoir faire quelque chose quand ils le souhaitent, il n'y a pas de hiérarchie, chacun peut participer. Quant à la technique elle-même, on est sans cesse en recherche, on a plusieurs tendances : Paúl s'est formé dans le théâtre anthropologique, nous plutôt dans l'art dramatique, etc... On n'a donc pas encore de technique propre, mais on est dans cette recherche quant à notre style de travail.
Paúl :
L'idée c'est aussi qu'au sein du groupe, tous les intégrants passent par l'expérience de la mise-en-scène. Et malgré le fait qu'on soit en recherche, on a commencé à trouver des choses spécifiques. La dramaturgie de Mano 3 passe par l'image. Le public ne sort pas de nos pièces avec une histoire, mais avec des images.

Pouvez-vous nous parler de votre intervention sur la Plaza de las Flores, de votre engagement politique ?
Patricio : Il n'y a aucun engagement politique ! (rires) Je vais te confesser que - je ne sais pas si ça intéresse tout le monde, mais - on a un gouvernement, celui de Rafael Correa (actuel président de l'Équateur, ndlr) qui finit son mandat. Il a créé certaines instances qui me paraissent bien acceptées, des aides pour la culture qui n'existaient pas dans ce pays et ça vaut la peine de le dire, parce que, regarde, combien d'années de vie républicaine on a derrière nous, je ne sais pas, mais jamais on avait eu d'aides pour le théâtre, jamais. On n'a jamais reçu d'aides de l'État, et on s'est habitués à travailler comme ça. Il me semble donc que les réformes qu'il a engagées dans ce domaine sont nécessaires. C'est aussi un vote de confiance, parce qu'on ne sait pas ce qu'il va se passer, la vie politique est telle qu'elle est, tu ne sais pas ce qui se passe demain, peut-être ils te donnent pas l'aide et c'est de la pub pour gagner des votes. Ce qu'on a fait mercredi c'était donc au final plus une affinité de Paúl avec une amie. On l'a donc fait, mais on a pas brandi de drapeaux, on a fait notre travail, rien de plus, je crois.
Paúl : J'aimerais ajouter que je crois que la nécessité de militer et de comprendre les processus culturels sont déterminants. Ça me paraît très important. Pour moi, aborder des thèmes avec le théâtre, prendre position à partir du théâtre sur l'identité, parler de la mémoire du peuple, c'est déjà une prise de position politique. Moi oui, j'ai un engagement militant dans un processus de réformes. Souvent les politiques culturelles de l'Equateur ne parviennent quasiment jamais ici, en province et dans les régions. De cette manière aussi on peut y opposer une résistance. La périphérie a toujours été un lieu de propositions et d'alternatives, c'est avec cela qu'on est engagé. Avec une vision de l'Etat, une vision constitutionnelle où la culture serait garantie. Je ne sais pas si ça se réalisera, c'est un moment critique maintenant, pour cela justement. Il s'agit de montrer que la culture est un élément essentiel pour un pays, pour sa vie sociale. On va donc militer activement sur les places, dans les lieux où on a de la visibilité. La pièce qu'on mentionnait est basée sur un fait historique où une grande poétesse de l'histoire de la poésie équatorienne se suicide sous la pression d'une députée conservatrice et de diverses circonstances sociales. Et au-delà de ça ! Son corps, jusqu'à présent, on ne sait toujours pas où il se trouve, alors que ça s'est passé en 1857. On la cherche, c'est donc un engagement politique. On voulait la rappeler à la mémoire des gens.
Karla : Si on revient un peu au thème politique, je crois que la prise de position, c'est très personnel, de soutenir ou non un candidat. Et là-dessus le groupe est très clair : on n'utilise pas qu'une seule couleur.

Que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Patricio : C'est très vague. Parce que, par exemple, le théâtre comme proposition pédagogique pour les enfants, c'est un apport très précieux pour l'auto-estime de l'enfant, la liberté de partager, la liberté de voir la vie différemment, pour ouvrir des espaces en soi-même, pour pouvoir avoir des relations humaines, pour avoir confiance en soi, effacer l'égoïsme, pour aborder des thèmes difficiles comme la séparation des parents par exemple, jusqu'au problème de drogue. Pour moi, c'est un apport très précieux, le théâtre, pour soi-même, dans l'enfance. Ca me paraît fondamental que les enfants de 4-5 ans aient des cours de théâtre. A l'adolescence aussi le théâtre me paraît important, quand tu commences à forger ton esprit, tes valeurs, ta manière de voir la vie, de partager, ta façon de voir la sexualité, ta famille, ce qui t'entoure, la vie politique, la religion, etc... Et après, si on parle du côté professionnel, pour moi c'est un espace où tu peux voir la vie, pas depuis la réalité, mais à partir de tes rêves. Et pouvoir exprimer cette créativité que te donnes le théâtre lui-même, tu commences donc à te façonner tes rêves et à vivre une profession différente et alternative. Pour moi le théâtre c'est ça, c'est une façon d'exprimer les rêves, n'importe lesquels par exemple : j'ai toujours eu envie de créer une famille dans le groupe, avec tout ce que cela implique, parce que c'est très difficile, parfois tu te fâches, tu ne produis rien, mais d'un autre côté, réussir à fonder une famille dans un monde où tous s'arrêtent au lieu de s'unir. Pour moi le théâtre c'est tout le contraire, quand tu commences à former un groupe, avec toute cette familiarité que tu essaies de créer, c'est le produit d'une cellule qui a besoin du monde qui l'entoure pour pouvoir grandir, pour pouvoir être bien. Pour moi c'est ça, le théâtre.
Paúl : Voyons... je pensais - pendant que Pato parlait - que le théâtre était peut-être un mouvement de l'âme. Le théâtre est un moteur qui rassemble les situations d'une humanité qui a besoin de ne pas se laisser mourir. C'est un lieu de transformation sociale : c'est super nécessaire.
Patricio : Je crois aussi que chaque ville a un besoin différent du théâtre, il n'y a pas de généralités, on ne peut pas dire : "le théâtre sert à ça". Je crois que chaque ville, chaque lieu a sa nécessité propre. Et je crois que le théâtre est lié à la vie-même d'une ville. Parfois les gens ont besoin de rire plus, regarde le théâtre colombien par exemple, face à tout ce qu'ils vivent, face à toute la violence qu'il y a dans ce pays, si tu regardes les troupes, ils créent un théâtre super festif, c'est un théâtre plein de vie ! Je suis partisan du fait que les gens ont besoin de rire plus, ils ont besoin de rire plus, rien d'autre.
Karla : Le théâtre est un outil. Un outil pédagogique, pour gérer les conflits. Il y a mille formes d'utiliser le théâtre. Pour moi, c'est surtout une réflexion sociale, c'est un reflet de la société. La montrer sur scène, c'est un moyen de l'affronter. Pour moi, le théâtre c'est une forme de vie.

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