lundi 25 mai 2009

Piotr Zalamea, directeur de la compagnie Barojo, Cuenca

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots, nous expliquer ce que vous faites ?
Ce que je fais ? Je ne sais pas ce que je fais ! (rires). Je crois que je suis engagé dans les arts, c'est l'unique raison qui vaille réellement la peine, les arts. Tout le temps que j'ai, toutes les heures, j'essaie de les consacrer à l'art, mais pas seulement dans un art où moi je me sens bien, et voilà.
Je crois aussi que, dans des pays comme l'Équateur, dans des villes comme Cuenca, les gens ont besoin d'avoir accès à l'art. J'ai eu beaucoup de chance d'avoir accès à l'art dans ma jeunesse, quand j'étais au collège. Je crois que ce moment de ma vie a été si riche que j'aimerais que plus de gens y aient accès.
Je partage donc mes journées entre faire de l'art et aider les autres, surtout les jeunes, à se familiariser avec l'art, à jouer avec. J'aime jouer.

Comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
Peut-être parce j'étais très mauvais pour tout le reste ! (rires).
Ma maman y est pour beaucoup : toujours, depuis tout petits, elle nous a familiarisés avec tous les arts. Elle nous faisait peindre, écouter de l'opéra, danser sur des musiques équatoriennes et européennes - ma mère est européenne - les deux continents ont toujours été unis chez moi. Quand j'étais au collège, on m'a invité. J'étais étudiant. "Enregistrons un conte sur cassette", "Ok !" "Maintenant enregistrons une vidéo", "Ok!"; "Tu veux faire du théâtre ?" "Ok, je fais du théâtre." "Tu veux faire de la danse ?" "Ok, je fais de la danse!" Après, quand je suis arrivé à l'université et que j'ai dû choisir une formation "normale", aucune ne me contentait. Je ne sers à rien pour l'ingénierie, la médecine ne me plaît pas, les arts me plaisent, je vais donc faire de l'art. Je suis resté dans l'art, j'espère que c'est pour toujours, mais on ne sait jamais ce qui peut se passer le jour suivant.

Pouvez-nous nous raconter la genèse du Teatro Barojo ?
J'étais présent lorsque Barojo a été fondé, mais j'étais au collège à l'époque, j'avais été invité, j'avais fait un peu de théâtre et le directeur, William Saquicela m'a proposé : "on va former un groupe, tu veux y participer ?" J'ai accepté et peu à peu... Ça c'était au moment de la formation du groupe, je suis le seul qui suis resté, depuis. Les années ont passé, William a dû voyager, les problèmes de migration en Équateur sont forts, il a dû quitter l'Équateur, il est maintenant aux États-Unis et travaille toujours dans le théâtre. Moi je suis resté ici en Équateur, William m'a directement dit : "tu continues avec le groupe".
Quand j'ai été directeur de Barojo, je ne savais pas diriger quelque chose : "Comment je dirige ?" Ça a été des années d'étude, avec l'aide de mes compagnons du groupe qui ne m'ont pas laissé seul, heureusement. On a appris à mettre-en-scène, à traduire, à monter des pièces. Barojo, pour moi, c'est tout un centre de vie.
Actuellement je suis très fier, parce que Barojo a pu se présenter dans des festivals internationaux, gagner l'appui des producteurs d'autres pays, notamment des Mexicains qui ont voulu nous soutenir pour créer des pièces.
Pour un petit groupe qui faisait quelques petites choses au collège, pouvoir faire des choses plus grandes, représenter l'Équateur à l'étranger.
Je suis très fier de représenter l'Équateur, mais je suis aussi Polonais, je ne laisse pas mon autre nationalité. Et même si Barojo est un groupe équatorien, tout ce que je fais est aussi polonais, les deux sont liés.

Comment définiriez-vous le genre de théâtre que vous faites ?
Mmm... bizarre (rires). Comme on a jamais eu quelqu'un qui nous a défini une ligne, Barojo a toujours été un théâtre expérimental, parce qu'on expérimente. Au début, parler d'expérimental sans avoir aucune base, c'était trop prétentieux. Je sais que les premières pièces de Barojo n'étaient pas expérimentales.
Actuellement je crois que Barojo a pour objectif de faire du théâtre expérimental, mais pas éloigné des autres objectifs : il a beaucoup de théâtre social, du théâtre de guérilla - qui n'a jamais perdu sa vigueur à Cuenca - le centre urbain n'a plus besoin d'un théâtre de guérilla, mais le centre urbain ce n'est pas la même chose que la périphérie de la ville. Ce n'est pas seulement que je sens que c'est nécessaire, mais je crois que les gens en ont besoin.
Si tu me demandes si Barojo a une ligne, je ne crois pas qu'il en ait une. Il n'y a pas un groupe de 5 personnes et voilà. C'est un groupe de 40 personnes qui travaillent diverses activités : il y en a qui travaillent les propositions de théâtre expérimental, d'autres qui veulent juste apprendre à jouer des percussions. Il y a différentes étapes.

Vous travaillez beaucoup avec les jeunes, n'est-ce pas ?
Oui, surtout Daniel - mon frère - et moi. On a suivi une formation parallèle au théâtre. Quand on faisait du théâtre on était aussi liés à des groupes d'action sociale. Et tous les deux, nous avons étudié la pédagogie. Ça nous passionne.
Il y a une partie de Barojo qui travaille avec les jeunes, et une qui travaille avec les enfants. Bizarrement, nous les hommes on travaille plus avec les jeunes, et les femmes avec les enfants, sans qu'on ait défini quoique ce soit au préalable.

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait une responsabilité ?
Totale.
Totale. Par chance - et c'est l'une des raisons pour laquelle je ne pense pas quitter l'Amérique - en Amérique il y a cette ébullition, des choses se passent. Et quand on se réunit pour faire du théâtre, c'est un peu le lieu où se concentrent ces ébullitions, il y a beaucoup d'idées, de choses, politiques, artistiques aussi, culturelles que les gens veulent exprimer. Et tu ne peux pas tout dire partout. Il y a donc une grande responsabilité : comment je vais le dire ? pourquoi ? où ?
Je crois que j'ai un positionnement politique très clair, mais je sais que ce positionnement politique, ce n'est pas responsable de le porter partout. Si je vais voir un groupe de jeunes de 15 ans qui apprennent à connaître le monde dans lequel ils évoluent, le pays dans lequel ils vivent, et que je leur présente ma ligne politique comme étant l'unique option, ça ne leur apportera rien. Je sentirais que je suis en train de les manipuler. Je crois qu'il existe ici une responsabilité : quand tu fais quelque chose, il faut essayer de voir comment tu peux faire pour que l'autre personne puisse discerner et non pas sortir du théâtre et se dire : "Aaah! Il faut tuer les policiers!"

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Tout.
Je ne crois pas que les gens vivent bien quand c'est bien économiquement. Les gens vivent bien quand ils se sentent bien à l'intérieur. Et la culture te mène à cela : à te sentir bien. Le théâtre sert de miroir, de rapprochement avec d'autres réalités. Le théâtre, c'est une grande fenêtre. Une fenêtre sur soi et les autres choses. Ça t'apporte de la vie.
Je reconnais qu'à Cuenca, je ne suis pas le seul qui en fasse, et je crois que tous les habitants de cette ville sont acteurs. Tous. Ils cherchent tous le moment où ils peuvent jouer. Il y a ceux qui ont décidé d'en faire leur vie - comme nous - et les autres qui, bien qu'ils soient ingénieurs, avocats, cherchent toujours un moment. Le 6 janvier il y a un défilé ici à Cuenca, pour le jour des Innocents et toute la ville est présente, déguisée. Il y a ceux qui participent au défilé et ceux qui vont juste y assister, mais tous sont déguisés et tu peux les voir jouer. Le plus commun, c'est de voir les hommes déguisés en femme, et ils sont très féminins ! Il y en a d'autres qui représentent le président, qui personnifient les évènements marquants pour le pays. Et le plus curieux, c'est que bien que la Faculté d'Arts participe au défilé, il y a aussi toujours les écoles d'ingénieurs, d'avocats,... et avec des mises-en-scènes intéressantes. Ce sont des chars avec des scénographies magnifiques, des costumes très dessinés, des personnifications très étudiées. Ce n'est pas simplement : je me mets le masque du président, donc je suis le président. Ils adoptent les postures, la façon de parler,... Cuenca est complètement théâtrale.

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