jeudi 30 octobre 2008

"Mujeres tras las rejas", femmes de la prison de Rosario

Veuillez-nous excuser pour la retranscription approximative et parfois elliptique des réponses, cela est dû à :
1) un très mauvais enregistrement vocal (qualité du dictaphone)
2) à un bruit ambiant permanent
3) à la superposition des réponses

Tout d'abord, pouvez-vous vous présenter chacune votre tour pour la caméra ?
- Je suis Valeria, j'ai 28 ans, je vis ici avec mes camarades où l'on forme un petit groupe, et ... voilà, rien de plus.
- Je suis Pamela, j'ai 25 ans, je suis là avec mes camarades et bon ... rien de plus.
- Je suis Mariela, j'ai 26 ans.
- Je suis Silvia, j'ai 22 ans, c'était ma première expérience de théâtre, et ça m'a beaucoup plus.
(Arriveront deux autres filles du groupe durant l'interview, l'une prénommée Lucia, l'autre ne se présentera pas)

Comment avez-vous choisi l'histoire de Soñando Venecia ?
On ne l'a pas choisie. C'est nous qui l'avons écrite.

Vous avez commencé à travailler par des improvisations ?
A partir de nos cahiers, juste à partir de nos cahiers. Puis on a commencé à répéter.

Comment avez-vous travaillé ? Qui est la metteur-en-scène ?
C'est Soledad Pedrana, et Mirna. Ce sont elles qui nous ont guidé, nous ont expliqué le système d'entrée/sortie, elles nous ont plus ou moins aidé à nous organiser. Elles venaient deux ou trois fois par semaines, et on répétait ici.

Quelle a été la plus grande difficulté ?
- Pour nous, c'était de retenir le texte. Et puis on ne savait pas où étaient les entrées, les sorties. Se déplacer dans l'espace, etc... tout ça nous a demandé beaucoup d'efforts.
- Savoir quand il fallait parler, après qui...
- Mais ce n'était pas tellement une question d'apprendre du texte, mais d'improviser à partir de nos propres mots.
- Pour finir on a toutes fait des efforts et on a réussi à sortir cette pièce !

Combien de temps vous ont pris les répétitions ?
Ça a duré toute l'année.

Comment avez-vous choisi vos rôles ?
- Chacune disait ce qu'elle voulait faire, ce qui la tentait.
- Certaines, celles qui sont arrivées après, ont pris les rôles qui restaient.

Combien de filles étiez-vous au début ?
- On était quatre.
- Non, on était nous six, mais avec d'autres filles, qui sont sorties il y a 2 mois.

Comment est née l'envie de faire du théâtre ?

-On en avait fait l'an dernier et ça nous avait plu. Mais on n'avait pas pu sortir la pièce comme cette fois et la jouer au Centre Culturel, on avait juste filmé et diffusé ce qu'on faisait, mais ce n'est pas la même chose.

Que pensez-vous que cette pièce ait apporté au public de Rosario ?
- Ce qu'on a vu, c'est que ça leur a plu, ils ont eu l'air de passer un bon moment.
- Je crois aussi que cela peut permettre au jeu de réaliser qu'ici, même privées de liberté, on est capables de choses. De s'intégrer à la société. Et qu'on pourra, si on sort demain, travailler, faire quelque chose.
- Certains pensent que parce qu'on est derrière les barreaux, on est des bonnes à rien.
- Mais je dirai que ça nous a apporté, à nous encore plus. Cette expérience a été géniale.
- Et puis pour occuper le temps, ici, c'est quelque chose de super, voilà, le théâtre nous plaît à nous aussi.
- Et pas seulement le jour de la représentation, mais à chaque répétition... on s'est beaucoup amusées en se trompant, en tombant ... on a beaucoup ri.
- Bon, il y a eu quelques soucis avec les costumes, on a cherché ce qu'on allait porter jusqu'à la dernière minute !

Est-ce qu'il y a des cours de théâtre, ici ?
Oui. C'est Mirna qui nous a donné des cours.

Que pensez-vous que le théâtre, en général, puisse apporter aux gens ?
- Pour moi, ça a vraiment été une belle expérience.
- C'était vraiment touchant. Les gens riaient tout le temps, même quand les filles se trompaient ...
- Il y avait un appui du public.

Vous avez remarqué un changement dans vos vie, en faisant du théâtre ?

- J'ai remarqué un changement, oui, mais plus en ce qui concerne nos relations, entre nous, les filles.
- Moi pareil. J'ai remarqué une évolution dans notre amitié. Mais pas par rapport à la pièce, non.
- Pareil. Ça a changé, en quelque chose de mieux.
- Pour moi qui suis arrivée depuis peu, ça a facilité mon intégration, ça m'a permis de mieux connaître les filles.
- Grâce à ça, on arrive un peu à reproduire ce qu'on avait étant libres et qu'on avait perdu en rentrant ici.
- Tout ce qui s'est passé l'autre soir, l'émotion, tout ça, ça nous a vraiment soudées. Nous, ce groupe, là.

mercredi 29 octobre 2008

Pipo Fernandez, Rosario

Pour commencer, peux-tu te présenter et nous raconter comment tu as eu envie de faire du théâtre ?
Bien, je m'appelle Pipo Fernandez, enfin, on m'appelle Pipo Fernandez, mon vrai nom est Horacio Fernandez. Je fais du théâtre, je joue, je mets-en-scène, je donne des cours pour enfants, j'ai notamment beaucoup travaillé dans les prisons pour mineurs.
J'ai commencé le théâtre parce que j'aimais faire des imitations. J'étais dans un collège de curés, et il y avait un curé espagnol qui était très très pieu. Une fois, on était dans une réunion avec d'autres enfants d'autres collèges catholiques, j'avais 12-13 ans, et à midi il y avait une espèce de pic-nic où les enfants présentaient des numéros : il y en avait qui jouaient de la guitare, etc... et ce curé espagnol a dit : " je vous présente maintenant un gamin qui fait de bonnes imitations" et il m'a envoyé devant ! Et je me suis dit : "qu'est-ce que je fais ?" et quand tout le monde te regarde, tu peux pas dire non. J'ai donc commencé à avancer vers la scène, les genoux tremblants tellement j'avais peur et je me suis dit : "bon, je me jette à l'eau". Et quand j'ai vu qu'ils riaient, ils ne pouvaient plus me descendre de la scène ! et j'ai senti cette chose si forte qu'est le théâtre et depuis, je continue, passant par différentes choses. Mes parents, par exemple, ne voulaient pas. Ils ne sont jamais venu me voir jouer. Jamais. Ils voulaient que je sois comptable, tu m'imagines comptable, moi ? Et bon, à force de me battre, j'y suis arrivé, mais ça n'a pas été facile.

Comment définirais-tu le genre de théâtre que tu fais ?
J'ai eu la chance de travailler avec beaucoup de metteurs-en-scène et de faire tous types de pièces, toujours dans le cercle du théâtre indépendant - ce qu'il y a ici à Rosario, car il n'y a pas de théâtre commercial comme à Buenos Aires, de gens qui mettent de l'argent. J'ai travaillé des tragédies comme Hamlet, de la Commedia dell'Arte, du Molière, des grotesques argentins (genre mélo-dramatique typiquement argentin, ndlr) et beaucoup de café-concerts, un peu de tout en somme, et aussi de la comédie musicale.

As-tu fait une école de théâtre ?
J'ai fait des ateliers. Et quand j'ai commencé à donner des cours dans un hôpital psychiatrique, je me suis mis à étudier la pédagogie du théâtre, le professorat
.
Ici à Rosario, le théâtre est un art populaire ? Les gens vont-ils beaucoup au théâtre ?
Peu. Les gens vont peu voir du théâtre de Rosario. Ça leur demande beaucoup d'efforts. Ils vont voir du théâtre qui vient de l'extérieur, qu'il soit bon ou mauvais, peu importe ! Et ils paient n'importe quel prix.
Mais je crois que depuis quelques années, la tendance est un peu en train de changer, les gens vont un peu plus voir de choses rosariennes, surtout des café-concerts. C'est ce qui a donné de l'essor au théâtre rosarien : que les gens puissent aller boire ou manger quelque chose et voir un spectacle.

Peut-on vivre avec l'instabilité du métier de comédien ?
On ne peut pas en vivre. Maintenant il y a des jeunes par exemple qui ont commencé il y a environ dix ans et qui s'y consacrent à fond, avec plus ou moins de chance, et ils peuvent plus ou moins en vivre. En général, il faut faire d'autres choses à côté. Si on est jeune, célibataire, et qu'on accepte de vivre avec un petit revenu, on peut vivre du théâtre, ou s'il y a un parent qui t'aide... Mais moi quand j'ai commencé...non, impossible, impossible, j'ai dû faire beaucoup de choses pour pouvoir continuer à faire du théâtre. Je me suis marié, j'ai eu cinq enfants, ça m'a donc un peu compliqué les choses (sourire)... Mais si on est célibataire, on doit pouvoir le faire. Surtout si on a aucun engagement, aucun horaire et qu'on peut partir vendre la pièce, répéter beaucoup de temps et plusieurs oeuvres... on peut arriver à bien travailler.

Penses-tu que l'acteur ait une responsabilité ?
Pfiou. Une grande responsabilité ! Premièrement parce que l'acteur, l'actrice, créent des fictions dont les gens ont besoin pour se changer les idées. Quelqu'un a dit : "Le monde ne serait pas possible sans la fiction du théâtre". Donc ça, c'est un premier point de vue.
Ensuite il y a la question sociale. Ce que l'acteur peut faire, et dire, ce qu'il peut dénoncer, ceci est fondamental. Ensuite, une autre partie de cette question sociale, c'est le fait que l'acteur puisse apporter aux personnes qui ont moins de ressources, moins de possibilités, aux gens qui n'ont aucune idée de ce qu'est le théâtre : il peut les aider à s'exprimer.
Le théâtre tient beaucoup du thérapeutique, donc on le travaille dans le domaine de la santé et du social. Moi, par exemple, en travaillant dans la prison pour les mineurs, quand je disais aux jeunes qu'on allait faire du théâtre, ils me regardaient et me disaient : "qu'est-ce que c'est que ça ?". Je leur expliquais alors que le théâtre sert à raconter des histoires et en parlant, au fur et à mesure on a pu mettre en place des choses, et on a commencé à travailler le corps, à faire des saynètes et ils ont commencé à raconter des choses sur eux-mêmes. On a pu faire plusieurs pièces de théâtre comme ça, avec tout ce qu'ils racontaient. Ça, c'est la fonction sociale du théâtre.
L'acteur, l'art en général est fondamental.

Penses-tu que le théâtre doive nécessairement être engagé ou peut-il être un pur divertissement ?
Oui, oui, c'est certain. Le théâtre doit divertir parce que les gens ont besoin de s'amuser aussi. Je me rappelle, en 2002 ici ça a été une très mauvaise année parce que toute l'économie a chuté une nouvelle fois comme c'était déjà arrivé à plusieurs reprises, il y avait beaucoup de chômage, beaucoup de gens à qui les banques avaient retiré leurs économies... On jouait une pièce très comique et quand on sortait, les gens nous remerciaient pour le moment qu'ils avaient pu passer à rire. "Merci pour cette injection de vie", ils nous disaient, parce qu'ils avaient pu rire.

Que penses-tu que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Beaucoup de choses. Une infinité de choses ! Depuis le thérapeutique disons, jusqu'à cette question de l'évasion nécessaire à certains moments, comme le contraire aussi: prendre conscience des choses qui arrivent. Les deux côtés sont nécessaires et sont totalement complémentaires parce que les gens ont besoin de rire à certains moments, parce qu'ils sont en train de vivre une situation, une pression, surtout dans ce pays où il s'est passé tant de choses : l'économie a chuté, on a passé par la dictature, etc... Les gens ont besoin de rire. Le théâtre est là. Et aussi, les gens ont besoin de savoir comment étaient les choses, qu'est-ce qu'il s'est passé. Et le théâtre est là aussi.

Mario Vidoletti, dramaturge, metteur en scène et comédien à Rosario


Tout d'abord, pouvez-vous vous présenter et nous raconter comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
Je fais du théâtre depuis 15 ans. D'abord comme un jeu, puis c'est devenu une philosophie de vie. Je suis de Rosario, à 30 ans, je sus parti étudier à Buenos Aires avec Raul Serrano, un grand maître dans le domaine théâtral argentin. J'y suis resté 2 ans : j'arrivais sur Buenos Aires le mardi, et je repartais pour Rosario le vendredi. J'ai des enfants en bas-âge que je ne pouvais pas laisser. Ensuite, je suis revenu ici, et j'ai trouvé ce sous-sol, qui était en très mauvais état, et j'ai construit cette salle. Elle ne ressemblait pas à ce qu'elle est aujourd'hui, c'était beaucoup plus vétuste. Ça devait être en 1991. A partir de là, j'ai ouvert une école de théâtre en parentée avec celle de Raul Serrano à Buenos Aires, j'étais un peu le représentant de son école ici, à Rosario. Et au fur et à mesure des années, j'ai construit le bar, au dessus, le bar La Sede, qui s'est peu à peu transformé en bar à thèmes, avec du théâtre, de la poésie ... Les gens se réunissent ici et lisent leurs poèmes. J'ai aussi voyagé, en Europe, où j'ai étudié à Barcelone. C'est là que j'ai remarqué pendant l'entracte d'un spectacle, que le public profitait de la pause pour aller manger. Ils mangeaient, mangeaient, mangeaient ... Il m'est alors venue cette idée de combiner les 2 : le spectacle, et le repas. Parce qu'avec seulement le théâtre indépendant, il y a très peu de gens. J'ai pensé à un café-concert, qui se diviserait en deux parties : une salle de théâtre de ce côté, un café-concert de celui-là. Et à partir de 2000, on a commencé à faire nos spectacles ici. Il y a eu du monde.

Est-ce qu'il s'agit du même public qui vient déjeuner au dessus ?
Euh, non. Ce qui amène les gens, c'est le spectacle. A côté de ça, ils peuvent aussi manger. Certains viennent et ne mangent rien. Mais comme la cuisine qui se fait ici, ce sont des sortes de tapas, c'est beaucoup plus pratique pour regarder le spectacle en même temps. Cela dit, le public est toujours très attentif au spectacle. Et c'est ce qui fait que ce lieu est si particulier. Il y a tellement de bars ou de restaurants qui donnent des spectacles et où les gens mangent sans prêter attention, c'est horrible. Ici, non. On annonce le spectacle à 21h, et il commence à 22h-22h15.

Que pensez-vous du théâtre à Rosario ? Est-ce que les gens en consomment beaucoup ?
Le bouche-à-oreille fonctionne. Par exemple, mon spectacle, cela fait 9 ans que je le joue ici, et il a toujours eu du succès, parce qu'il a une bonne réputation... le bouche-à-oreille. Les gens l'ont vu trois ou quatre fois et reviennent. Ils amènent un ami, et ainsi de suite...

Et Faldas Largas, c'est vous qui l'avez écrite ?
Oui, nous sommes trois auteurs.

Et vous êtes aussi metteur-en-scène ?
Oui. Et je joue. Cela fait 8 ans.

Et il y a une autre pièce, également...
Oui, il s'agit de 6 contes, avec 2 menus de 3 contes chacun. On explique les histoires au public, et il vote par des cris, des applaudissements, pour choisir ce qu'il veut voir. C'est comme deux pièces en une.
Il y a aussi Inodoro Pereyra y Mendieta Perro de Roberto Fontanarrosa ... je ne sais pas si vous connaissez son histoire : il est mort l'an dernier d'une terrible maladie. C'est un dramaturge humoriste très important en Argentine. Il est de Rosario. Et il est très reconnu ici car il est toujours resté à Rosario, il n'est pas parti pour Buenos Aires. Il venait tous les jours au bar, ici, pendant 10 ans. L'histoire de la pièce, c'est un gaucho (le cowboy traditionnel d'Argentine, ndlr) qui vit dans la pampa avec son chien, et à qui il arrive des aventures. Le parlé est très populaire, et l'humour assez particulier. C'est très drôle. Et le chien parle. Il se tait la plupart du temps, sauf pour émettre des commentaires, toujours justes. Ce gaucho a aussi une femme, grosse, moche, et méchante. C'est une histoire très connue en Argentine, mais aussi en Espagne. Fontanarrosa avait la particularité d'écrire sur les habitudes des Qrgentins, sur les femmes, le foot, la famille, avec un humour qui lui était propre. Bon, c'est très argentin, mais en Espagne, cela plaît beaucoup aussi. Fontanarrosa est très connu.

Comment arrivez-vous à vivre avec l'instabilité du métier d'acteur ?
A Rosario, juste en jouant, c'est très difficile. Il faut donner des cours. Autre chose à côté. Comme il n'y a pas de grosses productions, et comme la télévision ne paie qu'à Buenos Aires ...

On ne peut pas faire de la télévision ici ?
Si. Mais il n'y a pas de production pour te payer. Depuis quelques temps, il y a des films qui se tournent ici à Rosario, dans lesquels peuvent travailler les acteurs locaux. Mais ils ont toujours les seconds rôles, les rôles importants reviennent aux comédiens de Buenos Aires, ceux qu'on voit à la télé. Cela se passe dans tous les pays. J'imagine qu'à Paris, ça marche mieux à Paris qu'à Toulouse ? (rires) Les grandes capitales bénéficient d'une économie plus développée, il y a plus d'argent. Moi j'ai réussi à vivre de ce métier avec ce lieu. Je joue ici, dans trois pièces différentes, et une à l'extérieur.

Croyez-vous que l'artiste de théâtre ait une responsabilité, un devoir ?
Oui. Je pense que tous les artistes sont passionnés par ce qu'ils font. Le fait de ne pas pouvoir en vivre justement nous force à maintenir cette passion. Il ne faut pas vendre un travail qui ne nous plaît pas. Alors on en fait moins, mais au moins ça nous plaît.

Mais parfois on ne peut pas faire uniquement ce qu'on aime, par exemple ceux qui jouent dans des séries pour gagner leur vie ...
Bien sûr. Mais ici à Rosario, c'est plus passionnel. A Buenos Aires, c'est différent, certains jouent dans des télénovelas ridicules, mais qui paient. Il faut bien manger et vivre dans une ville qui te dévore, elle. Moi, je fais du théâtre, mais je veux qu'il me plaise. Chacun décide. Avec ce bar, j'ai réussi à faire quelque chose qui marche. Ce n'est pas un gros business, mais ça fonctionne. Chacun vit bien. Et je peux jouer mes spectacles en fin de semaine.

Pensez-vous que le théâtre doit être engagé avec le contexte politique, social, ou bien est-ce qu'il peut être juste divertissant ?
Ça peut être les deux. Quand il y a un niveau de travail, ou d'esthétique, ou de poétique engagés, et pas seulement avec le contexte social, mais aussi avec l'humour. L'humour doit dénoncer certaines choses, car il faut avancer. Mais ça ne peut pas être seulement sérieux.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Je crois que le théâtre ne disparaîtra jamais. Car la relation entre l'artiste et son public est unique. Pendant les périodes de crise, la guerre par exemple, il y a toujours un artiste qui surgit pour dénoncer les choses, par exemple pendant la guerre civile espagnole. Bien plus qu'au ciné. Car il n'y a pas cette présence physique de l'acteur et du spectateur. Ça c'est quelque chose qui ne disparaitra jamais.
Le théâtre, ça fait partie de la vie : s'assoir pour regarder un autre jouer une situation, avec des problèmes, des conflits... c'est une aventure, un jeu. Faire du théâtre, c'est réapprendre à jouer. Comme un enfant qui joue à cache cache et dont tout le corps est complètement engagé dans la situation qu'il vit : ne pas bouger pour ne pas se faire voir.

vendredi 24 octobre 2008

Mireia Gubianas, à l'affiche dans "Gorda" , Buenos Aires

Peux-tu nous raconter comment tu as eu envie de faire du théâtre ?
La vérité, c'est que chez moi, à la maison, on m'a toujours dit que j'étais une excellente comédienne et que je devais me consacrer à ça (rires)! En fait, j'ai commencé à l'âge adulte. Petite j'ai étudié le chant, je chantais dans différents chœurs, et puis une fois je me suis dit que j'allais jouer parce que ça m'attirait beaucoup. J'ai commencé à prendre des cours de théâtre à 26 ans, j'ai tout laissé et pour l'instant ça fonctionne !

Peux-tu nous parler de la pièce Gorda, mise-en-scène par Daniel Veronese dans laquelle tu joues en ce moment à Buenos Aires ?
J'ai joué le même rôle à Barcelone, dans l'équipe et l'adaptation de Barcelone et ils m'ont proposé de venir ici. Ce qui m'a convaincue, c'est Daniel Veronese (le metteur-en-scène, ndlr) parce qu'il me semble que c'est quelqu'un qui a beaucoup de talent, beaucoup de capacités très élevées pour le théâtre. J'avais vu ses mises-en-scènes à Barcelone et à Madrid.
En réalité, on a dû travailler très vite parce qu'on avait peu de semaines pour le faire. Ça m'a beaucoup plu de travailler avec lui, c'est un metteur-en-scène qui te laisse beaucoup de liberté, et quand il doit corriger quelque chose, il a tant d'habilité qu'il modifie un truc et ça te chamboule tout. J'aime beaucoup son choix de théâtre "réel", qui donne au spectateur le sentiment de voir par le trou de la serrure. C'est pour ça que parfois les acteurs sont dos au public, où qu'on se marche sur les pieds, comme dans la vraie vie en somme. C'est pas un pied, et après le mien, forme à laquelle je m'étais un peu habituée en Espagne. En ce sens, Daniel me semble vraiment novateur, surtout en comparaison avec notre manière de voir le théâtre en Europe.

La mise-en-scène était vraiment très différente à Barcelone ?
Oui, c'était très différent. Je ne sais pas très bien en quoi c'est différent... Les acteurs n'avaient pas le même âge, on était plus jeune là-bas, je le dis parce que la lecture de l'œuvre, du conflit de l'œuvre, n'est pas la même, elle prend une autre dimension. Ce n'est pas pareil quand les personnages ont 30 ans ou 40 ans, la vision du texte de Neil Labute est plus frappante dans le deuxième cas.
L'option de Veronese, sa lecture de l'œuvre, le fait d'être plus incisif - ce n'est pas que ce n'était pas comme ça à Barcelone, ça l'était aussi - mais j'ai la sensation qu'il remue plus les viscères de ce qui se passe sur scène.

As-tu un rituel avant de monter sur scène ?
Non, je me concentre et ça dépend : il y a des jours où je dois plus me concentrer, où le corps est plus ou moins froid. Pour moi, le rituel c'est me concentrer, me connecter avec mes collègues, parler, boire un verre avant.
Et aussi écouter le public, les premiers moments de la représentation, les premières phrases, on prend la température, "voyons comment ça se passe aujourd'hui...!" (rires), s'ils sont plus ou moins distraits.
Voilà une chose qui m'a suprise ici, c'est comment le public de Buenos Aires réagit. Comparé à Barcelone, c'est un public très effusif, très présent, pour le meilleur et pour le pire. On a de la chance que la pièce fonctionne bien et que le public soit enthousiaste, tu le remarques beaucoup, parfois même trop parce qu'il est réellement très présent, surtout dans cette salle qui est très petite.

Justement, quelle(s) différence(s) remarques-tu entre le théâtre européen et le théâtre argentin ?
Il me semble qu'en ce moment à Barcelone il y a deux références très claires : Berlin - pour toute la question esthétique - et l'Amérique latine, spécialement Buenos Aires - pour tout ce qui est du contenu, de la forme de travailler. Il me semble que c'est très brillant ici (sans laisser de côté le théâtre en France, en Italie, ...). Quelle chance on a en Europe, c'est plus facile de voir du théâtre qui vient des quatre coins du monde. Mais il me semble que le théâtre ici est très novateur, il démontre que l'important c'est le théâtre, ce qui se passe sur scène. Pas l'esthétique, pas le metteur-en-scène, pas le texte, non, ce qui fait réellement que les gens sont émus et sortent différents d'une pièce de théâtre, c'est ce qui s'est passé sur scène. Ils ont une vision très dense du théâtre. Ça m'intéresse beaucoup, malheureusement je ne peux pas voir toutes les choses dont j'aurais envie parce que je travaille à ces horaires, mais bon, tu connais des gens qui t'invitent aux répétitions générales, comme ça j'ai une petite idée de ce qui se fait !
Ce qu'il y a de magique aussi à Buenos Aires, c'est que le théâtre alternatif fonctionne, non pas comme une seconde option, mais comme une autre option, à part entière. Il y a le théâtre officiel, le théâtre commercial et le théâtre alternatif et ça génère quelque chose de magique. En Espagne ça ne se passe pas du tout comme ça, le théâtre alternatif c'est celui qui n'atteint pas le circuit officiel et c'est un peu mal vu quand un acteur fasse un grand succès commercial et que le lundi, son jour de libre, il aille faire un monologue dans une petite salle. Ici c'est très commun, les acteurs vont et viennent.
Les gens ont un amour pour le théâtre, en Europe aussi, mais de manière différente. Et aussi au niveau des acteurs, la vocation ici, ça me surprend beaucoup. Il ne faut pas que ça soit mal interprété, mais ici je connais des acteurs âgés qui ont fait du théâtre toute leur vie en le partageant avec mille autres choses, parce qu'ici très peu de gens vivent du théâtre, mais personne n'abandonne pour cette raison. En Espagne, si ça ne marche pas et que tu ne peux pas en vivre, on abandonne en général. Et ici non, il y a une vraie vocation.

Penses-tu que l'acteur ait une "mission"?
Je ne sais pas si on peut parler de mission, mais je crois qu'on a une responsabilité dans le fait artistique. Pas seulement l'acteur, mais l'artiste, quel qu'il soit, le plasticien, le musicien,...
Pas une mission, mais une responsabilité envers ce que l'on fait, une honnêteté nécessaire envers ce qu'on communique aux gens qui sont venus nous écouter. Moi ça m'inspire beaucoup de respect qu'un public soit venu et ait payé l'entrée pour voir ce que tu leur offre. Ça m'inspire une sensation de respect absolu, et pour cela je prends ma façon de croire et mon travail artistique avec beaucoup d'honnêteté pour être le plus sincère avec ce que j'ai à communiquer. Je ne sais pas, on peut se tromper en parlant de "mission". Je ne crois pas non plus qu'on ait plus de pouvoir du simple fait d'être sur une scène. On est simplement une part du jeu, le public une autre, le metteur-en-scène une autre... et c'est ça la grâce !

Te paraît-il nécessaire que le théâtre soit engagé ou peut-il être du divertissement pur ?
Ça me paraît nécessaire qu'il y ait de tout. Mais il me paraît nécessaire qu'il y ait du théâtre engagé, surtout quand on parle de la responsabilité de l'artiste. Surtout quand on est dans un espace où on nous écoute, et que les politiciens ne font pas toujours ce qu'ils devraient faire, je crois, et ce dans tous les pays. C'est bien que les artistes aient une part, je ne sais pas si on peut parler d'obligation, mais je crois que nous devons tous passer, à un moment ou à un autre, par cela. C'est bien de faire du théâtre commercial par exemple, et avec les outils du théâtre commercial raconter quelque chose d'engagé. Par exemple, cette œuvre raconte quelque chose de très fort, pas au niveau politique, mais au niveau humain. Elle parle de valeurs humaines, on peut dire qu'elle est engagée, aussi, au fond, ce n'est pas simplement du divertissement. C'est bien aussi qu'il ait du teatro de revistas (théâtre de revue, un peu le genre cabaret avec des humoristes, ndlr) et que les gens aillent voir des comiques qui font des monologues sur la tortilla de pommes-de-terre !! Pourquoi pas ? C'est bien qu'il existe de tout, non ?

Pour finir, que penses-tu que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Ce qui fait penser que le théâtre est très important, c'est que ça fait beaucoup beaucoup d'années que la société l'utilise. Et il y a des gens qui ont besoin d'en faire, et d'autres qui aiment aller en voir. Ceci démontre que, avec la musique, ce sont des arts qui réellement apportent de la grâce. Par exemple, Shakespeare : pourquoi est-il si grand ? Parce qu'il parle de ce qui arrive aux gens, des misères, des joies humaines et de la complexité de l'être humain.
Et au fond, le théâtre apporte... je ne sais pas si ce sont des réponses, mais des observations sur comment nous sommes, qu'est-ce qui nous arrive, qu'est-ce qu'on veut, qu'est-ce qu'on désire, de quoi pleure-t-on et pourquoi rit-on. Et je crois que c'est ça, la magie du théâtre et c'est pour ça qu'on y reste si attaché.

dimanche 19 octobre 2008

Alfredo Iriarte, groupe Catalinas Sur, Buenos Aires

Tout d'abord, pouvez-vous vous présenter et nous raconter comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
Et bien, je viens du monde "plastique". Mon père est charpentier, j'ai commencé avec lui. Et ensuite avec un maître espagnol en Uruguay (là d'où je viens), où j'ai vraiment appris à travailler le bois. J'ai fait beaucoup de choses pour l'Église notamment. A 20 ans, je suis venu vivre à Buenos Aires. Parallèlement j'avais commencé à étudier le pantomime avec un prof qui venait d'Uruguay, et c'est elle qui m'a poussé à continuer dans cette voie, parce que je m'amusais et que ça me venait facilement. On m'a envoyé dans une école à Paris, j'ai suivi des cours, et ici aussi il y avait une école de mime et de théâtre à San Telmo (certains profs sont encore en vie d'ailleurs). En même temps, j'ai rencontré Adhemar Bianchi, qui est le directeur de Catalinas Sur, et qui à ce moment là avait un atelier de métallurgie mais aussi des instruments de menuiserie. C'est dans ce groupe que j'ai commencé à faire du théâtre. A l'époque, il s'appelait Al aire libre. Nous étions moins nombreux, et nous n'avions aucun local pour travailler. On se réunissait toujours sur la Place. C'est là que j'a appris la plupart des techniques théâtrales, en plus d'y suivre les cours. Et on donnait toujours nos spectacles à ciel ouvert, sur la place. Ce n'était pas du théâtre de rue, il s'agissait systématiquement de places et d'espaces ouverts et publics.
En fait tout est lié. J'ai fait d'autres choses plus professionnelles, j'ai beaucoup travaillé avec une compagnie qui faisait des masques, en bois. Mon matériel c'est le bois.
Ici, on a essayé de former des acteurs "poètes", c'est à dire, dans le sens étymologique du terme, celui qui fait lui-même ses accessoires. En plus, notre théâtre a son usine à portée de main, à l'intérieur, et ça aussi c'est très important pour nous. C'est un théâtre où tout le monde peut participer, où tout le monde peut créer, dans le matière qu'il préfère. Cela va demander plus ou moins de temps pour apprendre, mais on arrive à monter des spectacles assez rapidement. Et ces spectacles, ce sont en réalité des "voisins" qui veulent communiquer quelque chose à d'autres voisins. La technique est au service de la communication, le personnage principal, c'est toujours le Chœur, et le thème est toujours esthétique, et amène à réfléchir. On parle de la mémoire collective et de faits historiques tels qu'on se les rappelle. El fulgor argentino a été monté à partir des souvenirs que l'on a. Cela dit certains des évènements importants ne sont pas dans la mémoire populaire, la pièce n'a rien d'académique. On a une vision et une opinion.

Cela fait combien de temps que vous jouez El fulgor argentino ?

Cela fait presque 11 ans. Quand on a loué le théâtre en fait. D'abord on a loué cet espace et en 2001, en pleine crise, on a terminé de le payer. On est donc propriétaires du théâtre. Mais l'atelier que l'on a à côté, lui, on le loue. Pour l'instant on a dans l'idée de l'acheter, mais on ne veut pas nous le vendre... l'autre possibilité, c'est de construire un étage au dessus du théâtre, mais avec les problèmes économiques mondiaux, on ne sait pas ce qui va se passer, si on va pouvoir obtenir des subventions. Donc il faudra attendre la fin de cette saison pour commencer à construire.

Parlez-nous du Teatro Comunitario...
On n'est pas le seul groupe à faire ça. Il y en a 40 à Buenos Aires. On en trouve aussi en province, Córdoba par exemple, d'ailleurs la plupart on participé à la VIIème rencontre de théâtre communautaire. La moitié des gens qui étaient là faisaient partie du Teatro Comunitario, et l'autre moitié était le public. Il y avait environ 3000 personnes, et du groupe communitaire seulement un peu plus de 1000 personnes. Beaucoup de monde, oui. Evidemment, tout cela nous donne une puissance, un pouvoir, et nous rend "visibles" auprès de la culture dominante. Notre groupe a des aides de l'État, et ce que l'on veut, c'est que les autres groupes en reçoivent aussi. On est plus forts tous ensemble. Dans notre groupe, chaque artiste a son domaine, sculpture, musique, peinture ... chacun partage son savoir avec son prochain, et apporte sa pierre à l'edifice. Et tout cela se voit au moment du spectacle. Le public sent qu'il pourrait aussi faire partie du groupe, être sur scène.

Vous pensez que c'est cela qui a amené le succès de El fulgor argentino ?
C'est un mélange de choses. Mais oui. Une des causes du succès est la forme, l'agencement de ce théâtre : c'est comme si on était sur une place publique, la scène au milieu, des gradins tout autour. Les spectateurs participent, comme le Chœur. On ne cherchait pas le succès avec ce théâtre. On cherchait la communication, pour lutter contre l'individualisme féroce, qui est comme une industrie. Les gens restent terrés chez eux sans rien créer, et nous, on essaie de faire le contraire : se réunir. Et c'est une des raisons de cette réussite. Attention, on ne fait pas non plus un théâtre "pauvre" pour les pauvres. On fait du théâtre pauvre, mais chouette, le meilleur possible, pour partager avec tout le monde.

Comment travaillez-vous au sein de ce théâtre ?
Il y a une organisation administrative. C'est une mutuelle. C'est la partie "légale", dirons-nous, qui nous permet de recevoir des subventions. Il y a une commision directive, avec un président, un vice-président, un trésorier, et à côté de ça, il y a une assemblée de membres actifs dont je fais partie. On participe aux spectacles, et en plus de ça, on a des tâches distinctes. On forme comme une communauté, ici. Il y a aussi des gens qui viennent seulement participer, qui sont moins engagés. Nous avons également une comission artistique qui est le plus important. Elle décide de la programmation, des projets à venir, des besoins, etc ... elle fait attention à ce que l'on fait, car en géneral l'importance des évènements nous dépassent, et c'est sur le moment qu'il faut s'en préoccuper. La politique, si changeante, nous habitue à nous adapter. Dans El fulgor, le final est vertigineux, on voit énormément de présidents. En 2001, quand on a arrété les répétitions en décembre et qu'on a repris en février, il y avait eu cinq changements de président. C'est pour ça qu'on a du faire un spectacle aussi rapide, comme une "maquette" de tous les moments, sinon la pièce durerait beaucoup plus de temps. On commence à partir de 1930, El Fulgor argentino est le premier coup d'état militaire, ensuite on raconte la démocratie jusqu'à nos jours. Pour le final, les acteurs que l'on voit vêtus de manière bizarre représentent des gens du futur, des années 2030. Ce sont les survivants, les utopistes. Ce que l'on veut dire dans ce spectacle, c'est qu'on peut changer notre réalité, et que cela est une petite démonstration de ce qui est possible à plus grande échelle.

Quelle a été la plus grande difficulté pour mettre cette histoire en scène ?
Et bien, la réponse va changer en fonction de la personne à qui vous demandez, mais selon moi, le problème le plus important a toujours été la dramaturgie, parce qu'au début, on avait un spectacle qui durait 6h, et on a commencé à le compresser. La première partie du spectacle (les années '30) commençait dans la rue, puis à partir du tango, le public entrait dans la salle. Mais c'était très compliqué. Peu à peu on a raccourci le tout. Tout se déroulait à l'intérieur, en 2h. On a fait une synthèse de ce qui fonctionnait, et en cela, ça a vraiment été une création collective. On n'a pas eu de dramaturges, tout s'est écrit en fonction des improvisations. Et de ce dont la majorité se souvient, de ce qui revient le plus souvent chez chacun. Car la troupe de El Fulgor, c'est environ 100 personnes. En 10 ans, il est passé beaucoup de monde, oui.

Et il y a seulement un metteur-en-scène ?
Non, il y en a deux. Deux metteurs-en-scène "généraux", dirons-nous. Car il y a d'autres types de metteur en scène, qui maintiennent le spectacle, qui se chargent du groupe, des doublures pour chacun des rôles. Tu ne sais jamais avec quel partenaire tu vas jouer (rires). Et en plus, il ya un compositeur, également celui qui se charge de faire répéter le choeur. Moi, je m'occupe des déplacements, ce qui me plaît énormément ... en plus des marionnettes, d'une partie du décor, de jouer et d'être assistant de direction. C'est d'ailleurs moi qui ai proposé de mettre des pantins, pour adoucir certains passages plus difficiles où le public ne nous accompagnait plus. La partie avec les militaires, au début, on la mettait en scène de manière réaliste, avec de vrais comédiens, mais le public ne suivait pas. Tandis qu'avec l'humour, les pantins etc... on réussit à améliorer le tout. C'est une technique théâtrale, non ?

Selon vous, est-ce que l'artiste de théâtre a un devoir ?
Oui, bien sûr. Mais il faudrait définir ce qu'est un artiste. Pour nous, "artiste", ce n'est pas individualiste. Qui donne de la légitimité à un artiste, de nos jours ? Qu'est ce que l'art ? Qu'est ce qui n'en est pas ? Nous, on considère que certains de nos voisins sont des artistes. C'est à dire qu'ils ont une manière de voir la vie qui peuvent changer les choses. En ce sens, nous nommons ce sur quoi nous travaillons : "Arte y transformacion social"("Art et transformation sociale", ndlr). Il n'y a pas que notre groupe qui fait ça. Tous les groupes de théâtre communautaire font cela. Il y en a qui travaillent avec de la musique, de la danse ... L'artiste, pour moi, doit essayer d'améliorer la réalité. Ce qui est formidable, c'est qu'on a réussi à avoir une influence sur tout ce quartier. Et même plus, on est en relation avec une association civile qui travaille avec des enfants.

Selon vous, le théâtre ne peut donc pas être seulement divertissant ?
Non, c'est sûr. Il faut que ce soit divertissant, mais en plus d'autre chose. Beaucoup de gens qui viennent voir nos spectacles ne sont jamais allés au théâtre. Il y en a beaucoup que l'on invite car ils n'ont pas les moyens de payer l'entrée. On essaie d'être là où il y a le public.

Et pouvez-vous vivre du métier d'acteur ?
(rires) C'est inévitable, bien sûr. Non on ne vit pas bien, c'est difficile. Mais nous faisons ce qui nous plaît, ce qui n'est pas évident ici. On y est arrivé, parce qu'on bénéficie d'une administration transparente. Certains en vivent bien, les profs, les metteurs en scène ... ils ont reçu des subventions de centres culturels par exemple... Et ça nous aide à entretenir ce théâtre, aussi. En Argentine, on vit en sachant qu'à tout moment, les choses peuvent changer. Mais on vit bien. On a formé comme une famille ici, cela fait maintenant 25 ans. Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts. On a affronté bien des crises grâce à l'art. Mais si on dessine un graphique aujourd'hui, on peut dire qu'on est très en haut. Et puis tout cela m'a permis de rencontrer des gens des quatre coins du monde, comme le fait que vous soyiez ici aujourd'hui, ou le Teatro Agricolo qui vient d'Italie pour faire un atelier de Commedia dell' Arte et qui nous enseigne à sculpter des masques dans le bois. Je ne l'avais jamais appris auprès de pros. Juste à base de livres. Bref, c'est impressionnant tout ce que cet espace de création engendre.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Ce que je vois, c'est que tous ceux qui ont participé ont changé. Leur manière de voir les choses, etc... en mieux, la plupart du temps. Le public, aussi. Lorsqu'il vient ici, il en ressort différemment. Ça, c'est le premier changement. En plus de cela, ça a permis à d'autres voisins de former d'autres groupes, et donc à d'autres quartiers d'évoluer. En ce sens, nous pouvons changer les choses. Chacun sait que le monde va mal et qu'il faut le changer. Mais jamais ils ne l'imaginent changé. Nous autres avons une petite idée de ce que ça pourrait être ...

samedi 18 octobre 2008

Percy Jiménez, acteur bolivien à Buenos Aires

Pour commencer, peux-tu te présenter et nous raconter comment tu as eu envie de faire du théâtre ?
Mon nom est Percy Jiménez, ça fait environ 13 ans que je fais du théâtre. En réalité, je suis aussi économiste. J'étudiais l'économie, le théâtre me plaisait et j'ai trouvé un atelier de théâtre dirigé par David Mondecca (un acteur bolivien connu) dans la même université que celle où j'étudiais. Je suis tombé amoureux du théâtre. J'ai eu mon diplôme et j'ai dit : "Adieu l'économie ! Je me consacre au théâtre !" et c'est comme ça que ça a commencé. En Bolivie, il n'y a pas d'école, donc on se forme de manière autodidacte. J'ai donc travaillé un peu avec David, ensuite on a connu le Teatro de los Andes. A partir de là, on a monté une troupe très semblable à celle du Teatro de los Andes, dans cette même dynamique, et on est allés vivre à Copacabana. Le groupe s'appelait El Teatro Duende et on a vécu 5 ans en communauté à Copacabana. Au final, les problèmes de groupe prévalaient sur l'artistique. C'était la vie en communauté, en plus on était jeunes (de 19 à 27 ans). Les problèmes ne surgissaient pas des questions artistiques mais humaines. D'un autre côté, aussi, la dernière pièce, une version du "Quichotte" (avec laquelle on est allés au festival de Bayonne en France) sur laquelle on a travaillé presque deux ans, était un travail de très grande envergure, démesuré. Tu crois avoir dépassé quelque chose et tu te rends compte que tu fais la même chose depuis toujours. Donc avec la troupe on a décidé d'arrêter, d'abord provisoirement pour un an pour que chacun aille étudier, voir, connaître d'autres choses et en définitive moi je suis venu ici, à Buenos Aires et je suis resté.

Peux-tu nous parler de la pièce Comunidad dans laquelle tu joues ?
C'est basé sur une nouvelle de Kafka. En réalité, avec quasi tous ceux qui travaillent dans Comunidad on s'est rencontrés dans un cours de mise-en-scène. Un des travaux de ce cours, c'était de faire une pièce de 15 minutes à partir de contes, de matière non-théâtrale. Et là, Carolina Adamovsky, la metteur-en-scène de la pièce, a trouvé ce support et on a commencé à travailler là-dessus, mais c'était un travail très court, ça durait deux minutes. C'était en 2003, Et après trois ans, durant lesquels chacun a fait son chemin, on s'est retrouvés et on s'est dit : "Allez, travaillons sur ce conte." En plus, c'est un conte très spécial parce qu'il me semble qu'il parle de choses qui se passent actuellement, surtout ici, à Buenos Aires qui est une ville de beaucoup d'immigration. Et maintenant, les nouvelles migrations sont latinos-américaines : Péruviens, Boliviens, Paraguayens,... Il y a beaucoup de marginalité, de xénophobie, il y a beaucoup de tout ça. Ça nous a donc paru une matière, un support très intéressant. On est très amis, tous. Et en réalité, aller répéter c'était aller faire les imbéciles ! (rires) Trois heures de stupidités ! Et à partir de ces stupidités, Caro a commencé à travailler d'autres choses, plus denses, plus obscures, qui ont à voir avec la discrimination.

Comment avez-vous travaillé durant les répétitions ?
On a travaillé surtout à partir d'improvisations. La seule chose qu'on savait, c'est qu'on allait tous rester sur une ligne, qu'il n'y allait pas avoir de déplacement. Ensuite, on a commencé à improviser sur ce qui pouvait se passer sur cette ligne. De là ont surgi d'autres stupidités : six hommes alignés côtes-à-côtes... (rires) ! La vérité a surgi sur la gent masculine ! (rires). Et Carolina a fait le montage dramaturgique. Une fois qu'on a eu le "tout", on a commencé à travailler, en nous mettant vraiment "dedans", par exemple en essayant de trouver comment passer du rire aux larmes, quel est le processus intérieur, y a-t-il quelque chose d'externe ou pas, etc... Plus de travail de détail.

Quelle a été la difficulté majeur ?
Aucune. Rien. (rires). Pour moi, c'est un processus très heureux, parce que réellement, on s'entend bien. Six amis qui font des bêtises, qui rient... Il y a beaucoup de chaleur humaine, dans cette pièce. On l'a entre nous et j'ai l'impression que ça iradie le public. En plus, jamais on aurait pensé rester presque 3 ans à l'affiche. On a commencé en se disant : "Allez, faisons quelque chose", et maintenant on voyage, on est allés en Suisse (à Zürich), là on va au Brésil et on a d'autres voyages de prévus... Donc non, vraiment, aucune difficulté. "Nada nada nada!" (rires).
On m'avait dit : "le théâtre c'est essentiellement des conflits", en tout, dans les répétitions, les relations, ... Mais c'est la première fois qu'il n'y en a pas et c'est super ! C'est parce qu'il n'y a que des hommes (rires).

Est-il difficile de vivre avec l'instabilité du métier d'acteur ?
Moi je crois que... c'est sûr qu'il y a de l'instabilité, mais je crois qu'il y a une part négative - la partie économique, dans le sens où des fois tu as du travail, d'autres fois non, et tu dois faire quatre-vingt choses en même temps pour pouvoir arriver à la fin du mois - et une part positive. D'une certaine manière, le fait que tu sois obligé non seulement de jouer dans plusieurs pièces mais aussi de faire de la mise-en-scène, écrire, moi par exemple je dirige un théâtre, etc... Ça te permet d'avoir une vue d'ensemble sur le théâtre, sur le "fait théâtral" qui est très vaste. Donc tu commences à comprendre le théâtre depuis un autre angle. Et d'un autre côté, je crois que, après 13 ans passés à faire du théâtre et à me battre avec cette vie, j'ai commencé à me rendre compte des possibilités et de comment travailler avec ce système qui existe. Le système est, il est comme ça et ça dépend de toi, de comment tu y entres et de comment tu en sors. Je crois qu'en ce sens, cette instabilité m'apporte plus de bonnes choses que de mauvaises.
Je crois que l'art a besoin de quelque chose comme ça, un climat... j'ai l'impression que les choses "stables", qui émergent de la sécurité n'ont pas le "condiment", l'urgence nécessaire. Il y a quelque chose de l'urgence qui me paraît important, surtout dans le théâtre. Parce qu'il me semble qu'il parle du présent, de l'aujourd'hui. Donc il a besoin de l'urgence, du "pourquoi je veux dire ça ?". Il me semble que l'instabilité est nécessaire, sinon, tu ne produis rien. Si ça ne t'es pas urgent et nécessaire, si ta vie n'est pas en jeu, tu ne le fais pas.
En comparant le théâtre européen, surtout le théâtre allemand que j'ai beaucoup lu ces derniers temps, avec celui d'ici, d'Amérique latine, c'est clair qu'au niveau du langage, de l'utilisation du mot, de l'utilisation des mécanismes dramaturgiques celui-ci a une très bonne technique. Mais il n'y a pas de prise de risques. Et je crois que ça a un rapport avec... - il y a un philosophe colombien dont je ne me rappelle plus du nom qui dit : "Le monde, vu depuis le centre du monde, n'a pas une vision pertinente, parce qu'il se regarde lui-même. Par contre, celui qui est en marge, il peut, parce qu'il a plus d'informations sur ce qu'il se passe autour." - il y a quelque chose de ça qui est bien parce que ça t'oblige au mouvement, à t'informer, à faire, à te risquer (tant économiquement que personnellement) et il me semble que cela contribue à l'art, au théâtre.

Penses-tu qu'il y a un "devoir" de l'acteur ?
Non. C'est quelque chose de très personnel. Évidemment, je crois que si l'artiste n'a pas la volonté de communiquer avec l'autre, il ne se passe rien. Mais ce qu'il veut dire, et comment, comment il va utiliser ce "canal de communication", c'est une décision totalement personnelle. Et quand l'artiste veut à tout prix "dire quelque chose", il en résulte des pamphlets. Et je ne trouve pas que cela soit le rôle de l'art. C'est au milieu du XXe siècle que toutes les dépendances de l'art avec la religion, la politique et tout se sont rompues. Maintenant l'art commence à parler de lui-même et il faut assumer et le mélanger avec tes désirs en rapport avec ce que tu veux dire, et comment, et à qui. Ça me paraît donc totalement personnel.

Penses-tu que le théâtre doive nécessairement être engagé ou peut-il être un pur divertissement ?
Non. C'est qu'il me semble que souvent l'engagement pour une idéologie n'est pas mis dans les mots, dans ce qui est écrit, dans ce qui se fait, dans ce qui se joue, c'est plus "en-deçà", l'engagement. L'engagement de l'artiste, c'est le même que celui de n'importe qui, au quotidien je veux dire, au jour le jour, comme de ne pas accepter que ton voisin se fasse voler, ne pas accepter de faire l'aveugle quand tu vois un acte de corruption, tu comprends ? C'est plus de l'ordre de la "citoyenneté", qu'en rapport avec ce que tu fais. L'idéologie de chacun a une superficie pour se développer mais qui n'a pas strictement à voir avec ce que tu fais. Les choses qui me plaisent le plus parlent certes de quelque chose, mais pas frontalement, directement, et l'idéologique est très elliptique. Ça me paraît plus intéressant de cette manière. Dans les années '70 le théâtre a été comme ça, non ? Et finalement, qu'est-ce qu'il reste de cette décennie ? Rien ! Et beaucoup de ceux qui, à cette époque, sortaient avec des pancartes revendiquer je ne sais quoi sont aujourd'hui au gouvernement et font des choses pires.
Je crois que l'artiste doit suivre une éthique. L'éthique est importante dans le sens où c'est un concept dynamique et relatif (dans le sens où ce qui est "éthique" pour moi ne l'est pas forcément pour toi). A chacun de suivre sa propre éthique.

Que penses-tu que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Le théâtre est une réflexion sur notre vie, sur... pardon : MON théâtre est une réflexion sur MA vie, sur ce que je vois dans le monde. Une œuvre de théâtre est un acte de conscience : à un moment T, l'artiste parvient à voir consciemment et clairement quelque chose et c'est cela qui le pousse à faire une œuvre. Je crois que notre tâche, c'est simplement de donner différents points de vue sur ce qui peut être en train de se passer. Parlons de l'effondrement de Wall Street par exemple : d'où provient-il ? Moi j'ai une version, toi une autre, elle une autre... il y a des milliers de possibilités. Prétendre que l'art doive dire ce qu'il se passe, c'est terrible. Le maximum auquel on peut prétendre c'est que chacun de nous dise selon son propre point de vue. D'autre part, une fois dépassées les avant-gardes - dans le sens de "dogmatismes", l'art n'a plus de limites, il me semble. Il commence à toucher au journalisme, au documentaire, il commence à se mélanger à d'autres arts comme la danse, le cinéma.
Il me semble que les choses sont tellement ouvertes que l'unique point de référence c'est soi-même, soi-même par rapport à l'autre.

vendredi 17 octobre 2008

Compañia del Grupo Ojcuro, Teatro Ciego, Buenos Aires


Tout d'abord, pouvez-vous présenter votre compagnie Grupo Ojcuro : quand a-t-elle été fondée et quel est son objectif ?
Gerardo Bentatti : La compagnie a été fondée en 2001. Les motivations sont multiples. La première est l'obscurité, la deuxième le divertissement, la troisième le fait de travailler.
Francisco Menchaca : Et l'intégration...
Gerardo : Oui, aussi. Il y a plusieurs raisons. L'idée de travailler dans l'obscurité nous tentait beaucoup. On a monté cette compagnie avec José Menchaca en 2001. On cherchait de la matière sur laquelle travailler. Et on a pensé que jouer avec des aveugles dans le noir complet pourrait nous apporter énormément. Alors on a fait un casting à la Bibliothèque Argentine pour les Aveugles, et on a formé ce groupe.

Combien y a-t-il de membres exactement ?
Gerardo : Nous sommes 10 en tout : 8 comédiens qui jouent 11 personnages, le metteur-en-scène et le musicien.

Pouvez-vous nous parler de votre pièce : La isla desierta ?
Gerardo : Il fallait une pièce qui nous permette d'utiliser le plus d'effets spéciaux possibles pour arriver à figurer une image auprès du public, et que l'on puisse raconter cette histoire. Le metteur-en-scène a dû plus ou moins adapter la pièce de Roberto Arlt, et c'est bien mieux comme ça. En fait, c'est une œuvre qui permet une liberté d'adaptation, et il y en a peu. Car des pièces qui ne sont écrites que pour un seul plan n'ont aucun intérêt dans le noir. Celle-ci, justement parce qu'il n'y a pas d'unité de lieu et qu'elle se déroule dans plusieurs endroits, permet plus de libertés dans l'obscurité. Cela ressemble beaucoup au cinéma, on peut voyager. Il me semble que cela a été écrit pour l'obscurité. Pour l'instant, en Argentine, nous sommes les pionniers. Il y a eu une pièce intitulée Caramelo de limón qui a été jouée à Paris en 1996 sous la traduction Bonbon acidulé. Et c'était la protagoniste de Delicatessen qui jouait dedans. Ça a aussi été joué à Buenos Aires en 1994 dans le quartier de San Telmo. Et ça a vraiment fonctionné. Cela produit un impact sur le spectateur, et il y a une grande marge de liberté pour l'acteur, qui peut jouer avec la surprise : en marchant, en parlant, en touchant le public, en étant si proche, en expérimentant une mise-en-scène complètement différente de ce dont il a l'habitude. Il n'y a plus cette même distance que l'on connaît dans le théâtre conventionnel.

Quelle a été le plus dur pour les voyants quand il s'agissait de jouer dans le noir ?
Francisco Menchaca : J'ai l'impression que tout s'est fait petit à petit. Ça a été un travail d'équipe. Nous, les acteurs professionnels, avons enseigné aux non-voyants à jouer la comédie, et eux nous ont appris à évoluer dans l'obscurité. Ça a été un apprentissage des deux côtés. On les a aidé à jouer la comédie dans leur environnement naturel. C'était super. Ça a été un travail complémentaire. Ce qui m'a parut plus difficile, c'est de créer un personnage dans le noir. Mais petit à petit, on réussit à faire naître quelqu'un, de plus ou moins sympathique, ou plus ou moins bête... a présent, on est parfaitement à l'aise dans l'obscurité. C'est devenu une sorte de jeu.

Est-ce que vous avez répété dans l'obscurité ?
Francisco : Non, les répétitions ont été faites en lumière, pour apprendre d'abord à bouger, à se déplacer en fonction des autres, et c'est seulement à la fin fin qu'on a travaillé dans l'obscurité totale.

Est-ce qu'il y a souvent eu des réactions bizarres dans le public ?

Marcello Giammarco : Oui, il y a beaucoup de réactions diverses. Hier soir par exemple, il s'est vraiment passé quelque chose de gênant. Il y avait trois filles dans l'assistance qui n'ont pas arrêté de parler, à voix haute, elles commentaient tout. Le reste du public avaient beau leur dire : "Chuuuuuut!", rien n'y faisait, elles ne s'arrêtaient pas. On a terminé la pièce en hurlant, presque. Mais bon, c'est la première fois que ça s'est produit.

Est-ce qu'il y a des personnes qui quittent la salle ?
Marcello : Ça arrive. Certains sortent quelques minutes, puis reviennent.

Et vous, comment expérimentez-vous cette "aventure" théâtrale ?

Eduardo Maceda : Moi, je m'amuse énormément. Bon, au début, ça a été un peu laborieux, cela m'a beaucoup coûté. Et puis au fur et à mesure, on s'habitue, et on finit par s'amuser. C'est un spectacle qui se vit pleinement, et jouer aux côté d'aveugles, c'est merveilleux. Enfin ... il n'y a pas de mots.

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait un devoir ?
Marcello : Que la pièce cherche à dire quelque chose ? Oui. Je crois. Surtout avec ce type de théâtre. Que cela change quelque chose. Certaines personnes prennent conscience de la chance qu'ils ont de voir. Oui, je pense que oui.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre aveugle puisse apporter aux gens ?
Gerardo : C'est une rencontre avec soi-même. C'est une expérience unique et très personnelle au fond, car on est tout seul dans l'obscurité. Il y a un véritable cheminement intérieur. Cela permet de développer l'imagination, et à chacun de dessiner son propre personnage, de se créer son espace personnel, etc... les réactions sont à chaque fois différentes.
Laura Cuffini : Moi, je crois que ce type de pièce, dans l'obscurité, permet avant tout l'intégration. Je ne sais pas ce que c'est que d'être aveugle, je n'en ai pas la moindre idée. Mais il y a une nécessité chez chacun de transformer la réalité. Certains, lorsqu'ils sont confrontés à l'obscurité totale, sortent en disant : "c'est horrible d'être aveugle". Oui, vraiment. Mais c'est une contingence de la vie, on ne la décide pas. Et rester avec cette idée, c'est ne pas avoir réellement profité de cette expérience. Un aveugle, c'est une personne à part entière avec un sens en moins.
Alors ce spectacle permet une intégration du spectateur auprès de nous, les acteurs. On est tous égaux dans l'obscurité. Il n'y a plus de différence. C'est la caractéristique de ce type de théâtre, dans le noir, et cela me paraît très précieux. Cela permet à chacun de savoir ce que c'est que d'être aveugle, de se rendre compte de la chance que c'est que d'avoir la vue, combien la vie en est facilitée.
Francisco : Ce qui est important c'est qu'à la fin, chaque spectateur a vu sa propre pièce. C'est fondamental. Chacun a imaginé ses personnages, son île, etc... et la plupart du temps, c'est très différent. C'est en ça que ça n'a rien ça voir avec d'autres pièces ou le cinéma, où il y a le seul point de vue du metteur-en-scène. Ce qui pour lui est moche est rendu moche, ce qui pour lui est vieux est rendu vieux, etc ... ici c'est toi qui choisis à quoi ressemble ton île.