samedi 18 octobre 2008

Percy Jiménez, acteur bolivien à Buenos Aires

Pour commencer, peux-tu te présenter et nous raconter comment tu as eu envie de faire du théâtre ?
Mon nom est Percy Jiménez, ça fait environ 13 ans que je fais du théâtre. En réalité, je suis aussi économiste. J'étudiais l'économie, le théâtre me plaisait et j'ai trouvé un atelier de théâtre dirigé par David Mondecca (un acteur bolivien connu) dans la même université que celle où j'étudiais. Je suis tombé amoureux du théâtre. J'ai eu mon diplôme et j'ai dit : "Adieu l'économie ! Je me consacre au théâtre !" et c'est comme ça que ça a commencé. En Bolivie, il n'y a pas d'école, donc on se forme de manière autodidacte. J'ai donc travaillé un peu avec David, ensuite on a connu le Teatro de los Andes. A partir de là, on a monté une troupe très semblable à celle du Teatro de los Andes, dans cette même dynamique, et on est allés vivre à Copacabana. Le groupe s'appelait El Teatro Duende et on a vécu 5 ans en communauté à Copacabana. Au final, les problèmes de groupe prévalaient sur l'artistique. C'était la vie en communauté, en plus on était jeunes (de 19 à 27 ans). Les problèmes ne surgissaient pas des questions artistiques mais humaines. D'un autre côté, aussi, la dernière pièce, une version du "Quichotte" (avec laquelle on est allés au festival de Bayonne en France) sur laquelle on a travaillé presque deux ans, était un travail de très grande envergure, démesuré. Tu crois avoir dépassé quelque chose et tu te rends compte que tu fais la même chose depuis toujours. Donc avec la troupe on a décidé d'arrêter, d'abord provisoirement pour un an pour que chacun aille étudier, voir, connaître d'autres choses et en définitive moi je suis venu ici, à Buenos Aires et je suis resté.

Peux-tu nous parler de la pièce Comunidad dans laquelle tu joues ?
C'est basé sur une nouvelle de Kafka. En réalité, avec quasi tous ceux qui travaillent dans Comunidad on s'est rencontrés dans un cours de mise-en-scène. Un des travaux de ce cours, c'était de faire une pièce de 15 minutes à partir de contes, de matière non-théâtrale. Et là, Carolina Adamovsky, la metteur-en-scène de la pièce, a trouvé ce support et on a commencé à travailler là-dessus, mais c'était un travail très court, ça durait deux minutes. C'était en 2003, Et après trois ans, durant lesquels chacun a fait son chemin, on s'est retrouvés et on s'est dit : "Allez, travaillons sur ce conte." En plus, c'est un conte très spécial parce qu'il me semble qu'il parle de choses qui se passent actuellement, surtout ici, à Buenos Aires qui est une ville de beaucoup d'immigration. Et maintenant, les nouvelles migrations sont latinos-américaines : Péruviens, Boliviens, Paraguayens,... Il y a beaucoup de marginalité, de xénophobie, il y a beaucoup de tout ça. Ça nous a donc paru une matière, un support très intéressant. On est très amis, tous. Et en réalité, aller répéter c'était aller faire les imbéciles ! (rires) Trois heures de stupidités ! Et à partir de ces stupidités, Caro a commencé à travailler d'autres choses, plus denses, plus obscures, qui ont à voir avec la discrimination.

Comment avez-vous travaillé durant les répétitions ?
On a travaillé surtout à partir d'improvisations. La seule chose qu'on savait, c'est qu'on allait tous rester sur une ligne, qu'il n'y allait pas avoir de déplacement. Ensuite, on a commencé à improviser sur ce qui pouvait se passer sur cette ligne. De là ont surgi d'autres stupidités : six hommes alignés côtes-à-côtes... (rires) ! La vérité a surgi sur la gent masculine ! (rires). Et Carolina a fait le montage dramaturgique. Une fois qu'on a eu le "tout", on a commencé à travailler, en nous mettant vraiment "dedans", par exemple en essayant de trouver comment passer du rire aux larmes, quel est le processus intérieur, y a-t-il quelque chose d'externe ou pas, etc... Plus de travail de détail.

Quelle a été la difficulté majeur ?
Aucune. Rien. (rires). Pour moi, c'est un processus très heureux, parce que réellement, on s'entend bien. Six amis qui font des bêtises, qui rient... Il y a beaucoup de chaleur humaine, dans cette pièce. On l'a entre nous et j'ai l'impression que ça iradie le public. En plus, jamais on aurait pensé rester presque 3 ans à l'affiche. On a commencé en se disant : "Allez, faisons quelque chose", et maintenant on voyage, on est allés en Suisse (à Zürich), là on va au Brésil et on a d'autres voyages de prévus... Donc non, vraiment, aucune difficulté. "Nada nada nada!" (rires).
On m'avait dit : "le théâtre c'est essentiellement des conflits", en tout, dans les répétitions, les relations, ... Mais c'est la première fois qu'il n'y en a pas et c'est super ! C'est parce qu'il n'y a que des hommes (rires).

Est-il difficile de vivre avec l'instabilité du métier d'acteur ?
Moi je crois que... c'est sûr qu'il y a de l'instabilité, mais je crois qu'il y a une part négative - la partie économique, dans le sens où des fois tu as du travail, d'autres fois non, et tu dois faire quatre-vingt choses en même temps pour pouvoir arriver à la fin du mois - et une part positive. D'une certaine manière, le fait que tu sois obligé non seulement de jouer dans plusieurs pièces mais aussi de faire de la mise-en-scène, écrire, moi par exemple je dirige un théâtre, etc... Ça te permet d'avoir une vue d'ensemble sur le théâtre, sur le "fait théâtral" qui est très vaste. Donc tu commences à comprendre le théâtre depuis un autre angle. Et d'un autre côté, je crois que, après 13 ans passés à faire du théâtre et à me battre avec cette vie, j'ai commencé à me rendre compte des possibilités et de comment travailler avec ce système qui existe. Le système est, il est comme ça et ça dépend de toi, de comment tu y entres et de comment tu en sors. Je crois qu'en ce sens, cette instabilité m'apporte plus de bonnes choses que de mauvaises.
Je crois que l'art a besoin de quelque chose comme ça, un climat... j'ai l'impression que les choses "stables", qui émergent de la sécurité n'ont pas le "condiment", l'urgence nécessaire. Il y a quelque chose de l'urgence qui me paraît important, surtout dans le théâtre. Parce qu'il me semble qu'il parle du présent, de l'aujourd'hui. Donc il a besoin de l'urgence, du "pourquoi je veux dire ça ?". Il me semble que l'instabilité est nécessaire, sinon, tu ne produis rien. Si ça ne t'es pas urgent et nécessaire, si ta vie n'est pas en jeu, tu ne le fais pas.
En comparant le théâtre européen, surtout le théâtre allemand que j'ai beaucoup lu ces derniers temps, avec celui d'ici, d'Amérique latine, c'est clair qu'au niveau du langage, de l'utilisation du mot, de l'utilisation des mécanismes dramaturgiques celui-ci a une très bonne technique. Mais il n'y a pas de prise de risques. Et je crois que ça a un rapport avec... - il y a un philosophe colombien dont je ne me rappelle plus du nom qui dit : "Le monde, vu depuis le centre du monde, n'a pas une vision pertinente, parce qu'il se regarde lui-même. Par contre, celui qui est en marge, il peut, parce qu'il a plus d'informations sur ce qu'il se passe autour." - il y a quelque chose de ça qui est bien parce que ça t'oblige au mouvement, à t'informer, à faire, à te risquer (tant économiquement que personnellement) et il me semble que cela contribue à l'art, au théâtre.

Penses-tu qu'il y a un "devoir" de l'acteur ?
Non. C'est quelque chose de très personnel. Évidemment, je crois que si l'artiste n'a pas la volonté de communiquer avec l'autre, il ne se passe rien. Mais ce qu'il veut dire, et comment, comment il va utiliser ce "canal de communication", c'est une décision totalement personnelle. Et quand l'artiste veut à tout prix "dire quelque chose", il en résulte des pamphlets. Et je ne trouve pas que cela soit le rôle de l'art. C'est au milieu du XXe siècle que toutes les dépendances de l'art avec la religion, la politique et tout se sont rompues. Maintenant l'art commence à parler de lui-même et il faut assumer et le mélanger avec tes désirs en rapport avec ce que tu veux dire, et comment, et à qui. Ça me paraît donc totalement personnel.

Penses-tu que le théâtre doive nécessairement être engagé ou peut-il être un pur divertissement ?
Non. C'est qu'il me semble que souvent l'engagement pour une idéologie n'est pas mis dans les mots, dans ce qui est écrit, dans ce qui se fait, dans ce qui se joue, c'est plus "en-deçà", l'engagement. L'engagement de l'artiste, c'est le même que celui de n'importe qui, au quotidien je veux dire, au jour le jour, comme de ne pas accepter que ton voisin se fasse voler, ne pas accepter de faire l'aveugle quand tu vois un acte de corruption, tu comprends ? C'est plus de l'ordre de la "citoyenneté", qu'en rapport avec ce que tu fais. L'idéologie de chacun a une superficie pour se développer mais qui n'a pas strictement à voir avec ce que tu fais. Les choses qui me plaisent le plus parlent certes de quelque chose, mais pas frontalement, directement, et l'idéologique est très elliptique. Ça me paraît plus intéressant de cette manière. Dans les années '70 le théâtre a été comme ça, non ? Et finalement, qu'est-ce qu'il reste de cette décennie ? Rien ! Et beaucoup de ceux qui, à cette époque, sortaient avec des pancartes revendiquer je ne sais quoi sont aujourd'hui au gouvernement et font des choses pires.
Je crois que l'artiste doit suivre une éthique. L'éthique est importante dans le sens où c'est un concept dynamique et relatif (dans le sens où ce qui est "éthique" pour moi ne l'est pas forcément pour toi). A chacun de suivre sa propre éthique.

Que penses-tu que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Le théâtre est une réflexion sur notre vie, sur... pardon : MON théâtre est une réflexion sur MA vie, sur ce que je vois dans le monde. Une œuvre de théâtre est un acte de conscience : à un moment T, l'artiste parvient à voir consciemment et clairement quelque chose et c'est cela qui le pousse à faire une œuvre. Je crois que notre tâche, c'est simplement de donner différents points de vue sur ce qui peut être en train de se passer. Parlons de l'effondrement de Wall Street par exemple : d'où provient-il ? Moi j'ai une version, toi une autre, elle une autre... il y a des milliers de possibilités. Prétendre que l'art doive dire ce qu'il se passe, c'est terrible. Le maximum auquel on peut prétendre c'est que chacun de nous dise selon son propre point de vue. D'autre part, une fois dépassées les avant-gardes - dans le sens de "dogmatismes", l'art n'a plus de limites, il me semble. Il commence à toucher au journalisme, au documentaire, il commence à se mélanger à d'autres arts comme la danse, le cinéma.
Il me semble que les choses sont tellement ouvertes que l'unique point de référence c'est soi-même, soi-même par rapport à l'autre.

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