mercredi 29 octobre 2008

Pipo Fernandez, Rosario

Pour commencer, peux-tu te présenter et nous raconter comment tu as eu envie de faire du théâtre ?
Bien, je m'appelle Pipo Fernandez, enfin, on m'appelle Pipo Fernandez, mon vrai nom est Horacio Fernandez. Je fais du théâtre, je joue, je mets-en-scène, je donne des cours pour enfants, j'ai notamment beaucoup travaillé dans les prisons pour mineurs.
J'ai commencé le théâtre parce que j'aimais faire des imitations. J'étais dans un collège de curés, et il y avait un curé espagnol qui était très très pieu. Une fois, on était dans une réunion avec d'autres enfants d'autres collèges catholiques, j'avais 12-13 ans, et à midi il y avait une espèce de pic-nic où les enfants présentaient des numéros : il y en avait qui jouaient de la guitare, etc... et ce curé espagnol a dit : " je vous présente maintenant un gamin qui fait de bonnes imitations" et il m'a envoyé devant ! Et je me suis dit : "qu'est-ce que je fais ?" et quand tout le monde te regarde, tu peux pas dire non. J'ai donc commencé à avancer vers la scène, les genoux tremblants tellement j'avais peur et je me suis dit : "bon, je me jette à l'eau". Et quand j'ai vu qu'ils riaient, ils ne pouvaient plus me descendre de la scène ! et j'ai senti cette chose si forte qu'est le théâtre et depuis, je continue, passant par différentes choses. Mes parents, par exemple, ne voulaient pas. Ils ne sont jamais venu me voir jouer. Jamais. Ils voulaient que je sois comptable, tu m'imagines comptable, moi ? Et bon, à force de me battre, j'y suis arrivé, mais ça n'a pas été facile.

Comment définirais-tu le genre de théâtre que tu fais ?
J'ai eu la chance de travailler avec beaucoup de metteurs-en-scène et de faire tous types de pièces, toujours dans le cercle du théâtre indépendant - ce qu'il y a ici à Rosario, car il n'y a pas de théâtre commercial comme à Buenos Aires, de gens qui mettent de l'argent. J'ai travaillé des tragédies comme Hamlet, de la Commedia dell'Arte, du Molière, des grotesques argentins (genre mélo-dramatique typiquement argentin, ndlr) et beaucoup de café-concerts, un peu de tout en somme, et aussi de la comédie musicale.

As-tu fait une école de théâtre ?
J'ai fait des ateliers. Et quand j'ai commencé à donner des cours dans un hôpital psychiatrique, je me suis mis à étudier la pédagogie du théâtre, le professorat
.
Ici à Rosario, le théâtre est un art populaire ? Les gens vont-ils beaucoup au théâtre ?
Peu. Les gens vont peu voir du théâtre de Rosario. Ça leur demande beaucoup d'efforts. Ils vont voir du théâtre qui vient de l'extérieur, qu'il soit bon ou mauvais, peu importe ! Et ils paient n'importe quel prix.
Mais je crois que depuis quelques années, la tendance est un peu en train de changer, les gens vont un peu plus voir de choses rosariennes, surtout des café-concerts. C'est ce qui a donné de l'essor au théâtre rosarien : que les gens puissent aller boire ou manger quelque chose et voir un spectacle.

Peut-on vivre avec l'instabilité du métier de comédien ?
On ne peut pas en vivre. Maintenant il y a des jeunes par exemple qui ont commencé il y a environ dix ans et qui s'y consacrent à fond, avec plus ou moins de chance, et ils peuvent plus ou moins en vivre. En général, il faut faire d'autres choses à côté. Si on est jeune, célibataire, et qu'on accepte de vivre avec un petit revenu, on peut vivre du théâtre, ou s'il y a un parent qui t'aide... Mais moi quand j'ai commencé...non, impossible, impossible, j'ai dû faire beaucoup de choses pour pouvoir continuer à faire du théâtre. Je me suis marié, j'ai eu cinq enfants, ça m'a donc un peu compliqué les choses (sourire)... Mais si on est célibataire, on doit pouvoir le faire. Surtout si on a aucun engagement, aucun horaire et qu'on peut partir vendre la pièce, répéter beaucoup de temps et plusieurs oeuvres... on peut arriver à bien travailler.

Penses-tu que l'acteur ait une responsabilité ?
Pfiou. Une grande responsabilité ! Premièrement parce que l'acteur, l'actrice, créent des fictions dont les gens ont besoin pour se changer les idées. Quelqu'un a dit : "Le monde ne serait pas possible sans la fiction du théâtre". Donc ça, c'est un premier point de vue.
Ensuite il y a la question sociale. Ce que l'acteur peut faire, et dire, ce qu'il peut dénoncer, ceci est fondamental. Ensuite, une autre partie de cette question sociale, c'est le fait que l'acteur puisse apporter aux personnes qui ont moins de ressources, moins de possibilités, aux gens qui n'ont aucune idée de ce qu'est le théâtre : il peut les aider à s'exprimer.
Le théâtre tient beaucoup du thérapeutique, donc on le travaille dans le domaine de la santé et du social. Moi, par exemple, en travaillant dans la prison pour les mineurs, quand je disais aux jeunes qu'on allait faire du théâtre, ils me regardaient et me disaient : "qu'est-ce que c'est que ça ?". Je leur expliquais alors que le théâtre sert à raconter des histoires et en parlant, au fur et à mesure on a pu mettre en place des choses, et on a commencé à travailler le corps, à faire des saynètes et ils ont commencé à raconter des choses sur eux-mêmes. On a pu faire plusieurs pièces de théâtre comme ça, avec tout ce qu'ils racontaient. Ça, c'est la fonction sociale du théâtre.
L'acteur, l'art en général est fondamental.

Penses-tu que le théâtre doive nécessairement être engagé ou peut-il être un pur divertissement ?
Oui, oui, c'est certain. Le théâtre doit divertir parce que les gens ont besoin de s'amuser aussi. Je me rappelle, en 2002 ici ça a été une très mauvaise année parce que toute l'économie a chuté une nouvelle fois comme c'était déjà arrivé à plusieurs reprises, il y avait beaucoup de chômage, beaucoup de gens à qui les banques avaient retiré leurs économies... On jouait une pièce très comique et quand on sortait, les gens nous remerciaient pour le moment qu'ils avaient pu passer à rire. "Merci pour cette injection de vie", ils nous disaient, parce qu'ils avaient pu rire.

Que penses-tu que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Beaucoup de choses. Une infinité de choses ! Depuis le thérapeutique disons, jusqu'à cette question de l'évasion nécessaire à certains moments, comme le contraire aussi: prendre conscience des choses qui arrivent. Les deux côtés sont nécessaires et sont totalement complémentaires parce que les gens ont besoin de rire à certains moments, parce qu'ils sont en train de vivre une situation, une pression, surtout dans ce pays où il s'est passé tant de choses : l'économie a chuté, on a passé par la dictature, etc... Les gens ont besoin de rire. Le théâtre est là. Et aussi, les gens ont besoin de savoir comment étaient les choses, qu'est-ce qu'il s'est passé. Et le théâtre est là aussi.

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