vendredi 24 octobre 2008

Mireia Gubianas, à l'affiche dans "Gorda" , Buenos Aires

Peux-tu nous raconter comment tu as eu envie de faire du théâtre ?
La vérité, c'est que chez moi, à la maison, on m'a toujours dit que j'étais une excellente comédienne et que je devais me consacrer à ça (rires)! En fait, j'ai commencé à l'âge adulte. Petite j'ai étudié le chant, je chantais dans différents chœurs, et puis une fois je me suis dit que j'allais jouer parce que ça m'attirait beaucoup. J'ai commencé à prendre des cours de théâtre à 26 ans, j'ai tout laissé et pour l'instant ça fonctionne !

Peux-tu nous parler de la pièce Gorda, mise-en-scène par Daniel Veronese dans laquelle tu joues en ce moment à Buenos Aires ?
J'ai joué le même rôle à Barcelone, dans l'équipe et l'adaptation de Barcelone et ils m'ont proposé de venir ici. Ce qui m'a convaincue, c'est Daniel Veronese (le metteur-en-scène, ndlr) parce qu'il me semble que c'est quelqu'un qui a beaucoup de talent, beaucoup de capacités très élevées pour le théâtre. J'avais vu ses mises-en-scènes à Barcelone et à Madrid.
En réalité, on a dû travailler très vite parce qu'on avait peu de semaines pour le faire. Ça m'a beaucoup plu de travailler avec lui, c'est un metteur-en-scène qui te laisse beaucoup de liberté, et quand il doit corriger quelque chose, il a tant d'habilité qu'il modifie un truc et ça te chamboule tout. J'aime beaucoup son choix de théâtre "réel", qui donne au spectateur le sentiment de voir par le trou de la serrure. C'est pour ça que parfois les acteurs sont dos au public, où qu'on se marche sur les pieds, comme dans la vraie vie en somme. C'est pas un pied, et après le mien, forme à laquelle je m'étais un peu habituée en Espagne. En ce sens, Daniel me semble vraiment novateur, surtout en comparaison avec notre manière de voir le théâtre en Europe.

La mise-en-scène était vraiment très différente à Barcelone ?
Oui, c'était très différent. Je ne sais pas très bien en quoi c'est différent... Les acteurs n'avaient pas le même âge, on était plus jeune là-bas, je le dis parce que la lecture de l'œuvre, du conflit de l'œuvre, n'est pas la même, elle prend une autre dimension. Ce n'est pas pareil quand les personnages ont 30 ans ou 40 ans, la vision du texte de Neil Labute est plus frappante dans le deuxième cas.
L'option de Veronese, sa lecture de l'œuvre, le fait d'être plus incisif - ce n'est pas que ce n'était pas comme ça à Barcelone, ça l'était aussi - mais j'ai la sensation qu'il remue plus les viscères de ce qui se passe sur scène.

As-tu un rituel avant de monter sur scène ?
Non, je me concentre et ça dépend : il y a des jours où je dois plus me concentrer, où le corps est plus ou moins froid. Pour moi, le rituel c'est me concentrer, me connecter avec mes collègues, parler, boire un verre avant.
Et aussi écouter le public, les premiers moments de la représentation, les premières phrases, on prend la température, "voyons comment ça se passe aujourd'hui...!" (rires), s'ils sont plus ou moins distraits.
Voilà une chose qui m'a suprise ici, c'est comment le public de Buenos Aires réagit. Comparé à Barcelone, c'est un public très effusif, très présent, pour le meilleur et pour le pire. On a de la chance que la pièce fonctionne bien et que le public soit enthousiaste, tu le remarques beaucoup, parfois même trop parce qu'il est réellement très présent, surtout dans cette salle qui est très petite.

Justement, quelle(s) différence(s) remarques-tu entre le théâtre européen et le théâtre argentin ?
Il me semble qu'en ce moment à Barcelone il y a deux références très claires : Berlin - pour toute la question esthétique - et l'Amérique latine, spécialement Buenos Aires - pour tout ce qui est du contenu, de la forme de travailler. Il me semble que c'est très brillant ici (sans laisser de côté le théâtre en France, en Italie, ...). Quelle chance on a en Europe, c'est plus facile de voir du théâtre qui vient des quatre coins du monde. Mais il me semble que le théâtre ici est très novateur, il démontre que l'important c'est le théâtre, ce qui se passe sur scène. Pas l'esthétique, pas le metteur-en-scène, pas le texte, non, ce qui fait réellement que les gens sont émus et sortent différents d'une pièce de théâtre, c'est ce qui s'est passé sur scène. Ils ont une vision très dense du théâtre. Ça m'intéresse beaucoup, malheureusement je ne peux pas voir toutes les choses dont j'aurais envie parce que je travaille à ces horaires, mais bon, tu connais des gens qui t'invitent aux répétitions générales, comme ça j'ai une petite idée de ce qui se fait !
Ce qu'il y a de magique aussi à Buenos Aires, c'est que le théâtre alternatif fonctionne, non pas comme une seconde option, mais comme une autre option, à part entière. Il y a le théâtre officiel, le théâtre commercial et le théâtre alternatif et ça génère quelque chose de magique. En Espagne ça ne se passe pas du tout comme ça, le théâtre alternatif c'est celui qui n'atteint pas le circuit officiel et c'est un peu mal vu quand un acteur fasse un grand succès commercial et que le lundi, son jour de libre, il aille faire un monologue dans une petite salle. Ici c'est très commun, les acteurs vont et viennent.
Les gens ont un amour pour le théâtre, en Europe aussi, mais de manière différente. Et aussi au niveau des acteurs, la vocation ici, ça me surprend beaucoup. Il ne faut pas que ça soit mal interprété, mais ici je connais des acteurs âgés qui ont fait du théâtre toute leur vie en le partageant avec mille autres choses, parce qu'ici très peu de gens vivent du théâtre, mais personne n'abandonne pour cette raison. En Espagne, si ça ne marche pas et que tu ne peux pas en vivre, on abandonne en général. Et ici non, il y a une vraie vocation.

Penses-tu que l'acteur ait une "mission"?
Je ne sais pas si on peut parler de mission, mais je crois qu'on a une responsabilité dans le fait artistique. Pas seulement l'acteur, mais l'artiste, quel qu'il soit, le plasticien, le musicien,...
Pas une mission, mais une responsabilité envers ce que l'on fait, une honnêteté nécessaire envers ce qu'on communique aux gens qui sont venus nous écouter. Moi ça m'inspire beaucoup de respect qu'un public soit venu et ait payé l'entrée pour voir ce que tu leur offre. Ça m'inspire une sensation de respect absolu, et pour cela je prends ma façon de croire et mon travail artistique avec beaucoup d'honnêteté pour être le plus sincère avec ce que j'ai à communiquer. Je ne sais pas, on peut se tromper en parlant de "mission". Je ne crois pas non plus qu'on ait plus de pouvoir du simple fait d'être sur une scène. On est simplement une part du jeu, le public une autre, le metteur-en-scène une autre... et c'est ça la grâce !

Te paraît-il nécessaire que le théâtre soit engagé ou peut-il être du divertissement pur ?
Ça me paraît nécessaire qu'il y ait de tout. Mais il me paraît nécessaire qu'il y ait du théâtre engagé, surtout quand on parle de la responsabilité de l'artiste. Surtout quand on est dans un espace où on nous écoute, et que les politiciens ne font pas toujours ce qu'ils devraient faire, je crois, et ce dans tous les pays. C'est bien que les artistes aient une part, je ne sais pas si on peut parler d'obligation, mais je crois que nous devons tous passer, à un moment ou à un autre, par cela. C'est bien de faire du théâtre commercial par exemple, et avec les outils du théâtre commercial raconter quelque chose d'engagé. Par exemple, cette œuvre raconte quelque chose de très fort, pas au niveau politique, mais au niveau humain. Elle parle de valeurs humaines, on peut dire qu'elle est engagée, aussi, au fond, ce n'est pas simplement du divertissement. C'est bien aussi qu'il ait du teatro de revistas (théâtre de revue, un peu le genre cabaret avec des humoristes, ndlr) et que les gens aillent voir des comiques qui font des monologues sur la tortilla de pommes-de-terre !! Pourquoi pas ? C'est bien qu'il existe de tout, non ?

Pour finir, que penses-tu que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Ce qui fait penser que le théâtre est très important, c'est que ça fait beaucoup beaucoup d'années que la société l'utilise. Et il y a des gens qui ont besoin d'en faire, et d'autres qui aiment aller en voir. Ceci démontre que, avec la musique, ce sont des arts qui réellement apportent de la grâce. Par exemple, Shakespeare : pourquoi est-il si grand ? Parce qu'il parle de ce qui arrive aux gens, des misères, des joies humaines et de la complexité de l'être humain.
Et au fond, le théâtre apporte... je ne sais pas si ce sont des réponses, mais des observations sur comment nous sommes, qu'est-ce qui nous arrive, qu'est-ce qu'on veut, qu'est-ce qu'on désire, de quoi pleure-t-on et pourquoi rit-on. Et je crois que c'est ça, la magie du théâtre et c'est pour ça qu'on y reste si attaché.

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