jeudi 26 juin 2008

Hugo Pozo, comédien théâtre populaire, La Paz

On ne pouvait passer par La Paz sans aller à la rencontre de son Teatro popular. Bien différent de ce que l'on a pu voir jusque-là, c'est aux côtés d'Hugo Pozo que nous découvrons cette autre forme de théâtre.

Hugo Pozo nous reçoit au 5ème étage d'un immeuble en plein centre de La Paz, on arrive évidemment complètement essoufflées, le soleil tape sur les vitres de l'atelier (Hugo y donne des cours), mais c'est dans son bureau que l'on choisit de l'interviewer. Sa secrétaire (oui oui) nous offre un coca, on installe le matériel, Hugo nous demande s'il a une minute pour se recoiffer, nous la lui accordons. C'est parti.

Racontez-nous votre expérience.
J'ai commencé le théâtre en 1973 avec Eduardo Casi, durant 6 ans, j'ai fait ce qu'on appelle du théâtre expérimental, puis d'autres gens m'ont contacté pour faire du drame et de la comédie. J'ai 200 œuvres à mon actif au niveau national et international. Je fais de la mise-en-scène et je donne des cours.
Dès 1992, j'ai formé ma propre compagnie : Compañía de Teatro Hugo Pozo Bolivia. La différence avec les autres troupes, c'est que je travaille au niveau national et non pas local. Je participe également aux festivals internationaux où je représente la Bolivie. J'ai aussi travaillé dans le cinéma, avec de nombreux réalisateurs internationaux. Le théâtre c'est ma vie, le cinéma c'est ma passion.

Quand et comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ? Quel a été le déclic ?
Depuis tout petit je rêve d'être acteur de cinéma, c'était mon rêve d'enfant. Comme la plupart des acteurs, j'étais un enfant très timide et très introverti. Le théâtre m'a permis de m'ouvrir. Il n'y a pas un jour où je ne fais pas de théâtre. D'ailleurs, je suis en stress pour la représentation de demain, et ce sera le cas jusqu'à l'ouverture du rideau !

Comment définiriez-vous ce qu´on appelle le "théâtre populaire" ?
Le terme "populaire" vient du mot "peuple". William Shakespeare a écrit son Roméo et Juliette pour le peuple. Je fais du théâtre populaire pour mon peuple. Le théâtre doit être à l'image du peuple, tant pour les points positifs que pour les points négatifs. La vie doit être reflétée dans le théâtre. ll devrait y avoir un théâtre populaire propre à chaque pays, cela me semble dénué de sens de monter des œuvres européennes ici. Nous n'avons pas les mêmes problématiques de société. Le théâtre populaire est fait par le peuple pour le peuple.

Quel type de relation entretenez-vous avec votre public ? Essayez-vous d'atteindre tout le monde ?
La meilleure qui soit ! (rires) C'est une relation réciproque d'admiration, le public témoigne beaucoup d'effervescence pour mon travail.

Cherchez-vous à faire passer un message dans vos œuvres ?
Toutes les œuvres devraient avoir un épilogue qui contient un message et une morale. Ma pièce contient tout cela.

Pensez-vous que le théâtre change avec les évènements sociopolitiques ?
Aujourd'hui à La Paz il y a environ 200 compagnies (avant il n´y en avait qu'une ou deux), certaines d'entre elles font du théâtre à des fins sociales, religieuses, politiques, moi je veux faire du théâtre pur.

Vous considérez-vous comme un acteur engagé ?
Si on considère que le théâtre est issu de la société pour la société, on est nécessairement engagé. La Bolivie est un pays trop problématique au niveau politique, social, économique et régional. Les gens n'ont pas envie d'aller au théâtre pour retrouver leurs problèmes quotidiens. Sauf si c'est de la comédie, car ils peuvent oublier et rire. La comédie est la fonction de l´acteur, les spectateurs doivent se divertir.

Que pouvez-vous nous dire du métier de comédien en Bolivie ? Est-ce considéré comme une véritable profession, ou plutôt comme un hobby ?
On ne peut pas vivre de l'art en Bolivie. Comme on n'a pas d'appui du gouvernement ni des entreprises, il nous faut travailler indépendamment, ça ne devrait pas être comme ça. Les acteurs sont obligés de travailler à côté, alors que l'acteur professionnel devrait répéter toute la journée, tous les jours de la semaine.

Parlez-nous de la pièce que nous allons voir, de quoi parle-t-elle ?
¡Ayyy Warjaaata ... que Warjaaata!, c'est une pièce que j'ai écrite. C'est l'histoire d'un personnage exotique surnommé Warjata, qui ici se convertit en prof de danse traditionnelle bolivienne. C'est une œuvre de mœurs populaire mais pas traditionnelle. Elle est également générique, ce qui permet de la jouer partout.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Cela peut apporter beaucoup à un peuple, les gens sont à la recherche de figures, pour pouvoir s'identifier. L'apport du théâtre dans une société est essentielle, la preuve, c'est que beaucoup de politiques ont cherché l'appui de grands noms du théâtre bolivien pour s'attirer la sympathie du peuple. Moi, je suis un travailleur de la culture, mais pas de la politique. La culture et la politique doivent être bien distinctes.

On coupe la caméra. Le soleil a déjà baissé dans le ciel. Curieux, il nous demande quel type de théâtre nous faisons, et dans quelles pièces nous avons joué. Nous répondons timidement La Tempête-Lughnasa-Les Muses-Le Songe-Cendrillon, il semble intéressé et propose une future collaboration lors de ses prochains voyages. Ça marche, Hugo, on part là-dessus !
Retrouvez toute son actu sur : www.hugopozoteatrobolivia.com

Ayyy Warjaaata...que Warjaaata!", ou une expérience de théâtre populaire à La Paz !
Vendredi 26 juin, au soir. Après avoir marché une bonne demi-heure dans les rues labyrinthiques de La Paz, on arrive au Cine Teatro Mexico. Une foule se presse déjà devant l'entrée, on se demande comment on va faire pour retrouver la coordinatrice d'Hugo Pozo pour qu'elle nous laisse entrer. Heureusement on l'aperçoit vite, et elle nous installe au premier étage. Le lieu est vétuste, éclairé aux néons, mais grand (1200 places), les techniciens sont en train d'installer le décor. Les projecteurs sont montés sur une armature, juste dans notre champ, et niveau sono : 4 micros pendants au-dessus de la scène, Hugo nous avait prévenu! On essaie tant bien que mal de régler la caméra, mais la lumière est vraiment blafarde. Un poste diffuse trois chansons de reggaeton à plein tube et en boucle.
Le public entre : une foule de cholitas, de mères avec leur bébé, des familles entières équipées en nourriture : cuisses de poulet frites, pop-corn, sodas,.... on n'avait jamais vu ça !!! Le théâtre commence dans la salle, du côté des spectateurs. Le peuple bolivien est là, je crois qu'on est les seules blanches.
La lumière s'éteint, une annonce grésillante nous présente la compagnie de théâtre d'Hugo et donne la liste de tous les comédiens qu'on s'apprête à voir, la pièce va commencer...
Le théâtre populaire : des personnages stéréotypés, qui exagèrent à outrance, des courses poursuites (une femme qui veut assommer son mari avec son sac à main), deux travestis, et le personnage principal joué par Hugo Pozo, Warjaaata. En tout 20 comédiens pour 3 actes (2 heures de spectacle), pure comédie "gagesque". Le public s'esclaffe, rit, applaudit. Nous on reste un peu sous le choc : c'est tout à fait le genre de théâtre qu'on trouve moins intéressant (et comme on comprend pas la plupart des gags parce qu'ils parlent à toute vitesse). En plus on est frigorifiées et affamées (les effluves de pop-corn et de poulet n'aidant pas notre estomac à se taire...). Nous voilà confrontées à une nouvelle forme de théâtre qui, même si elle nous plaît pas, touche le peuple bolivien en plein. Quelle expérience !

mercredi 25 juin 2008

Eduardo Calla, dramaturge, metteur-en-scène et comédien, La Paz

Eduardo Calla est une figure incontournable du théâtre contemporain pacénien. A la fois dramaturge, acteur et metteur-en-scène, il nous accueille chaleureusement à la Cinémathèque.

Raconte-nous ton expérience ?
Tout ?! (rires) J'ai une dizaine d'années d'expérience durant lesquels j'ai notamment eu l'occasion de voyager en France, en Espagne et en Argentine pour me former. J'ai commencé en tant qu'acteur, puis j'ai participé à un atelier de dramaturgie, Tintas frescas qui a été une révélation pour moi.

Quand et comment t'es venue l'envie de faire du théâtre ? Et d'écrire ?
J'ai toujours su que j'avais envie d'être acteur, il n'y a pas vraiment eu de déclic. Pour l'écriture, les ateliers m'ont donné envie. D'autre part, c'était un bon compromis : allier mes études en communication et le théâtre. L'idée de créer des textes pour la scène me motivait, d'avantage que de jouer ou de mettre-en-scène. Le fait que l'œuvre et le public se rencontrent dans un même lieu m'enthousiasme.

Quelles sont tes influences théâtrales ?
Rodrigo Garcia, auteur argentin et Ramón Grifero, auteur chilien. Mais c'est surtout parce que j'ai eu l'occasion de les étudier. Sinon mes influences sont multiples.

A quel genre théâtral penses-tu appartenir ?
Je ne saurais pas le définir, je ne peux pas le classer. Mais je dirais que mon théâtre est contemporain, qu'il dénonce des choses actuelles.

Peux-tu nous parler de ton œuvre en général ? Est-ce que tu as pu mettre-en-scène toutes tes pièces ? Est-ce que tu as un thème de prédilection ?
Ce qui caractérise mes pièces, c'est qu'elles ne sont jamais linéaires. Le discours politique est toujours sous-entendu même s'il n'est pas forcément évident au premier abord. Esthétiquement, je n'aime pas qu'il y ait trop d'artifices.
Jusqu'à présent, j'ai toujours eu la chance de pouvoir mettre-en-scène mes pièces, oui.
Mon thème de prédilection est sans aucun doute la parole, en utilisant la déstructuration du discours pour dénoncer la difficulté de communiquer et celle d'établir des relations humaines, le danger de mettre des gens dans des cases, de les étiqueter.

Nous avons vu Smell. Yo no soy este típo de gente, peux-tu nous parler de cette pièce, quel type de message veux-tu faire passer ?
C'est une pièce qui parle de la difficulté de ne pas être charismatique. Elle est comme une réponse à ma pièce précédente, dans laquelle le personnage parlait trop. Ici il y a beaucoup plus de silences. Elle est aussi beaucoup plus pessimiste, cela parle d'une certaine époque, où tout change. C'est une œuvre transitoire, qui dépend entièrement du public. Les acteurs réagissent en fonction des spectateurs. Il s'agit pour eux d'être stupides sur scène et de l'assumer. Cela implique que le public comprenne les codes de jeu.

Est-ce que tu pensais déjà à la mise-en-scène en écrivant la pièce ? Et aux acteurs ?
A la mise-en-scène non, pas du tout. Par contre j'avais déjà une idée pour certains des comédiens.

Le fait que la mise-en-scène soit si sobre, était-ce un choix ? Parle-nous du choix des lumières (éclairage rouge, néons)?
Oui c'était un choix. Je voulais créer une ambiance plus que réaliser un décor. Les lumières, l'odeur (un des acteurs était tout le temps en train de se parfumer) génèrent une ambiance particulière, un peu baroque. Je cherche aussi surtout à déconstruire le jeu scénique avec un minimum de décor. Pour être en rupture avec le théâtre tel qu'on se l'imagine : rideaux rouges, décor conséquent, séparation de la scène et du public, ... Là, les spectateurs sont presque sur scène, il n'y a pas cette distance habituelle.

Une des actrices jouait deux rôles très contradictoires, est-ce une question pratique ou est-ce volontaire ?
C'était un choix également. J'ai l'habitude de travailler avec elle et elle me semblait tout à fait en mesure d'assumer les deux rôles.

As-tu écrit une œuvre courte pour qu'elle soit plus percutante ?
Clairement, oui. Cela permet un impact plus direct, ça donne plus de force et de portée au texte.

Est-ce que tu cherches à atteindre tout le monde ? Est-ce que tu considères ton théâtre comme populaire ?
Non, ça me paraît impossible. Chacun vient au théâtre avec ses propres références. Mon théâtre utilise un langage et des codes bien particuliers, je crois que ça ne peut pas parler à tout un chacun.

Penses-tu être un artiste engagé ?
Oui, très. Il y a un discours politique sous-jacent dans toutes mes pièces.

Avant de nous quitter, il lance l'idée de diffuser notre documentaire à la Cinémathèque de La Paz dans un an et demi. Yihaaaaaaaaaaaaaaaa!!
Mais pourquoi pas ???

Agar Delos, directrice de l'ABDA (Association Bolivienne des acteur), La Paz

Nous retrouvons Agar Delos, présidente de l'ABDA - Association bolivienne des acteurs -, devant le Teatro Municipal (une fois n'est pas coutume!). Elle arrive à dix heures pétantes et nous accueille dans sa petite "oficina" (bureau) à la lumière blafarde. A droite, un mur recouvert de signatures de comédiens. Caro se glisse comme elle peut dans le coin de la pièce, derrière la chaise où elle a disposé la caméra. Il faut bien la cadrer, une Agar Delos sans tête, c'est comme un jour sans cheesecake ! Cette dame d'une soixantaine d'années semble charmée par notre projet et nous répond avec enthousiasme et professionnalisme.

Quand cette association a-t-elle été fondée et quel est son objectif ?
Elle a initialement été créée en 1943, mais elle a été refondée en 1949 suite à quelques petits changements. Cette institution a pour objectif de protéger et de sponsoriser les acteurs afin de leur offrir des lieux de travail de meilleure qualité et une certaine couverture sociale. On a mis en place un local de réunion où les artistes de toutes disciplines peuvent se retrouver, une sorte de petit complexe culturel.

Que pouvez-vous nous dire du travail d'acteur en Bolivie ? Est-ce considéré comme une vraie profession ou plutôt comme un hobby ?
Malheureusement jusqu'à aujourd'hui ce n'est pas un métier valorisé ni reconnu comme étant une profession. Les activités périphériques telles que donner des cours, des ateliers, sont indispensables pour que les acteurs puissent vivre. Maintenant, on a eu beaucoup de résultats positifs au niveau national en ce qui concerne la professionnalisation de ce métier.

Il y a beaucoup de travail dans le milieu théâtral ? Les acteurs attendent les rôles où doivent ils les chercher systématiquement ?
En Bolivie il y a beaucoup de compagnies, de troupes qui ont à leur tête un metteur-en-scène. C'est lui qui fait appel aux acteurs avec qui il a envie de travailler. Comme c'est très compliqué de monter une pièce de théâtre en Bolivie, les metteurs en scène sont véritablement à la recherche d'acteurs. Malgré cela, les comédiens sont obligés de se diversifier, dans le cinéma et la télévision par exemple.

Justement, y a-t-il beaucoup de comédiens qui travaillent pour la télévision ? Et pour la pub ?
Oui, il y en a beaucoup, surtout pour des séries télévisées.
Le cinéma en Bolivie s'est développé dans les années '50-'60 avec l'arrivée de producteurs étrangers (français, espagnols,...) et a permis aux comédiens boliviens de se lancer dans le 7ème art.
Quant à la publicité, je trouve personnellement que cela nuit à l'image d'un comédien : on l'associe à une marque, et sur le plan artistique c'est vraiment mauvais.

Existe-t-il des agences de casting et des agents ?
Il y a surtout des agences de pub qui font le lien, dans le domaine audiovisuel, entre les acteurs et les réalisateurs. Mais il n'y a pas a proprement parler d'"agences de comédiens".

Que pensez-vous de l'école de Santa Cruz ? Croyez-vous que cela soit un moyen de professionnaliser le métier d'acteur ?
Ce qui est bien, c'est qu'on y trouve un enseignement très approfondi non seulement dans le théâtre, mais aussi dans le domaine cinématographique et télévisuel. Beaucoup de comédiens qui sont aujourd'hui célèbres sortent de cette école, notamment Cristian Mercado qui a joué aux côtés de Benicio del Torro dans le film sur le Che qui a concouru à Cannes cette année. C'est vraiment une immense joie pour tous les acteurs boliviens, cela permet une ouverture sur l'international. Nous sommes très fiers.

Connaissez-vous certains acteurs talentueux qui ont quitté la profession ?
Oui bien sûr, surtout des comédiens de l'ancienne génération. Il y en a aussi beaucoup qui sont partis à l'étranger où qui se sont tournés vers d'autres genres tels que la radio-théâtre. D'autres se sont mis à donner des cours.
A mon époque (j'ai commencé le théâtre en 1953) il y avait moins de troupes et les grandes entreprises subventionnaient les artistes plus facilement.

Que conseilleriez-vous aux acteurs boliviens pour réussir ?
De se mettre en contact avec des gens qui diffusent la culture. De ne jamais cesser de s'intéresser à ce qu'il se passe dans le monde de la culture, il y a toujours quelque chose de nouveau à apprendre. Il faut être au courant de l'actualité dans la mesure où tout est en constante évolution. Lire les nouvelles productions littéraires aussi, être tout simplement au fait de l'actualité.

Agar Delos termine l'interview face caméra en nous félicitant de cette initiative. Elle paraît enchantée que les jeunes comédiens puissent prendre la relève de cette manière, en s'intéressant à ce qu'il se fait dans d'autres pays. Elle nous quitte devant le théâtre, un peu émue, et nous sert fort dans ses bras.

mardi 24 juin 2008

Sergio Caballero, directeur du Théâtre Municipal de La Paz

Après un petit café avalé en hâte au coin de la rue, nous rejoignons Sergio Caballero, au Teatro Municipal (Théâtre Municipal, ndlr), caméra au poing. C'est un homme d'une quarantaine d'année, à l'allure plutôt jeune : on se souviendra longtemps de son superbe bonnet orange pétard, comment deviner qu'il s'agissait du directeur ?!

On choisit une des salles de représentation pour l'interviewer. Un gros lustre baroque est suspendu tout en haut au-dessus de nos têtes, et de grandes fenêtres drapées plongent la salle dans la pénombre. Quelques réglages lumières. Micro. Sergio Caballero s'installe sur une des chaises du public. Il a l'air pressé, on va essayer de faire vite.

Racontez-nous votre parcours. Quand et comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
J'ai commencé le théâtre en 1992 comme acteur puis comme metteur en scène au Pequeño Teatro. Je suis directeur du théâtre municipal depuis 2005. Avant le Pequeño Teatro, j'avais fondé mon propre groupe et nous avions monté une pièce de Sarah Kane qui a eu un franc succès auprès du public. Cette expérience m'a marquée.

Quelle est l'histoire du Teatro Municipal ?
Il a été inauguré en 1845 peu après la bataille d'Ingavi. C'est le premier théâtre de Bolivie, bien qu'il y avait déjà une tradition théâtrale très forte dans la rue.

En tant que directeur de théâtre, que pensez-vous du théâtre pacénien ? Est-ce un art populaire ?
Je ne veux pas classifier le théâtre. Chaque troupe a sa propre forme théâtrale. Il y a une forte tradition théâtrale à La Paz, les gens vont au théâtre. Le théâtre contemporain a son propre public, il est plus minoritaire que le théâtre populaire qui touche un public plus large. Le problème vient du fait qu'il n'y a pas de culture théâtrale, le public n'a aucun sens critique, il accepte la pièce telle qu'on la lui propose, sans chercher à aller plus loin.
De même, du côté de l'acteur, il n'y a pas de formation actorale à proprement parler à La Paz et de ce fait, l'acteur ne sait pas comment atteindre le public. Ce "nouveau théâtre élitiste" n'est pas en accord avec le spectateur, ce dernier ne peut pas en comprendre les codes. Il y a une distanciation certaine qui n'est pas bénéfique. A contrario, le Teatro popular (Théâtre populaire, ndlr) fonctionne depuis des années.
Cela dit le théâtre bolivien est dans une phase de transition. Des talents émergent, c'est la nouvelle vague d'artistes et c'est vraiment une bonne nouvelle. Cela insuffle de l'espoir dans le monde du théâtre bolivien. D'ailleurs le Teatro popular a très envie de travailler avec cette nouvelle génération. Mais il faut pour cela reconquérir le public.

Comment choisissez-vous les pièces qui seront à l'affiche ? Quels sont les critères d'élection ?
Il y a une commission composée de représentants civils des artistes de chaque discipline (théâtre, danse et musique) qui évaluent tous les dossiers et les programment dans les différents lieux de La Paz. Ils évaluent leur magnitude pour choisir la salle la plus adaptée. Par exemple, certaines pièces ne nécessitent pas tout l'équipement et l'infrastructure du théâtre municipal.
le Teatro de Camara (juste à côté du Teatro Municipal) est un endroit plus flexible qui permet de nouvelles propositions plus expérimentales.

Quel(s) type(s) de pièces attire(nt) le plus de gens ?
Celles qui appartiennent à un registre social sont plus attrayantes car elles parlent le même langage que les gens. Je trouve qu'on a une responsabilité en tant qu'artiste : il nous faut convaincre le public d'assister aux pièces. C'est à nous de tout faire : promouvoir, jouer, mettre en scène... Le public est nécessaire pour faire tourner tout cela, pour que le théâtre survive.

Et à vous, qu'est-ce qui vous plaît le plus ?
J'aime beaucoup le théâtre populaire, j'y vois un potentiel énorme, une véritable école : les pièces fonctionnent depuis toujours. Certes il faudrait un travail sur l'acteur et l'esthétique mais cela fonctionne quand même. Je crois à ce théâtre qui atteint le public. On peut passer un bon moment, le théâtre est fait pour ça selon moi, il permet de sortir de son quotidien.

Pourquoi les pièces ne peuvent-elles pas rester plus de trois ou quatre jours à l'affiche ?
Il faut équilibrer entre toutes les disciplines qu'accueille le théâtre, c'est pour cela qu'on ne peut pas se permettre d'avoir de saisons. Cela défavoriserait les autres arts.

Pensez-vous que le théâtre bolivien soit engagé au niveau politico-social ?
Je crois que oui, pas forcément dans un contexte politico-social mais plutôt culturel, à travers la parole et l'esthétique. Il faut un discours actuel qui puisse toucher le public. On peut aussi bien prendre des œuvres classiques telles que Shakespeare par exemple, et qu'il y ait une répercussion dans le contexte actuel. Pas besoin d'avoir une cholita et un lama pour que cela soit du théâtre bolivien !

Quel type de relation avez-vous avec les artistes ?
Le premier contact est au niveau de la gestion matérielle, il s'agit d'équiper le théâtre pour la pièce, d'offrir au public le meilleur confort. Cela dit la relation avec les artistes est bonne, même si c'est difficile puisqu'elle est faussée par le fait que chacun cherche à promouvoir son œuvre. Mais le Théâtre Municipal cherche actuellement à réduire la somme que doivent verser les artistes pour jouer.

Est-ce que vous travaillez en collaboration avec d'autres villes boliviennes et d'autres pays ?
Tout à fait, je veux élargir notre cercle à un niveau international, notamment en créant une alliance entre les théâtres boliviens.

Pour finir, pourriez-vous nous raconter une anecdote ?
Je trouve que chaque lieu de création a une atmosphère particulière, un esprit. Les artistes sont des gens très superstitieux. Au Teatro Municipal, il y a l'esprit d'un ancien directeur qui hante le lieu : tío Ubico. J'ai déjà senti sa présence, par exemple les touches du piano qui fonctionnent alors qu'il n'y a personne dans le théâtre... Il y a une pièce qui reste toujours fermée. Une fois, à l'occasion d'un spectacle de danse nous avons dû ouvrir ce lieu à deux ballerines argentines : elles sont restées enfermées alors que nous n'avions jamais eu aucun problème avec cette porte. Sûrement que le tío voulait passer un peu de temps avec elles !

vendredi 20 juin 2008

Miguel Angel Estellano, comédien, La Paz

Cela fait un moment que Juan Ga, ami de Matias chez qui on loge, nous parle de son frère comédien. C'est au sein de l'Espacio Cultural Creativo (Espace Culturel et Créatif, ndlr)qu'il nous accompagne donc pour nous faire rencontrer son frère, Miguel Angel. C'est une petite maison fleurie dans le quartier de Sopocachi qui abrite une ludothèque et un lieu de formation pour les jeunes éducateurs. Le principe de cette association étant d'éveiller la créativité chez l'enfant par l'art et le jeu. On y trouve donc toutes sortes de peintures, sables colorés, pâtes de toutes tailles et de toutes sortes, body painting, etc... De quoi confectionner tout un tas de d'objets, colliers, petits tableaux, poteries,...

Miguel Angel y travaille comme éducateur, mais il est avant tout comédien, cela ne se voit au premier abord. Cheveux longs, casquettes à l'envers, barbe de plusieurs jours, habillé à la "one again" (!). Pourtant, lorsqu'il nous montre une vidéo de la pièce qu'il a jouée dans une prison pour femmes, seul au milieu de prisonnières, on est littéralement bluffées par sa présence scénique et son aisance corporelle.
Miguel Angel est un comédien de la nouvelle génération qui s'est formé à Copacabana au sein du Teatro Duende, troupe de jeunes comédiens créée à l'image du Teatro de los Andes. Il a ensuite élargi son savoir en intégrant l'école de théâtre de Santa Cruz en tant qu'élève, puis en tant que professeur.

Comment en êtes-vous venu à faire du théâtre ?
J'ai commencé à en faire 1997, alors que j'étais encore au collège et une fois sorti de l'école, j'ai décidé de faire du théâtre. Mais à l'époque il n'y avait pas d'école de formation d'acteur, excepté quelques ateliers au sein du Teatro de los Andes, c'est d'ailleurs une référence pour pas mal d'entre nous, comédiens de la nouvelle vague. J'ai rencontré le fondateur du Teatro Duende et je suis parti à Copacabana intégrer la troupe pendant 7 ans. On a beaucoup travaillé avec les collèges, effectué des tournées dans toutes les villes, on bougeait tout le temps, notamment dans les festivals (Bayonne - France, Córdoba - Argentine).

Que pensez-vous de votre formation à l'école de théâtre de Santa Cruz ?
Je l'ai trouvée très enrichissante, car après plusieurs années passées au sein du Teatro Duende, cela m'a permis d'élargir mon horizon, de connaître de nouvelles pratiques théâtrales, de voir qu'il existait un autre théâtre. Qui plus est, les cours étaient très variés : technique corporelle, clown, mime, tragédie, acrobatie, chant, yoga, etc... et ce du lundi au samedi de 8h à 13h30.

Comment avez-vous trouvé les élèves ? Motivés ou plutôt passifs ?
Les élèves étaient très volontaires puisque la plupart d'entre eux, à cette époque-là, avaient déjà fait du théâtre auparavant. Je fais partie de la nouvelle génération et nous avons tous cette même implication. Ce qui n'est peut-être plus le cas des élèves d'aujourd'hui.

Avez-vous déjà donné des cours ?
Oui, et j'aime énormément ça, La logique de l'école était la suivante : former une première génération d'élèves afin qu'elle puisse à son tour former la suivante. J'ai donc eu l'occasion d'y donner des cours aux apprentis comédiens de première année et je continue aujourd'hui encore à intervenir dans les lycées.

Selon vous, le théâtre peut-il être un outil d'éducation ?
Oui, car c'est un jeu. Lorsqu'on joue, on rompt les structures et on devient créatif. D'autre part, lorsqu'on fait du théâtre dans un but éducatif, la relation avec les gens est différente que lorsque c'est uniquement à but artistique.

jeudi 19 juin 2008

María Teresa del Perro, comédienne, La Paz

Bistrot de l'Alliance française. A quatre blocs de chez Matias (notre hôte bolivien). Il est 16h15. Une jeune femme d'environ 35-40 ans fait irruption dans le café.
Son visage amical dégage à la fois douceur et générosité, un peu de timidité aussi. On ne sait pas trop comment commencer l'interview avec notre espagnol balbutiant. Mais il faut se lancer et son regard est encourageant.

Quel a été votre parcours ?
Je suis italienne d'origine et c'est dans mon pays que j'ai débuté le théâtre. Puis j'ai rencontré César Brie et je suis venue en Bolivie pour intégrer le Teatro de los Andes. C'était leurs débuts. J'y ai vécu en communauté pendant quatorze ans. J'ai eu besoin de m'en détacher et c'est à ce moment-là qu'un metteur en scène mexicain m'a remarquée et que j'ai fait mes valises. Je suis restée un an et demi au Mexique, puis je suis revenue à mes origines, au Teatro de los Andes pour un an et demi. Suite à quoi je suis partie pour m'installer à La Paz. Depuis je me consacre d'avantage à la musique, j'y trouve une réelle satisfaction et je n'éprouve pas le besoin de revenir au théâtre pour l'instant. Je fais partie d'un groupe de rock extra et d'une chorale a cappella.

Vous considérez-vous comme une artiste engagée ?
C'est difficile de faire de l'art dans ce pays sans avoir de position politique. Cela dit je ne pense pas qu'il faille l'afficher de manière trop catégorique. Le Teatro de los Andes, par exemple, a été beaucoup critiqué pour ça : ils brandissent leurs idéaux comme une banderole. Je trouve ça un peu facile. A contrario, Eduardo Calla est très engagé mais de manière plus fine, moins tape-à-l'œil. Ses pièces t'interpellent par d'autres moyens, tout aussi efficaces.

Quels sont les auteurs avec lesquels vous aimez travailler ?
Je n'ai pas vraiment d'auteur de prédilection, on n’a pas l'habitude de mettre-en-scène une œuvre intégrale. Généralement, au Teatro de los Andes par exemple, on partait d'un texte, on le réécrivait, on le malmenait pour essayer de le transcender. Il ne s'agissait pas d'être fidèle au texte. Par exemple, on est partis des Trois sœurs de Tchekhov et on en a fait autre chose.

Est-ce que vous ressentez les clivages théâtraux en Bolivie ?
Un temps.
Oui, forcément, c'est un tout petit monde, il y a évidemment des désaccords. Je les trouve plutôt sains puisqu'ils favorisent la créativité.

Que pensez-vous du théâtre populaire ?
Et bien je ne peux pas dire que j'aime vraiment ce qu'ils font, il n'y a pas réellement de point de vue artistique, mais lorsque l'acteur est bon, on peut vraiment passer un bon moment, ça peut être très divertissant. D'un autre côté, si le comédien est mauvais on s'ennuie. Maintenant ça serait intéressant de retourner les voir, comme leur public a évolué et changé, il faudrait voir si leur théâtre s'en ressent. Mais j'avoue avoir vu très peu de leurs pièces.

Peut-on vivre du métier de comédien ?
Non. Les gens qui font du théâtre continuent à le faire par amour, pas pour l'argent ni pour le succès, c'est évidemment trop difficile. Pour survivre, le Teatro de los Andes (basé à Sucre) était obligé de faire des tournées, je me souviens qu'au début on n'avait rien à manger, heureusement les gens dans la rue étaient généreux et même, à la sortie des marchés on arrivait à récupérer de quoi manger. Une fois lorsqu'on faisait du théâtre de rue, une cholait (Bolivienne indigène en habits traditionnels, ndlr) m'a reconnue le lendemain d'un spectacle: "Je vous reconnais, c'est vous qui faisiez des choses bizarres hier soir. Pourquoi vous n'avez pas fait tourner le sombrero ?" Moi : "..." et elle de rétorquer : "Mais vous auriez dû. Vous vous êtes fatigués, vous avez transpirés, vous méritez d'être payés pour ça." Je n'ai pas su quoi répondre, une dame du peuple qui me disait ça, ça avait de quoi faire réfléchir, elle avait raison. Il s'agit d'un troc, d'un échange entre les artistes et le public.
Ce qui est étrange c'est qu'au Mexique, à la différence de la Bolivie et de l'Argentine, il y a beaucoup de subventions pour le théâtre, mais la qualité des spectacles est très médiocre. Pour moi, les subventions sont à double tranchant : elles favorisent le développement artistique, mais étouffent la créativité. En Argentine, le niveau est exceptionnel, je n'ai jamais vu d'aussi bons acteurs, mais ils ont tous un petit boulot à côté pour vivre.

Que pensez-vous de l'école de théâtre qui s'est ouverte à Santa Cruz ?
Vous voulez la vérité ? Je ne pense pas que cela soit une bonne chose. Je suis allée y donner des cours et j'ai trouvé les élèves un peu blasés, pas volontaires, avachis sur leur chaise... Il me semble que quand on décide de faire une école de théâtre, c'est qu'on en a vraiment envie, qu'on a ça en soi. Il est évident qu'il faudrait mettre en place un système sélectif, tout le monde ne peut pas être comédien. Tout le monde peut écrire, mais tout le monde n'est pas écrivain.
D'un autre côté, ce genre d'école permet de considérer le métier de comédien comme une véritable profession.
Ce qui est incroyable, c'est que j'ai vu des jeunes sans aucune formation théâtrale monter sur les planches avec une conscience scénique aiguisée et un réel propos à défendre. C'est quelque chose qu'on a en soi.


Maria Teresa s'est souciée de répondre à nos questions le plus clairement et honnêtement possible, avec toujours ce regard bienveillant sur le monde théâtrale bolivien. Nous n'avons senti aucun regret et aucune rancœur. Ça a été son parcours à elle.

mercredi 18 juin 2008

Martá Monzon, comédienne et metteur-en-scène, La Paz

Martá Monzon, petit bout de femme énergique et déterminée, nous reçoit dans sa maison lumineuse dans le quartier de Sopocachi, mardi matin à 8h pétantes. Elle a les cheveux ébouriffés, des lunettes modernes et une petite robe de cuir noir. Un personnage. déjà débordante d'énergie dans la clarté matinale de son salon, alors que la Nast'et la Carotte se noieraient volontiers dans un grand bol de café. Elle vaque à ses occupations (Pierre Ferrier et elle ont une petite fille de 4 ans prénommée Nayeli) pendant qu'on effectue les réglages caméra. On a trouvé le bon angle, la bonne luminosité (enfin, c'est ce qu'on croit, on verra au montage :)), l'interview peut commencer.
Difficile pour elle de ne pas sortir du cadre car elle gesticule dans tous les sens et vit pleinement chacune de ses réponses. Étant en couple avec un Français, elle choisit de nous parler dans notre langue, ouf, ça nous facilite la tâche pour nos débuts. Metteur-en-scène, comédienne, professeur, productrice théâtrale et gestionnaire culturelle, Martá Monzon a la tête sur les épaules, les idées claires et toujours trois ou quatre projets en cours. Sa vision du théâtre est façonnée par son expérience considérable, à la fois riche et multiple.
Bien consciente des clivages théâtraux (théâtre populaire / théâtre contemporain / Teatro de los Andes), Martá Monzon n'en reste pas moins une passionnée de dramaturgie. Elle a travaillé en collaboration avec l'Alliance française dans le cadre du dispositif tintas frescas (encres fraîches, ndlr) où elle a dirigé des ateliers de dramaturgie, qui ont lancé de jeunes auteurs tels qu'Eduardo Calla. Suite à cette expérience, elle a édité un recueil de pièces.
Selon elle, l'art théâtral passe tout d'abord par le respect du texte: il s'agit de s'en imprégner après des relectures successives et de partir de là pour obtenir la matière nécessaire à la création artistique. Elle passe des heures à décortiquer des œuvres avec une rigueur quasi scientifique. A la question de l'engagement de l'artiste elle nous répond qu'il se trouve à un niveau plus personnel : il ne s'agit pas d'impliquer les œuvres dans une situation socio politique mais d'avoir sa bataille personnelle. La sienne : lutter contre le machisme ambiant et changer l'image de la femme dans la société bolivienne. Elle considère le théâtre comme un art minoritaire (et non élitiste, nuance intéressante) puisqu'une infime partie de la société bolivienne fréquente les théâtres, malgré le coût dérisoire des places (2€ environ).
Aujourd'hui elle anime une émission quotidienne sur Radio Deseo (Radio Désir, radio féministe, ndlr) tous les jours à 11h30. Elle nous invite à la suivre dans le studio. Nous la filmons pendant son passage sur les ondes. Elle est face au micro comme elle est dans la vie : engagée, révoltée, virulente, expansive et démesurée. On est happées par ce qu'elle dégage.
Ces quatre heures passées dans l’univers de Martá Monzon furent décoiffantes.