mardi 26 mai 2009

Teatro Colectivo Mano 3, Cuenca

Pour commencer, présentez-vous brièvement.
Paúl Sanmartín: Voyons, bien, je suis Paúl Sanmartín, j'appartiens à la compagnie de théâtre Mano 3 de Cuenca en Équateur. J'ai travaillé comme acteur, metteur-en-scène, ça fait déjà quelques temps que j'explore cette voie-là.
Patricio Viteri : Mon nom est Patricio Viteri, je viens de la ville de Quito en Équateur. Ca fait quatre ans que j'appartiens au groupe Mano 3, je suis sorti de l'Université de Quito, et j'ai aussi étudié à l'école de théâtre social du Cronopio. Là-bas j'ai travaillé quelques temps avec des groupes locaux, de diverses tendances, dont le théâtre-cirque, le théâtre formel, le théâtre dramatique, le théâtre de rue, le théâtre pour enfants, dans les centres commerciaux, des choses comme ça. Et maintenant ça fait quatre ans que je travaille avec le collectif Mano 3.
Karla León : Bonjour, je suis Karla León, j'appartiens aussi au théâtre collectif Mano 3

Pouvez-vous nous raconter la genèse du théâtre collectif Mano 3 ?
Paúl : Le théâtre collectif Mano 3 naît il y a - je ne sais pas si je suis précis, mais ça fait environ quinze-seize ans, sous la forme d'un projet qui portait un autre nom. Avec un compagnon on a fondé le groupe, on venait de la danse folklorique, du folklore, on s'est retrouvés avec le théâtre à un moment et on a décidé de faire une proposition scénique de fusion des deux arts. A ce moment, je suis parti étudier à Cuba, et quand je suis revenu - là-bas j'avais été en contact avec des artistes et metteurs-en-scène cubains - on a décidé de "tomber". Parce qu'à ce moment-là, on avait une proposition académique et notre façon de résister, c'était à travers le groupe. L'idée était donc de faire venir des artistes cubains pour faire un projet binational. Les amis cubains sont venus, le groupe s'est formé et on a investigué. Plus qu'un groupe de théâtre, c'est un groupe d'investigation qui cherche à comprendre comment le langage corporel rencontre un espace, un lieu de cette planète, qui a une caractéristique particulière, comme Cuenca - et peut-être, si on avait été ailleurs, ça aurait été différent. L'idée c'est d'identifier Cuenca, pour comprendre son identité, et, à partir de son identité, pouvoir la représenter. Peu à peu, le groupe s'est développé jusqu'à avoir plusieurs pièces à son actif et participer au mouvement théâtral de Cuenca. On cherche ce que peut faire le théâtre pour la construction de notre identité.

Comment travaillez-vous au sein du collectif ? S'agit-il de créations collectives ?
Patricio : Je considère que la création collective ce n'est pas une technique de travail, c'est une politique de travail. Notre façon de travailler est donc celle de la création collective, en effet, parce que personne ne dirige ici. On cherche un metteur-en-scène en particulier au moment où on veut monter une pièce, mais on travaille de manière collective. Pour moi c'est ce qui aide chaque membre de la troupe à évoluer, avec la possibilité de pouvoir faire quelque chose quand ils le souhaitent, il n'y a pas de hiérarchie, chacun peut participer. Quant à la technique elle-même, on est sans cesse en recherche, on a plusieurs tendances : Paúl s'est formé dans le théâtre anthropologique, nous plutôt dans l'art dramatique, etc... On n'a donc pas encore de technique propre, mais on est dans cette recherche quant à notre style de travail.
Paúl :
L'idée c'est aussi qu'au sein du groupe, tous les intégrants passent par l'expérience de la mise-en-scène. Et malgré le fait qu'on soit en recherche, on a commencé à trouver des choses spécifiques. La dramaturgie de Mano 3 passe par l'image. Le public ne sort pas de nos pièces avec une histoire, mais avec des images.

Pouvez-vous nous parler de votre intervention sur la Plaza de las Flores, de votre engagement politique ?
Patricio : Il n'y a aucun engagement politique ! (rires) Je vais te confesser que - je ne sais pas si ça intéresse tout le monde, mais - on a un gouvernement, celui de Rafael Correa (actuel président de l'Équateur, ndlr) qui finit son mandat. Il a créé certaines instances qui me paraissent bien acceptées, des aides pour la culture qui n'existaient pas dans ce pays et ça vaut la peine de le dire, parce que, regarde, combien d'années de vie républicaine on a derrière nous, je ne sais pas, mais jamais on avait eu d'aides pour le théâtre, jamais. On n'a jamais reçu d'aides de l'État, et on s'est habitués à travailler comme ça. Il me semble donc que les réformes qu'il a engagées dans ce domaine sont nécessaires. C'est aussi un vote de confiance, parce qu'on ne sait pas ce qu'il va se passer, la vie politique est telle qu'elle est, tu ne sais pas ce qui se passe demain, peut-être ils te donnent pas l'aide et c'est de la pub pour gagner des votes. Ce qu'on a fait mercredi c'était donc au final plus une affinité de Paúl avec une amie. On l'a donc fait, mais on a pas brandi de drapeaux, on a fait notre travail, rien de plus, je crois.
Paúl : J'aimerais ajouter que je crois que la nécessité de militer et de comprendre les processus culturels sont déterminants. Ça me paraît très important. Pour moi, aborder des thèmes avec le théâtre, prendre position à partir du théâtre sur l'identité, parler de la mémoire du peuple, c'est déjà une prise de position politique. Moi oui, j'ai un engagement militant dans un processus de réformes. Souvent les politiques culturelles de l'Equateur ne parviennent quasiment jamais ici, en province et dans les régions. De cette manière aussi on peut y opposer une résistance. La périphérie a toujours été un lieu de propositions et d'alternatives, c'est avec cela qu'on est engagé. Avec une vision de l'Etat, une vision constitutionnelle où la culture serait garantie. Je ne sais pas si ça se réalisera, c'est un moment critique maintenant, pour cela justement. Il s'agit de montrer que la culture est un élément essentiel pour un pays, pour sa vie sociale. On va donc militer activement sur les places, dans les lieux où on a de la visibilité. La pièce qu'on mentionnait est basée sur un fait historique où une grande poétesse de l'histoire de la poésie équatorienne se suicide sous la pression d'une députée conservatrice et de diverses circonstances sociales. Et au-delà de ça ! Son corps, jusqu'à présent, on ne sait toujours pas où il se trouve, alors que ça s'est passé en 1857. On la cherche, c'est donc un engagement politique. On voulait la rappeler à la mémoire des gens.
Karla : Si on revient un peu au thème politique, je crois que la prise de position, c'est très personnel, de soutenir ou non un candidat. Et là-dessus le groupe est très clair : on n'utilise pas qu'une seule couleur.

Que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Patricio : C'est très vague. Parce que, par exemple, le théâtre comme proposition pédagogique pour les enfants, c'est un apport très précieux pour l'auto-estime de l'enfant, la liberté de partager, la liberté de voir la vie différemment, pour ouvrir des espaces en soi-même, pour pouvoir avoir des relations humaines, pour avoir confiance en soi, effacer l'égoïsme, pour aborder des thèmes difficiles comme la séparation des parents par exemple, jusqu'au problème de drogue. Pour moi, c'est un apport très précieux, le théâtre, pour soi-même, dans l'enfance. Ca me paraît fondamental que les enfants de 4-5 ans aient des cours de théâtre. A l'adolescence aussi le théâtre me paraît important, quand tu commences à forger ton esprit, tes valeurs, ta manière de voir la vie, de partager, ta façon de voir la sexualité, ta famille, ce qui t'entoure, la vie politique, la religion, etc... Et après, si on parle du côté professionnel, pour moi c'est un espace où tu peux voir la vie, pas depuis la réalité, mais à partir de tes rêves. Et pouvoir exprimer cette créativité que te donnes le théâtre lui-même, tu commences donc à te façonner tes rêves et à vivre une profession différente et alternative. Pour moi le théâtre c'est ça, c'est une façon d'exprimer les rêves, n'importe lesquels par exemple : j'ai toujours eu envie de créer une famille dans le groupe, avec tout ce que cela implique, parce que c'est très difficile, parfois tu te fâches, tu ne produis rien, mais d'un autre côté, réussir à fonder une famille dans un monde où tous s'arrêtent au lieu de s'unir. Pour moi le théâtre c'est tout le contraire, quand tu commences à former un groupe, avec toute cette familiarité que tu essaies de créer, c'est le produit d'une cellule qui a besoin du monde qui l'entoure pour pouvoir grandir, pour pouvoir être bien. Pour moi c'est ça, le théâtre.
Paúl : Voyons... je pensais - pendant que Pato parlait - que le théâtre était peut-être un mouvement de l'âme. Le théâtre est un moteur qui rassemble les situations d'une humanité qui a besoin de ne pas se laisser mourir. C'est un lieu de transformation sociale : c'est super nécessaire.
Patricio : Je crois aussi que chaque ville a un besoin différent du théâtre, il n'y a pas de généralités, on ne peut pas dire : "le théâtre sert à ça". Je crois que chaque ville, chaque lieu a sa nécessité propre. Et je crois que le théâtre est lié à la vie-même d'une ville. Parfois les gens ont besoin de rire plus, regarde le théâtre colombien par exemple, face à tout ce qu'ils vivent, face à toute la violence qu'il y a dans ce pays, si tu regardes les troupes, ils créent un théâtre super festif, c'est un théâtre plein de vie ! Je suis partisan du fait que les gens ont besoin de rire plus, ils ont besoin de rire plus, rien d'autre.
Karla : Le théâtre est un outil. Un outil pédagogique, pour gérer les conflits. Il y a mille formes d'utiliser le théâtre. Pour moi, c'est surtout une réflexion sociale, c'est un reflet de la société. La montrer sur scène, c'est un moyen de l'affronter. Pour moi, le théâtre c'est une forme de vie.

lundi 25 mai 2009

Piotr Zalamea, directeur de la compagnie Barojo, Cuenca

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots, nous expliquer ce que vous faites ?
Ce que je fais ? Je ne sais pas ce que je fais ! (rires). Je crois que je suis engagé dans les arts, c'est l'unique raison qui vaille réellement la peine, les arts. Tout le temps que j'ai, toutes les heures, j'essaie de les consacrer à l'art, mais pas seulement dans un art où moi je me sens bien, et voilà.
Je crois aussi que, dans des pays comme l'Équateur, dans des villes comme Cuenca, les gens ont besoin d'avoir accès à l'art. J'ai eu beaucoup de chance d'avoir accès à l'art dans ma jeunesse, quand j'étais au collège. Je crois que ce moment de ma vie a été si riche que j'aimerais que plus de gens y aient accès.
Je partage donc mes journées entre faire de l'art et aider les autres, surtout les jeunes, à se familiariser avec l'art, à jouer avec. J'aime jouer.

Comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
Peut-être parce j'étais très mauvais pour tout le reste ! (rires).
Ma maman y est pour beaucoup : toujours, depuis tout petits, elle nous a familiarisés avec tous les arts. Elle nous faisait peindre, écouter de l'opéra, danser sur des musiques équatoriennes et européennes - ma mère est européenne - les deux continents ont toujours été unis chez moi. Quand j'étais au collège, on m'a invité. J'étais étudiant. "Enregistrons un conte sur cassette", "Ok !" "Maintenant enregistrons une vidéo", "Ok!"; "Tu veux faire du théâtre ?" "Ok, je fais du théâtre." "Tu veux faire de la danse ?" "Ok, je fais de la danse!" Après, quand je suis arrivé à l'université et que j'ai dû choisir une formation "normale", aucune ne me contentait. Je ne sers à rien pour l'ingénierie, la médecine ne me plaît pas, les arts me plaisent, je vais donc faire de l'art. Je suis resté dans l'art, j'espère que c'est pour toujours, mais on ne sait jamais ce qui peut se passer le jour suivant.

Pouvez-nous nous raconter la genèse du Teatro Barojo ?
J'étais présent lorsque Barojo a été fondé, mais j'étais au collège à l'époque, j'avais été invité, j'avais fait un peu de théâtre et le directeur, William Saquicela m'a proposé : "on va former un groupe, tu veux y participer ?" J'ai accepté et peu à peu... Ça c'était au moment de la formation du groupe, je suis le seul qui suis resté, depuis. Les années ont passé, William a dû voyager, les problèmes de migration en Équateur sont forts, il a dû quitter l'Équateur, il est maintenant aux États-Unis et travaille toujours dans le théâtre. Moi je suis resté ici en Équateur, William m'a directement dit : "tu continues avec le groupe".
Quand j'ai été directeur de Barojo, je ne savais pas diriger quelque chose : "Comment je dirige ?" Ça a été des années d'étude, avec l'aide de mes compagnons du groupe qui ne m'ont pas laissé seul, heureusement. On a appris à mettre-en-scène, à traduire, à monter des pièces. Barojo, pour moi, c'est tout un centre de vie.
Actuellement je suis très fier, parce que Barojo a pu se présenter dans des festivals internationaux, gagner l'appui des producteurs d'autres pays, notamment des Mexicains qui ont voulu nous soutenir pour créer des pièces.
Pour un petit groupe qui faisait quelques petites choses au collège, pouvoir faire des choses plus grandes, représenter l'Équateur à l'étranger.
Je suis très fier de représenter l'Équateur, mais je suis aussi Polonais, je ne laisse pas mon autre nationalité. Et même si Barojo est un groupe équatorien, tout ce que je fais est aussi polonais, les deux sont liés.

Comment définiriez-vous le genre de théâtre que vous faites ?
Mmm... bizarre (rires). Comme on a jamais eu quelqu'un qui nous a défini une ligne, Barojo a toujours été un théâtre expérimental, parce qu'on expérimente. Au début, parler d'expérimental sans avoir aucune base, c'était trop prétentieux. Je sais que les premières pièces de Barojo n'étaient pas expérimentales.
Actuellement je crois que Barojo a pour objectif de faire du théâtre expérimental, mais pas éloigné des autres objectifs : il a beaucoup de théâtre social, du théâtre de guérilla - qui n'a jamais perdu sa vigueur à Cuenca - le centre urbain n'a plus besoin d'un théâtre de guérilla, mais le centre urbain ce n'est pas la même chose que la périphérie de la ville. Ce n'est pas seulement que je sens que c'est nécessaire, mais je crois que les gens en ont besoin.
Si tu me demandes si Barojo a une ligne, je ne crois pas qu'il en ait une. Il n'y a pas un groupe de 5 personnes et voilà. C'est un groupe de 40 personnes qui travaillent diverses activités : il y en a qui travaillent les propositions de théâtre expérimental, d'autres qui veulent juste apprendre à jouer des percussions. Il y a différentes étapes.

Vous travaillez beaucoup avec les jeunes, n'est-ce pas ?
Oui, surtout Daniel - mon frère - et moi. On a suivi une formation parallèle au théâtre. Quand on faisait du théâtre on était aussi liés à des groupes d'action sociale. Et tous les deux, nous avons étudié la pédagogie. Ça nous passionne.
Il y a une partie de Barojo qui travaille avec les jeunes, et une qui travaille avec les enfants. Bizarrement, nous les hommes on travaille plus avec les jeunes, et les femmes avec les enfants, sans qu'on ait défini quoique ce soit au préalable.

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait une responsabilité ?
Totale.
Totale. Par chance - et c'est l'une des raisons pour laquelle je ne pense pas quitter l'Amérique - en Amérique il y a cette ébullition, des choses se passent. Et quand on se réunit pour faire du théâtre, c'est un peu le lieu où se concentrent ces ébullitions, il y a beaucoup d'idées, de choses, politiques, artistiques aussi, culturelles que les gens veulent exprimer. Et tu ne peux pas tout dire partout. Il y a donc une grande responsabilité : comment je vais le dire ? pourquoi ? où ?
Je crois que j'ai un positionnement politique très clair, mais je sais que ce positionnement politique, ce n'est pas responsable de le porter partout. Si je vais voir un groupe de jeunes de 15 ans qui apprennent à connaître le monde dans lequel ils évoluent, le pays dans lequel ils vivent, et que je leur présente ma ligne politique comme étant l'unique option, ça ne leur apportera rien. Je sentirais que je suis en train de les manipuler. Je crois qu'il existe ici une responsabilité : quand tu fais quelque chose, il faut essayer de voir comment tu peux faire pour que l'autre personne puisse discerner et non pas sortir du théâtre et se dire : "Aaah! Il faut tuer les policiers!"

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Tout.
Je ne crois pas que les gens vivent bien quand c'est bien économiquement. Les gens vivent bien quand ils se sentent bien à l'intérieur. Et la culture te mène à cela : à te sentir bien. Le théâtre sert de miroir, de rapprochement avec d'autres réalités. Le théâtre, c'est une grande fenêtre. Une fenêtre sur soi et les autres choses. Ça t'apporte de la vie.
Je reconnais qu'à Cuenca, je ne suis pas le seul qui en fasse, et je crois que tous les habitants de cette ville sont acteurs. Tous. Ils cherchent tous le moment où ils peuvent jouer. Il y a ceux qui ont décidé d'en faire leur vie - comme nous - et les autres qui, bien qu'ils soient ingénieurs, avocats, cherchent toujours un moment. Le 6 janvier il y a un défilé ici à Cuenca, pour le jour des Innocents et toute la ville est présente, déguisée. Il y a ceux qui participent au défilé et ceux qui vont juste y assister, mais tous sont déguisés et tu peux les voir jouer. Le plus commun, c'est de voir les hommes déguisés en femme, et ils sont très féminins ! Il y en a d'autres qui représentent le président, qui personnifient les évènements marquants pour le pays. Et le plus curieux, c'est que bien que la Faculté d'Arts participe au défilé, il y a aussi toujours les écoles d'ingénieurs, d'avocats,... et avec des mises-en-scènes intéressantes. Ce sont des chars avec des scénographies magnifiques, des costumes très dessinés, des personnifications très étudiées. Ce n'est pas simplement : je me mets le masque du président, donc je suis le président. Ils adoptent les postures, la façon de parler,... Cuenca est complètement théâtrale.

jeudi 7 mai 2009

Teatro del Presagio, Cali

Pouvez-vous vous présenter brièvement ?
Camilo Villamarín : Mon nom est Camilo Villamarín, je suis acteur et directeur exécutif du groupe. Nous avons tous une fonction esthétique déterminée, mais aussi une fonction dans la partie "organisation".
Gonzalo Basto : Je suis Gonzalo Basto, je suis acteur et actuellement je suis les cours du dernier semestre du département théâtral de l'École des Beaux Arts. Avec Ingrid, je m'occupe de la partie publicité.
Lylyan Rojas : Je suis Lylyan Rojas, licenciée en Art Dramatique de l'École des Beaux Arts et dans la Fondation Culturelle Teatro del Presagio je suis actrice et coordinatrice de gestion.
Edwin Taborda : Mon nom est Edwin Taborda, je suis actuellement les cours du 7ème semestre d'Art dramatique de l'Université des Beaux Arts et mon rôle dans le groupe c'est tout ce qui est production et logistique.
Juan Pablo de Villa : Mon nom est Juan Pablo de Villa, je suis acteur au sein de la Fondation Culturelle Teatro del Presagio et je m'occupe de la production logistique et technique. Je suis en train de faire ma thèse d'art dramatique aux Beaux Arts.
Julian Arteaga : Mon nom est Julian Arteaga, je suis acteur du groupe.
Diana Marcela Mellado : Je suis Diana Mellado, je suis aussi licenciée en Art dramatique aux Beaux Arts et je m'occupe de la partie administrative.
Ingrid Johana Osorio : Je suis Ingrid Osorio, je m'occupe de la publicité et je me charge aussi de la production.

Pouvez-vous nous raconter la genèse du Teatro del Presagio ?
Camilo V. : La grande majorité d'entre nous a étudié à l'Université des Beaux Arts. Quand on a été sur le point de terminer nos études, on s'est réunis, avec un élément très important du groupe, Diego Fernando Montoya, qui n'est pas là aujourd'hui - il aurait voulu être là, mais il est actuellement à Bogotá pour faire des papiers, il va en Espagne recevoir un prix qu'il a gagné pour une nouvelle qu'il a écrite.
A cette époque, donc, on a connu Diego Fernando et il y a eu l'empathie, l'affinité esthétique, on s'identifiait beaucoup avec sa façon de voir le théâtre, ses propositions,... et en 2005 on a fait notre première version d'un fragment de Justine, du marquis de Sade. Et, cette première idée de monter une pièce ensemble pour apprendre à se connaître s'est converti en ce projet du Teatro del Presagio et cela fait déjà 4 ans. Nous formons un groupe stable, à Cali il y a différents groupes comme le nôtre, le Domus Teatro par exemple, qui a une salle, une infrastructure, ou des groupes comme le nôtre, qui louent des espaces, et qui travaillent indépendemment. On est des gitans du théâtre, pour l'instant ! Mais on grandit !

Pouvez-vous nous parler d'Oedipe, poème dramatique en un acte, la pièce que vous préparez en ce moment ?
Lylyan R. : Cette version de la pièce Oedipe part du classique de Sophocle mais avec une vision de notre monde contemporain, de la situation politique, sociale et économique que l'on vit en ce moment. Elle est écrite sous forme de poème par notre dramaturge et directeur Diego Fernando Montoya. C'est le moment où Oedipe, déjà aveugle, exilé de sa terre, déambule à travers le monde, la vie et ses propres souvenirs. C'est la version que nous travaillons.
Camilo V. : On prétend prendre le mythe universel comme référant pour le contexte et travailler sur le monde des spéculations, du lyrique.
Lylyan R. : On travaille avec des éléments naturels : l'eau, le sable, le feu, mais de manière symbolique. L'idée, c'est que le public entre dans une sorte de transe - pour l'appeler ainsi - qui lui permette d'entrer dans ce monde de ténèbres dans lequel erre le personnage.
Et on utilise les sonorités du dijeridoo - c'est un tube de bambou - qui est l'élément clé à partir duquel surgissent de nombreux sons - et qui ajoute l'air comme autre élément. La pierre aussi est fondamentale dans les sonorités qu'on réalise.
C'est un théâtre statique, c'est l'esthétique que nous avons choisie, le théâtre de la quiétude ou l'action émerge de l'intérieur et ne se manifeste pas tant dans le mouvement mais dans l'émotion et la parole.
Camilo V. : Vous ne l'avez pas vue en entier, mais il y a toute une mise-en-scène, un décor.
Lylyan R. : La guerre... c'est cette ambiance de désolation, de misère, de pauvreté que laisse la guerre. C'est une ambiance de "post-guerre". C'est l'inspiration pour la mise-en-scène qu'on a créée, mais sur un mode abstrait, symbolique.

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait une responsabilité ?
Camilo V. : On a beaucoup parlé de ça ! Le théâtre colombien - ou le théâtre latino-américain - s'est formé avec idée du changement social. Et nous, d'avoir grandi là-dedans, on sent que ça ne s'est pas perdu et que c'est une responsabilité. On n'a plus le même intérêt politique, nos ambitions sont plus esthétiques, plus personnelles, mais on veut que le théâtre ait une responsabilité sociale.
Julian A. : L'une des recherches du groupe qui est permanente c'est - oui, il y a cette responsabilité, mais on ne cherche pas l'évidence. Il s'agit de présenter de manière esthétique ces points de vue qu'on peut avoir, et ne pas aller à un langage direct qui empêche cette possibilité créatrice qu'a l'artiste.
L'esthétique dans nos pièce n'a jamais été réaliste, on essaie pas de reproduire la réalité. On a plutôt cherché une rupture permanente avec le réalisme. Pas parce qu'on ne lui reconnaît pas une possibilité esthétique, mais parce que c'est une recherche créative autre.
Camilo V. : C'est ce qui nous caractérise et nous différencie des autres groupes de la ville.
Lylyan R. : On parle toujours de ce qu'on est, de ce qu'on sent, de ce qu'on vit et on présent notre point de vue sur la société.
Juan Pablo de V. : On a toujours pensé que l'artiste, en général, pas seulement les acteurs, ont toujours été engagé dans le développement des sociétés.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ? A quoi sert-il ?
Lylyan R. : Je crois que le théâtre va directement à la sensibilité, et à partir de là, active l'intellect. A partir de la sensation, de l'émotion. C'est donc une forme différente d'apprendre, de connaître, de comprendre.
Gonzalo B. : Il crée une conscience.
Juan Pablo de V. : Au-delà de narrer, ou de raconter des histoires, on cherche une expérience, ou créer des sensations, éveiller des inquiétudes.
Camilo V. : L'inquiétude, c'est la base de l'apprentissage.

samedi 2 mai 2009

Teatro la Máscara, Cali

Tout d'abord pouvez-vous vous présenter en quelques mots pour la caméra ?
Suzana Uribe : Je suis Suzana Uribe, je suis directrice et fondatrice du Teatro La Máscara, cela fait déjà plusieurs années que le groupe existe.
Lucy Bolaños : Je suis Lucy Bolaños, co-fondatrice du Teatro La Máscara en 1972, je suis restée ici ... tout la vie, en faisant du théâtre, et j'ai été aussi gestionnaire culturelle, actrice, metteur en scène, je me suis entièrement formée entre ces murs, une formation intégrale tout en continuant de travailler.
Pilar Restrepo : Je suis Pilar Restrepo, je suis entrée à La Máscara en 1979, j'ai étudié la littérature, j'ai d'abord travaillé comme actrice et maintenant comme dramaturge.

Pouvez-vous nous raconter la genèse de La M
áscara ?
Lucy : La Máscara naît avec le Nouveau théâtre colombien, dans les années '70, et à travers la Corporacion Colombiana de Teatro, qui avait beaucoup de poids à ce moment-là (5 régionales à travers tout le pays, festivals nationaux de théâtre et ateliers nationaux). Et c'est au cours de leurs ateliers qu'est né le groupe La Máscara. A quelques blocs d'ici d'ailleurs, il y a le TEC fondé par notre maître Enrique Buenaventura. C'est là que s'est consolidé le groupe, d'abord avec les directeurs du TEC, puis La Máscara a pris son envol. D'abord avec du théâtre de rue puis en se rapprochant des groupes sociaux de femmes, des féministes, et en commémorant, à travers le théâtre, le jour de la non violence contre la femme. C'est de cette manière que le groupe se construit, autour d'une même problématique de genre, et du féminisme. Et lors du départ des hommes du groupe, on s'est encore davantage consacré à ça. On travaille d'ailleurs aussi avec les communes, les secteurs marginalisés, opprimés, cela fait un certain temps que l'on développe cela.

Vous voyagez beaucoup ?
Pilar : On a eu l'opportunité de connaître beaucoup de pays en participant à de nombreux festivals en 1989. On a été en Argentine, en Équateur, en Australie, en Nouvelle Zélande, le groupe a été aux États-Unis, et notre travail a été reconnu et applaudi.

Comment travaillez-vous au sein du groupe ?
Suzana : On travaille bien évidemment dans un esprit de création collective, dans le sens où La Máscara a une méthode de travail bien particulière : on invite des metteurs en scène pour qu'ils montent un projet au sein de La Máscara. On n'a pas un metteur-en-scène attitré, sinon un trio. Ils sont venus monter pas mal de spectacles ici.
Lucy : Oui, d'une certaine manière, le travail socio-culturel que nous faisons, nos spectacles tournent généralement autour de cette même problématique de personnes. On travaille à partir d'improvisations pour passer de la scène à la table et vice-versa. C'est de cette manière qu'on construit la structure de la pièce.

Et c'est toujours le même dramaturge, ou c'est en fonction de ce que vous voulez défendre ?
Suzana : En fait, on fait en fonction de ce dont on a envie : certaines fois on s'est dit : "on veut travailler ce texte en particulier". On a travaillé à partir de poème dramatique d'une écrivain new-yorkaise, un autre texte d'une auteure argentine, on est ouvertes à toutes les possibilités. Il y a aussi Pilar qui nous a écrit des textes.

Vous avez combien de pièces au répertoire ?
Lucy : On compte environ une trentaine de pièces.
Suzana : Mais nous n'avons pas toujours travaillé autour de la même thématique, autour de la femme, etc ... lorsque l'on a commencé, La Máscara était un groupe mixte.
Lucy : On a monté beaucoup de textes d'auteurs tels que Shakespeare, Brecht, Buenaventura ... Mais d'une certaine manière, à l'intérieur de ce travail d'improvisation, de création collective, d'analyse de texte, il faut savoir que tout part de l'acteur et de sa proposition sur scène. Ce n'est pas le metteur-en-scène.

Et le groupe se maintient ? Il n'y a pas trop de membres entrant ou sortant ?
Suzana : Si, tout le temps (rires)
Lucy : Nous sommes celles qui restons depuis le début.

Pensez-vous que l'acteur ait une responsabilité ?
Pilar : Bien sûr. Le théâtre latino-américain doit avoir une éthique, une réflexion par rapport à ce qui se passe au quotidien. Car c'est un art qui possède un langage propre, une autonomie. D'ailleurs nous sommes les pionnières du théâtre de genre en Colombie, il n'y a pas grand monde qui se soit consacré au théâtre féministe. Et La Máscara a la capacité, le courage et la qualité qui lui ont valu une reconnaissance internationale.
Lucy : Oui, je crois que La Máscara a une responsabilité sociale au niveau de l'Amérique latine. Au cours de nos ateliers avec la Corporacion, on essaie d'ouvrir d'autre brèches. On ne se réduit pas à faire uniquement de l'expression corporelle ou de la technique vocale, mais on étudie d'autres choses comme l'histoire, l'économie politique. On se positionne par rapport à la société dans laquelle on vit. Et face à une culture patriarcale dominante.
Suzana : Nos engagement en tant qu'actrices se trouvent aussi dans nos projets sociaux-culturels avec des populations déplacées, des jeunes en difficulté, des femmes ... C'est l'objectif majeur du travail de La Máscara, et on croit beaucoup à ce travail.

Que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Lucy : Je crois que d'une certaine manière avec les spectacles que nous montons, les thématiques, on forme un public particulier, qui a une réflexion face un thème donné. On ouvre aussi des débats, on donne des formations aux populations vulnérables, mais pour défendre les droits de l'homme. L'idée de ce travail est d'avoir un écho au sein des communautés, et de créer une conscience face à soi-même et face à la société, d'élever l'auto-estime de chacun et de donner une qualité de vie à travers le langage du corps et de la voix.
Pilar : Et pour ces femmes, par exemple, travailler avec La Máscara a été une possibilité de sortir la tête de toute cette violence ...