vendredi 18 juillet 2008

Ivette Mercado, comédienne, Cochabamba


Après trois jours passés dans le Salar d'Uyuni et le Sud Lípez, quelque part dans l'immensité de l'Altiplano, entre les lagunes multicolores, les geysers à 5000m d'altitude, les montagnes rouges et les lamas (!), nous retrouvons la fièvre de la grande ville et des températures plus décentes : Cochabamba, la capitale culinaire de la Bolivie ! Cinq repas par jour, excusez du peu !

A peine arrivées, 7h de train et 4h de bus dans les jambes, nous retrouvons Ivette Mercado près de la fontaine de la plaza centrale. C'est une jeune femme de 26 ans aux yeux clairs qui contrastent avec ses longs cheveux noirs. Elle nous invite à aller au mARTadero, dans le quartier sud de la ville (quartier le plus pauvre), un centre culturel qui se développe depuis 2004 et qui abrite une salle de théâtre, une salle de projection, trois salles d'expositions et une salle pour les activités créatrices des enfants. Un espace bouillonnant de culture dans un quartier désaffecté. Avec la directrice du centre, Ivette nous fait faire la visite des lieux. C'est un ancien abattoir de viande bovine. Il y a encore les crochets et les rails d'origine au plafond ! Dans les cours, des enfants s'amusent et chahutent.
On prend le temps de regarder les expositions photos. Des clichés qui reflètent les inondations de l'Oriente (région ouest) au début de cette année, et les affrontements entre blancs et indiens à Cochabamba et Sucre. C'est avec étonnement et encore un peu plus d'incrédulité que l'on apprend qu'il y a eu deux autres évènements similaires à ceux du 24 mai. La Bolivie semble être sur des charbons ardents.

Nous interviewons Ivette dans une des salles du mARTadero. Ses yeux pétillants illuminent le plan, derrière elle, un tableau noir. Son projet Para que te acuerdas ("Pour que tu te souviennes"), arrive bientôt à terme après 3 ans de travail : elle est allée, avec 3 collègues, dans 3 communautés distinctes dans la région de Cochabamba récolter leurs contes (ils ont une forte tradition orale). Ceci afin d'en faire une compilation et de les porter sur la scène.

Pour commencer, peux-tu te présenter et nous raconter ton parcours ? Qu'est-ce qui t'a donné envie de faire du théâtre ?
Je suis née à Oruro, et ma famille a déménagé à Cochabamba lorsque j'avais 3 ans. J'ai donc grandi et étudié ici. Cela fait environ dix ans que je fais du théâtre, j'ai commencé au collège. Puis petit à petit, c'est devenu toute ma vie.

Peux-tu vivre de ton art ?
J'espère pouvoir en vivre, c'est mon objectif et je crois qu'il est réalisable. Je faisais de la gestion culturelle en parallèle, mais je viens de quitter mon travail pour me consacrer exclusivement au théâtre. J'ai aussi donné des cours dans des collèges.

Peux-tu nous parler du théâtre à Cochabamba ? Quel type de théâtre peut-on y trouver ?
Jusque dans les années 90-95, c'est l'association IBART (association d'artistes) qui dominait. Elle a fondé un festival de théâtre. C'était un théâtre réaliste. Puis des mouvements de jeunes, avec d'autres propositions ont vu le jour, dans le domaine du théâtre expérimental.
Aujourd'hui, il y a trois compagnies "stables" à Cochabamba, principalement des jeunes. Notre groupe fait du théâtre "éclectique-expérimental". Nous essayons de démocratiser l'accès à la culture pour le peuple.

Quel est le devoir de l'acteur ?
Le devoir fondamental de l'acteur est de communiquer, de dire quelque chose.

Selon toi, est-ce que le théâtre doit nécessairement être engagé, ou peut-il être un divertissement pur ?
De manière générale, je ne pense pas que le théâtre doive nécessairement être engagé. Pour ma part, j'ai envie que mon théâtre soit engagé. On ne peut pas rester indifférent à la réalité, le théâtre doit être un chemin vers quelque chose.

Est-ce que le métier d'acteur est un métier comme les autres, ou est-ce une activité "à part", pour toi ?
C'est un métier mais aussi une politique de vie. En même temps, ce n'est pas une activité quotidienne, c'est quelque chose de vivant. Le théâtre exige beaucoup de toi (corps, voix, lecture, écriture, perception,...).

Que penses-tu que le théâtre peut apporter aux gens ?
Beaucoup, beaucoup, beaucoup. Parce qu'il reflète des vérités, des réalités.
Pour celui qui en fait, il y a un plaisir inexplicable à faire du théâtre. Malgré les souffrances des répétitions, les tensions, lors de la représentation tu te dis : "je veux le refaire!". C'est une école de vie. Le théâtre aide les gens à communiquer, je pense.

As-tu déjà regretté ton choix d'être comédienne ?
Non. Pour vous dire la vérité, plus le temps passe, plus je suis convaincue de ce que je fais. Le théâtre me rend heureuse.


Elle nous sourit. On prend notre traditionnelle photo (qu'on a plutôt eu tendance à oublier ces derniers temps...) puis on repart toutes les trois vers le centre ville. On se quitte à un carrefour.

mercredi 9 juillet 2008

César Brie et le Teatro de los Andes, Yotala (Sucre)

Hier, journée à marquer d'une pierre blanche : rencontre avec César Brie, fondateur du Teatro de los Andes, excusez du peu. C'est à peu près l'équivalent du Théâtre du Soleil d'Ariane Mnouchkine, mais en Bolivie. Il nous attendait pour el almuerzo (le déjeuner) à 12h30. Leur Q.G. se trouve dans les alentours de Sucre, à Yotala très exactement, pueblito charmant mais vraiment perdu, que seul un micro dessert depuis Sucre. "Micro" est le terme adéquat, quand on voit la taille de l'engin. Ce qui est effrayant, c'est le nombre de personnes qu'ils arrivent à entasser là-dedans. On a 1/3 de fesse qui s'accroche désespérément à une mini-banquette, les jambes repliées au plus près de soi, les pieds posés où ils peuvent sur le sol jonché de coquilles de je-ne-sais-quoi, de sacs de marché, d'oranges ... à gauche, un bras qui agrippe une poignée, à droite, la tête nattée d'une cholita, et plus bas le visage buriné d'une petite fille, dont l'expression sereine prouve sa grande habitude à effectuer ce genre de voyage.
Bref. Nous arrivons à Yotala, saines et sauves, après des petites routes de montagne sinueuses (paysage extraordinaire comme toujours) que le chauffeur emprunte avec fougue, je dirais même avec rage. A Yotala, tout le monde connaît le Teatro de los Andes. Le conducteur, la mamita à côté, les laveuses un peu plus bas près de la rivière, le jardinier qui déjeune sur une pierre avec sa femme et sa fille. C'est lui qui nous indique la grille bleue, un peu plus loin. "Aqui esta el Teatro de Don Cesar". C'est comme cela qu'ils l'appellent tous. Respect. On cogne à la grille, comme indiqué. Un immense chien blanc se précipite vers nous en aboyant, suivi d'un jeune homme souriant : un des acteurs de la troupe. On est accueillies dans le jardin de la propriété (magnifique) par plusieurs des comédiens, qui nous offrent une limonade. Bientôt nous rejoint César Brie, cheveux grisonnants, petites lunettes, peau hâlée, barbe de 4 jours, yeux d'un bleu quasi transparent. Il est habillé un peu n'importe comment. Mais on sait que c'est lui. Son visage est marqué par une expérience artistique et personnelle qui vaut son pesant d'or. Il nous sert la main, s'excuse du retard, nous invite à manger à l'intérieur. Là, deux cuisinières boliviennes s'affairent au dessus de chaudrons magiques fumants. Elles nous servent deux assiettées de pâtes délicieuses, on déjeune autour de la table, tous les trois, tranquillement. César sait parler français, ce qui nous facilite la tâche pour démarrer. Notre timidité s'atténue peu à peu, les questions fusent avant même que la caméra soit allumée. On est fascinées par le personnage, par ce qu'il a accompli, par cette vie en communauté si ... organisée, si pro. Une grande brune filiforme, comédienne évidemment, nous rejoint et prend part à la discussion. Nous la dévisageons. Elle est d'une grande beauté. C'est la femme de César. Ils ont deux petites filles qui courent dehors, qui chahutent. Elles suivent leur scolarité à Yotala. Deviendront-elles actrices ? Allez savoir ... cela ressemble à une grande famille, des couples, des enfants, des frères, des sœurs ...
Le déjeuner se termine sur une note chocolatée, César propose de nous montrer la propriété. On allume Didine. Hors de question de rater ça. C'est une superbe occasion. Au fil de la visite et des dires de César, on en apprend sur tout : les débuts du Teatro de los Andes, comment tout cela a pris vie, comment ils ont trouvé ce lieu paradisiaque, pour quelles raisons, dans quel état, pour combien, comment la troupe fut peu à peu fondée, les anecdotes incontournables, les soucis, les joies ... César est extrêmement ouvert, il se prête au jeu, répond à toutes nos attentes, tout en nous montrant les recoins de son petit paradis.
Un peu plus en contrebas, sa maison, qu'il a construit lui-même évidemment, après avoir mis de l'argent de côté à l'étranger pendant quelques mois (conférences, etc ...) laissant le théâtre tourner sans lui. L'intérieur de la maisonnée est comme lui : captivant. Des livres, des cadres au mur, des photos, des objets, de la paperasse, des couleurs, du bruit (les petites qui jouent dans la mezzanine) ... on est sous le charme.
Nous l'interviewons dans sa cuisine, en buvant un cafecito con crema. Il sera en retard à la répétition, mais tant pis. Les autres commenceront sans lui.

Pouvez-vous vous présenter et nous raconter votre expérience, comment en êtes vous venu au théâtre ?
J'ai commencé le théâtre à 17 ans à Buenos Aires. Puis j'ai quitté l'Argentine car un des acteurs de la troupe s'est fait capturer et torturer. Je suis parti en Italie, m'installer près de Milan, où j'ai créé une troupe. On a travaillé huit ans en Italie, puis j'ai filé au Danemark, où je suis resté neuf ans. Ensuite je suis revenu en Italie pendant un an, puis j'ai quitté l'Europe pour la Bolivie en 1991, date à laquelle j'ai fondé le Teatro de los Andes. Cela fait dix-sept ans que je travaille ici. Je ne suis jamais retourné vivre en Argentine.
Mon envie de faire du théâtre est venue à cause des femmes. J'étais extrêmement timide, et je n'arrivais pas à leur parler. J'ai fait du théâtre pour ça. Pour leur exprimer mon âme. J'ai le sentiment que le théâtre est un tout : il y a l'esprit, les mots, le corps ... J'étais un poète, il me fallait le corps aussi. Après quoi j'ai quitté les femmes qui s'interposaient entre le théâtre et moi. C'est paradoxal.

Quand a été fondé le Teatro de los Andes, et quelle est sa philosophie ?
Il a été fondé en 1991. Il y a bien une philosophie, oui. La chose que je voulais faire avec ce théâtre, c'était créer un endroit pour faire des expérimentations artistiques, essayer différentes choses. Je voulais également faire corps avec le public, en faisant du théâtre à la fois expérimental et populaire. Le langage devait être à la fois simple et complexe. Mon but n'était pas de travailler seulement pour l'élite. Je suis fatigué de ça, vraiment. Il nous fallait travailler tous les jours les thèmes de la vie. L'idée était donc de créer un endroit pour vivre et travailler. Ici, on a un moyen de transport, la lumière, le son.. le résultat ne dépend que de nous. C'est ça qui me plaît. Il s'agit d'un projet culturel de vie. Tout en respectant l'intimité et les rêves de chacun. Je ne veux pas être le seul metteur-en-scène, si quelqu'un veut faire quelque chose, il peut.

Comment définiriez-vous votre genre théâtral ?
Grotesque.
Mais je déteste quand on dit : "le théâtre, ça doit être comme ça." Il n'y a pas une seule vérité au théâtre, il y a la différence au théâtre. Il faut dire : "moi, je fais comme ça". Pas : "c'est comme ça".

Selon vous, quel est le devoir de l'acteur ?
L'acteur, c'est un artiste qui utilise son corps, sa voix, pour dire les choses, le présent. Il s'agit donc de dénoncer, mais pas seulement. Sinon c'est ennuyeux. Il y a le devoir de mémoire, grâce à la conscience intuitive du comédien, du metteur-en-scène.

Est-ce que le Teatro de los Andes essaie de toucher tout le monde ?
C'est sa prétention, oui. Mais nous n'avons pas réussi. Ce qui nous en empêche, c'est le manque de moyens, notre manière de vivre. On a quitté les grosses villes pour tout faire ici, à Yotala. Moins d'argent donc. On fait du théâtre pour les paysans, les étudiants ... le peuple. Je pense d'ailleurs que dans les années à venir, je vais dédier mon travail encore davantage aux paysans. Ce sont eux qui ont le plus de choses à dire.

Pensez-vous que le théâtre change avec les évènements politiques ?
Bien sûr. C'est nous qui changeons, et notre théâtre s'en ressent. Nous n'avons aucun modèle préconçu pour faire les choses, donc on réagit à ce qu'on voit. La matière théâtrale, c'est la mémoire.

Comment travaillez-vous au sein du Teatro de los Andes ?
On travaille différemment à chaque fois. Le théâtre est un lieu où l'on doit expérimenter ensemble les choses, à travers la matière artistique, des allégories, etc ... On recherche par les images, grâce à des improvisations, on travaille sur la forme du texte, sur la manière différente à chaque fois de dire les choses.

Combien de temps peuvent durer les répétitions ?
4 mois, 6 mois, 1 an. Cela dépend du résultat obtenu. Ici, contrairement à la France, on a une richesse extraordinaire : le temps. On se donne le temps de faire les choses, d'arriver à ce que l'on veut. Du coup, le temps de répétition varie, c'est notre force. Comme Ariane Mnouchkine.

Que pensez-vous du théâtre comme moyen d'éducation, d'insertion sociale ?
C'est évidemment un moyen d'éducation, Le théâtre permet à tout un chacun de s'ouvrir, de se découvrir, de montrer qui l'on est. Cela permet de se connaître. C´est d'ailleurs le travail le plus important.

César finit son café à toute allure, il vient de regarder l'horloge murale, il faut qu'il file. On s'embrasse. Il nous donne deux dvd, les pièces qu'il a écrites, sa biographie (passionnante). On oublie de prendre une photo, bouleversées.

Quatre heures dans la vie du Teatro de los Andes, mémorables. Merci César Brie !!

vendredi 4 juillet 2008

Escuela Nacional de Teatro, Santa Cruz


Nous arrivons à l'école de théâtre vers 10h15 ce matin. Le micro bus attrapé à la hâte au coin de la calle Sucre et de la calle Cochabamba nous a bringueballées 45 minutes durant à travers les quartiers de la ville. La route peu à peu n'est plus asphaltée, la végétation prend le dessus sur les habitations. Mais le bâtiment qui abrite l'école est flambant neuf et très spacieux !

Nous rencontrons les deux secrétaires qui nous permettent de filmer des cours de danse, de technique corporelle et de technique vocale. Don Marcelo, le concierge, nous ouvre gentiment les portes de toutes les salles (dont une qui porte le nom d'Antonin Artaud...). Les élèves, très communicatifs (ah!, ces apprentis-comédiens... ;)) viennent nous parler à la sortie du cours. Certains font les pitres devant la caméra. Le cours de technique corporelle nous a apaisées, on aurait pu rester des heures assises contre le miroir de la salle de danse à les regarder évoluer dans l'espace sur de la musique douce et rythmée.
Pour dire la vérité, on est abasourdies par la diversité des cours qu'offre la formation : jeu, technique corporelle, chant, kung-fu, yoga, danse, histoire du théâtre.... voilà une véritable formation de l'acteur, complète et riche ! Avoir baigné dans cette atmosphère deux petites heures durant nous a enthousiasmées et nous fait réfléchir à notre formation à nous, à nos lacunes (sûrement), à la nécessité de se former, encore et toujours. Le travail sur le corps semble primordial ici, et nous sommes souvent bluffées par l'aisance scénique des comédiens que nous avons l'occasion de voir sur scène.
Nos images sur la bande de la cassette, nous reprenons le bus pour le centre. Carla, une apprentie-comédienne que nous avons vue danser en classe est assise pas loin. On échange nos impressions sur nos formations respectives avant qu'elle ne quitte le bus.

jeudi 3 juillet 2008

Marcelo Araúz, directeur de l'APAC, Santa Cruz

Après nous être perdues dans l'avenue Béni aux confins de Santa Cruz, dans une rue où les numéros passaient très naturellement de 2028 à 364 (oui oui, la logique des numéros crucéñiens : le facteur doit s'arracher les cheveux), et être revenues en centre ville (oui, parce qu'en fait nous avions rendez-vous RUE Béni et non pas AVENUE... mouais), Marcelo Araúz nous reçoit dans une petite cour intérieure au sein de l'APAC (Asociación Pro Arte y Cultura), au calme.
Toutes transpirantes (c'est qu'il fait chaud, à Santa Cruz !), nous commençons l'interview qui se déroule en français ;)
Marcelo Araúz est directeur de l'APAC qui organise notamment le Festival international de Théâtre de Santa Cruz qui a lieu une fois tous les deux ans (le prochain en avril 2009).

Pour commencer, pouvez-vous vous présenter et nous décrire votre travail ?
J'ai été pendant 12 ans directeur de la Casa de la Cultura de la ville de Santa Cruz. Puis, à la fin des années '80 j'ai travaillé au Ministère de la culture avant de fonder l'APAC. Nous avons commencé par organiser le Festival de musique baroque qui a lieu, lui aussi, une fois tous les deux ans. Nous faisions venir des troupes d'Argentine, d'Uruguay, d'Espagne déjà avant de créer le festival.
Santa Cruz a connu une croissance exceptionnelle, de 48'000 habitants nous sommes passés à plus d'un million à l'heure actuelle. Il n'y a pas de grand théâtre mais pas mal de petits lieux, de petites salles. Lors du festival, toutes les salles sont occupées.

Quand a été fondée l'APAC et quel est son objectif ?
Avant d'être une institution, l'APAC est un groupe d'amis. À vrai dire, l'APAC est née après qu'ait eu lieu le premier festival de théâtre !

Où est née l'idée d'un festival de théâtre ?
Nous avons toujours eu l'idée de le faire. Et, avec le succès rencontré par le festival de musique baroque, nous avons décidé de créer ce festival de théâtre.

C'est donc vous qui en êtes le fondateur ?
Oui, tout à fait.

Comment s'organise un festival de ce type en Bolivie ?
Tout d'abord, il faut un groupe de travail très optimiste car nous devons tout faire de A à Z, nous n'avons aucun appui de la part de l'État. Il faut donc démontrer que l'on travaille bien pour acquérir une certaine crédibilité. Il faut des gens qui ont beaucoup de courage pour travailler dans le secteur culturel dans un pays comme le nôtre.

Comment choisissez-vous la programmation ? Quels sont les critères ?
Je me déplace beaucoup à l'étranger pour assister à des festivals de théâtre (notamment au Brésil, en Argentine, au Chili, ...). Comme nous avons très peu de moyens, on demande souvent de l'aide aux ambassades et on invite des plus petites troupes. Nous avons un budget beaucoup plus restreint que les autres festivals de théâtre du continent.

Est-ce que le festival a drainé beaucoup de spectateurs dès le début ?
Oui. Nous avons réussi à atteindre 22 populations hors de la ville, dans un rayon de 500 à 600 km.

Est-ce qu'il y a beaucoup de jeunes parmi le public ?
Il y a beaucoup de jeunes, oui. Comme il y a maintenant l'école de théâtre nationale, cela draine un public plus jeune.

Que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens, à la société ?
De nos jours avec la télévision et l'audiovisuel, il faut tâcher de reconquérir un public qui aime le théâtre, mais qui n'a pas l'occasion d'y aller.

Fin de l'interview. Marcelo nous présente un autre Marcelo. A eux deux, il vont nous donner une tonne de contacts à Buenos Aires, notre prochaine destination majeure pour le théâtre. Marcelo Alcón se fait une joie de répondre à nos questions. 2-3 petites photos, une embrassade, une brochure et un dvd de la dernière édition du festival de théâtre, nous repartons, une fois de plus enrichies tant humainement que théâtralement.

mercredi 2 juillet 2008

René Hohenstein, metteur-en-scène et comédien, Santa Cruz

Arrivées hier a Santa Cruz de la Sierra, à l'ouest de la Bolivie ("el Oriente"), après quasiment 24h de voyage suite à des bloqueos (blocages de route), nous avions rendez-vous aujourd'hui avec René Hohenstein au Musée de l'Histoire. Pourquoi le Musée de l'Histoire, nous sommes-nous demandées ?? Parce qu'une petite salle de théâtre se cache dans un coin de la cour intérieure. René Hohenstein nous ouvre ses portes. Premier choc : il nous apprend qu'Ingrid Betancourt a été libérée. Les larmes aux yeux, nous prenons quelques minutes pour nous remettre de nos émotions. L'interview peut commencer.

Parlez-nous du théâtre à Santa Cruz.
Au XIXe siècle, il y avait très peu d'activité. Mais il y a eu une évolution a partir du XXe siècle, avec des spectacles universitaires puis l'émergence du théâtre expérimental, mais il n'y avait rien de stable. A la fin des années 1970 est née la Casa de la Cultura (Maison de la Culture, ndlr), qui avait une véritable politique culturelle : faire connaître tous types de théâtres, de tous endroits (Uruguay, Argentine, ...). En 1986 j'ai fondé la compagnie CasaTeatro, au début nous étions dépendants de la mairie. Puis cette salle a été construite (celle où il nous reçoit, ndlr) ce qui nous a permis de trouver une certaine indépendance. Il y a également beaucoup de groupes parallèles qui se sont formés, mais d'une durée de vie de 3 ou 4 ans.
1997 est une date importante puisque c'est celle du premier festival de théâtre de Santa Cruz, ça a commencé avec une dizaine de groupes. A peu près a la même période s'est formé l'APAC (Asociacion Pro Arte y Cultura de Bolivia).

Existe-t-il différents types de théâtre comme à La Paz ?
En 1970 il y a eu une grande effervescence pour le théâtre populaire, avec beaucoup de pièces locales (il y en avait 3 ou 4 par an), c'était plutôt commercial, cela cherchait a atteindre un public, le faire rire ou le faire pleurer. Les élèves issus de l'école de Santa Cruz ont essayé de montrer un autre type de théâtre. Ici à Santa Cruz il n'y avait pratiquement pas de dramaturgie, c'est pour cela que je me suis mis a écrire, il y a eu aussi Gonzalo de Córdoba (un Argentin), et Oscar Barbery qui maniait très bien la dramaturgie, il a écrit des pièces en rapport avec les problèmes sociaux actuels tels que la drogue.

Racontez-nous votre expérience.
Je suis arrivé par accident dans le milieu théâtral. Je viens de Cochabamba, je voulais faire du cinéma mais il n'y en avait pas en Bolivie. J'ai voulu étudier à l'étranger. On m'a appelé par hasard pour remplacer quelqu'un dans une pièce et c'est comme ça que je suis monté sur les planches. Mais ma première véritable expérience a été dans La Leçon de Ionesco. J'ai commencé à faire de la mise-en-scène à Cochabamba, quelques ateliers, puis je suis venu sur Santa Cruz. En tant qu'acteur j'ai 30 pièces à mon actif. Aujourd'hui je suis d'avantage metteur-en-scène. CasaTeatro a déjà 20 ans et nous avons proposé un théâtre très varié. Nos pièces pouvaient rester à l'affiche entre 3 et 6 mois, ce qui est énorme pour la Bolivie.

Quelles sont vos influences théâtrales ?
L'auteur qui m'a le plus marqué est Bertolt Brecht. Sans doute parce que mon père est allemand. J'en reviens toujours à la dramaturgie de Brecht.

A quel genre théâtral pensez-vous appartenir ?
C'est difficile de se classer, je ne peux pas vraiment répondre a cette question.

Selon vous, quel est le devoir de l'acteur ?
Il est évident que le théâtre doit dire quelque chose. Mais son objectif premier doit être de divertir le public.

Est-ce que le théâtre peut être un moyen d'éducation et d'insertion sociale ?
Oui. On peut l'utiliser pour enseigner. Si tous les profs étaient de bons acteurs, tout irait beaucoup mieux ! (rires). Il faut sans cesse assumer un rôle dans la vie de tous les jours pour pouvoir dire quelque chose de particulier. On joue en permanence un rôle, vous quand vous m'interviewez, moi quand je vous réponds par exemple. Le théâtre peut vraiment rapprocher les gens, cela peut être une aide précieuse mais également une arme dangereuse.

Que pensez-vous de l'école de théâtre de Santa Cruz ? Croyez-vous que cela soit un moyen de professionnaliser le métier d'acteur ?
Je suis très craintif à ce sujet. Aujourd'hui moi-même je ne vis pas du théâtre, alors que cela fait 32 ans que j'en fais. Je m'inquiète de la professionnalisation de cet art, je ne sais pas si cela arrivera un jour. Beaucoup de comédiens vivent de la télévision. Les élèves de l'école pour la plupart évoluent toujours au sein de l'école, ils deviennent enseignants ou mettent-en-scène des ateliers. Je suis assez pessimiste par rapport à tout cela.

Pensez-vous que le théâtre change avec les évènements sociopolitiques ?
Cela devrait. Le théâtre est un miroir de la réalité. Dans les années '40, le théâtre populaire a été le premier mouvement qui tentait de mettre-en-scène les problèmes du quotidien. Cela a permis à beaucoup de gens d'accéder au théâtre et d'y revenir. Aujourd'hui le théâtre populaire est devenu très commercial et a perdu de sa profondeur. L'important est avant tout de divertir le public.

Vous considérez-vous comme un acteur engagé ?
Je suis engagé dans l'importance de faire du théâtre, dans le théâtre comme une forme d'expression humaine, artistique qui permet a l'être humain de se sensibiliser aux choses. Mais par contre je n'ai pas d'engagement au niveau politique à proprement parler.

René Hohenstein nous laisse partir après s'être prêté au jeu de la caméra, patient (problème de piles et changement de cassette). Il nous répète qu'on peut l'appeler sur son portable si on a le moindre problème. Son expérience théâtrale est tellement étendue que l'on se sent toutes petites, ignorantes, on en oublie même de prendre une photo. On aurait aimé le serrer dans nos bras. Mais on est trop timides.