mardi 28 avril 2009

Cualquiera Producciones, Cali

Pour commencer, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Oscar Rivera : Je m'appelle Oscar Rivera, je suis acteur et producteur de Cualquiera Producciones.
Andrés Reina Ruiz : Je m'appelle Andrés Reina et je suis acteur de Cualquiera Producciones !
Wendy Betancourt : Salut, je m'appelle Wendy, je suis actrice de Cualquiera.
John Alex Castillo : Je m'appelle John Alex Castillo, je suis acteur de Cualquiera Producciones et je suis passionné par les arts visuels.
Ariel Martínez : Je m'appelle Ariel Martínez, et mon rôle au sein du groupe est celui d'acteur et de directeur artistique.
Paola Andrea Tascón : Bonsoir, je m'appelle Paola Andrea Tascon, je suis actrice de Cualquiera Producciones.

Pouvez-vous nous raconter l'histoire de Cualquiera Producciones ?
Ariel M. : L'idée de Cualquiera Producciones, ce n'est pas tant le nom "quelconque, n'importe quelle" (traduction de cualquiera, ndlr), mais la nécessité de faire un institut de théâtre qui nous plaise. Elle est née vers 1988-1989 avec Enrique Lozano (dit "Quique", ndlr) - qui est maintenant à Bogotá - notre metteur-en-scène et dramaturge. On a donc essayé à l'époque de convoquer des acteurs et des actrices, ça n'a pas très bien marché et en 2001, on a décidé de démarrer avec ce qu'on avait. On a donc commencé avec Elisabeth (Sánchez, ndlr) - qui n'est pas là, c'est ma femme - "Quique" écrivait et mettait-en-scène, Elisabeth et moi on jouait, et en juin 2001, on est officiellement nés sous le nom Casa Muriel Teatro avec la pièce Crochet - des textes de Rodrigo Garcia et d'autres de "Quique".
Ensuite, pour la deuxième pièce, Bam, on a pensé que le groupe ne devait plus s'appeler Casa Muriel - on avait donné ce nom parce que c'était le nom de l'endroit où on répétait pour la première pièce, la maison d'un ami. L'idée était romantique, mais bon, ça ne rendait pas ce qu'on voulait. John Alex nous avait déjà rejoint à cette époque, on commençait à penser à quel genre de nom on voulait avoir, et Cualquiera a surgi, avec le complément Producciones - qui ne dit pas beaucoup de nous non plus, mais au fond si, c'est comme de penser que nos portes sont ouvertes, et que quiconque peut en faire partie, et que quiconque peut en sortir et y revenir. Ce serait un peu compliqué et étrange d'expliquer ça, mais c'est né d'une nécessité propre, celle de faire un théâtre qui nous intéresse, autant à "Quique" qu'à moi, et qu'on puisse concevoir qu'un spectacle qui me plaise, puisse plaire et intéresser d'autres personnes, 20 ou 30, et de là, amplifier le spectre.
Depuis cette époque, cela fait 9 ans de travail sans relâche et comme je l'ai dit, parfois des gens s'en vont, reviennent, mais le groupe de base reste toujours actif.

Pouvez-vous nous parler de la pièce que vous êtes en train de répéter, Otra de leche (Une autre de lait, ndlr) ?
John Alex C. : Otra de leche, c'est le résultat d'une inquiétude qu'a ressenti "Quique" Lozano il y a quelques temps, quand il a eu l'opportunité de quitter la Colombie pour aller étudier à Paris. Cela lui a permis de voir le pays à distance, et de créer un texte qui n'était pas un texte de théâtre à proprement parler, mais quelque chose qu'il a appelé "matériel pour la scène". Il n'y avait pas d'ordre, pas de suite logique, c'était simplement des scènes aléatoires.
Ensuite, il est rentré en Colombie, il nous a ramené ce matériel pour le monter et Ariel Martínez commençait à cette époque à assumer son rôle de metteur-en-scène avec cette pièce.
C'est une réflexion sur la guerre, sans faire de jugement, sans dénoncer, et qui traite spécifiquement des êtres humains qui font les guerres, que ce soit celle de notre pays ou n'importe quelle guerre dans le monde, elles ont les mêmes effets, les mêmes conséquences sur les êtres humains.
Notre travail a été de trouver une suite logique, et on a travaillé sur l'interprétation de la parole, l'axe principal étant le mot. On n'illustre pas forcément avec une grande quantité d'éléments : on utilise seulement un filet qui se transforme et qui modèle l'espace. On n'a pas de costume pour identifier chaque rôle, on est tous en noir, c'est seulement l'attitude et l'usage de la parole, l'intention, qui permet au public de nous distinguer.
Avec cette pièce, on a été invités à un festival de jeune théâtre latino-américain en Espagne, ça nous a donc permis d'emmener un échantillon de réflexion sur nos guerres latinos-américaines et mondiales, et surtout d'emmener une mise-en-scène contemporaine, qui est l'intention de cette pièce, Otra de leche.
Ariel M. : Et pour ajouter quelque chose d'anecdotique, cette pièce a été pas mal "accidentée" : on a commencé à la monter après Bam, en 2003. "Quique" nous a d'abord donné une partie, on a commencé à investiguer sur des rapports qui n'avaient pas été rendus publics par le biais des moyens de communication. Des rapports sur des quantités de massacres perpétrés dans le Pacifique, dans la région du Chocó. "Quique" a donc récolté ce matériel, la ré-élaboré et a commencé à écrire. On en était à ce stade de mise-en-scène, que "Quique" dirigeait, lorsque John Alex s'est foulé une cheville. Il a dû rester 6 mois au repos, on jouait donc d'autres pièces du répertoire. Quand il était à nouveau sur pied, que le médecin l'a autorisé à faire des exercices physiques, cette même semaine, "Quique" a été renversé par un camion, on n'a donc pas pu commencer. Après sa récupération, on a décidé que, comme on avait peu de temps - on voulait présenter au mois de décembre - on s'est dit : "pour les mois qu'il nous reste, montons une autre pièce de "Quique" qui est déjà écrite." Il l'a mise-en-scène, on l'a montée et on l'a jouée: Familia Nuclear (Famille Nucléaire, ndlr).
Ensuite, "Quique" est parti à Paris et là-bas, il a eu la distance et la possibilité plus concrète de nous envoyer le texte. Il nous l'envoie donc, déjà complet, on l'a montée, il y a eu 3-4 versions : d'abord avec deux acteurs et une actrice, moi j'essayais de jouer et de mettre-en-scène, mais on s'est rendu compte que ce n'était pas possible, on a donc fait appel à un autre acteur.
Initialement, la pièce est écrite pour 4 acteurs : 2 actrices et 2 acteurs, on a donc fait une autre version, qui a été celle qu'on a emmenée en Espagne, et c'est avec cette version qu'on travaille actuellement.
Pour conclure, c'est comme si notre travail... quand "Quique" commence à écrire, c'est à partir de réflexions que nous avons à propos d'un contexte qui nous entoure, et les résultats sont divers : pour Breve anotación de movimiento (Brève note sur le mouvement, ndlr), le thème était les relations inter-personnelles, le cannibalisme, l'anthropophagie et tout ça, et il en a résulté une comédie ! On ne sait pas à quel moment elle s'est convertie en comédie, mais ça a été le résultat.
Avant cela, Familia Nuclear, c'était aussi une comédie mais sur le thème de la violence familiale. C'est donc un thème très sérieux qui, à travers la dramaturgie et la mise-en-scène, se converti en comédie, avec au fond une réflexion.
Et cette pièce-ci a pour thème notre contexte actuel. Je ne voudrais pas parler de cela, mais parfois j'en ressens la nécessité.
Wendy B. : J'ai été une des premières actrices à participer au montage initial et à plusieurs occasions, ça a été pour nous une situation très forte de présenter la pièce parce qu'elle parle de beaucoup de choses, bien qu'il n'y ait pas de dénonciation, on ne parle d'aucun groupe en particulier, mais on avait peur, peur de pouvoir générer un certain type... de réactions, pour quelqu'un qui est dans le public et qui a une position politique par rapport à ce qu'on vit. Une fois, on l'a jouée dans un lieu où le contexte politique est très tendu et on avait peur ! Parce que la pièce, même si elle ne passe pas par un langage littéral, les symboles et la poétique utilisés sont forts, sont d'autant plus forts. Cette humanité que contient la pièce touche le public d'une telle façon qu'il y a des gens qui nous ont dit : "il y a beaucoup de sang, dans cette pièce", alors qu'il n'y a pas une seule goutte de sang sur scène.

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait une responsabilité ?
Ariel M. : Je crois que Otra de leche est une des pièces qui nous a le plus permis de réfléchir et de nous positionner. Il y a une réflexion sur le plan politique, sans que nous ayons une tendance affichée. Mais je crois qu'il faut avoir une vision claire de ce que l'on fait, de ce qui nous entoure, de ce contexte.
John Alex : Il y a une phrase d'Albert Camus qui dit que, quand le contexte social est tendu et qu'il y a des guerres et des conflits, le rôle de l'artiste ce n'est pas de juger et de dénoncer, mais de chercher la manière de récupérer "l'humain", avant tout. Et je crois que c'est notre position, surtout avec Otra de leche.
Oscar R. : Nous avons eu des conflits dans la dynamique de création, dans la partie physique : quel est le rôle de l'acteur ou de l'actrice qui s'arrête sur scène ? qu'est-ce qu'il représente ? au nom de quel concept vient-il communiquer quelque chose à un public ? Cela a généré chez nous une prise de position en tant qu'artistes : devons-nous nous transformer ? ne pas nous transformer ? Nous sommes nous-mêmes dans des conditions déterminées par notre sexe, et par les relations entre les comédiens. Chacun doit réfléchir à cela, c'est une vision politique, une vision humaine : où sommes-nous ? où va-t-on ? que veut-on ? que veut-on donner aux gens ?
Ariel M. : On ne cherche pas... notre objectif n'est pour rien au monde de faire des pamphlets, parce que les conditions socio-politiques du pays ont changé, ce n'est plus le même contexte, même si au niveau historique certaines choses demeurent. Mais on a changé, nous sommes une autre génération, qui se détache des générations antérieures, qui est aussi née avec la violence et la guerre. Ce n'est pas quelque chose que l'on peut accepter : nous vivons dans un conflit armé, et oui, ça revient, et ça se transmet, d'une certaine manière, de génération en génération, et c'est ce qui nous oblige à avoir un parti pris politique. Bien sûr il y a d'autres aspects : l'esthétique, le jeu de l'acteur,... mais il y a toujours la question politique.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Silence.
Ariel M. : Personnellement, je ne sais pas si le théâtre peut transformer les esprits, une société, mais je crois que l'une de ses tâches, c'est de proposer un espace de réflexion. S'il y a 300 spectateurs dans la salle, et 10 ou 15 qui sortent en se disant : "c'est bien de réfléchir au sujet de ce qui se passe", et le reste qui se dit : "quelle bonne pièce / quelle pièce pamphlétaire" ou je ne sais quoi, l'objectif est atteint.
Wendy B. : Je pense que le théâtre et l'art en général peut dire des choses qui ne se disent pas au quotidien. Être sur scène nous permet, nous donne ce pouvoir d'aborder un thème - dans notre cas ce thème si complexe, qui nous affecte tous, et on ne parle pas que de la Colombie mais de l'absurde de la guerre et de cette humanité qu'il y a chez les personnes qui font la guerre. Ça nous permet donc aussi d'avoir une vision sur les choses du monde, de la vie, qu'on ne peut pas voir à d'autres moments. Quand tu regardes un journal télévisé, personne ne se pose des questions sur cet être humain qui fait la guerre. Nous on peut, ici, sur scène, se le demander. C'est cela que permet l'art.
Ariel M. : Je crois que c'est très compliqué, surtout dans notre contexte, parce que, dans l'histoire, le théâtre colombien a été important à un moment, il a marqué comme un point avec le travail de création collective, et le Nouveau Théâtre latino-américain. Je pense qu'il y a eu comme un vide après cela. Il n'y a pas de culture théâtrale dans notre société, on essaye, mais je crois qu'on ne peut pas parler de "culture théâtrale", où les gens ressentent la nécessité d'aller au théâtre, de voir du bon théâtre, parce qu'ici, surtout à Cali, le "bon théâtre", c'est celui de l'Aguila Descalsa, du théâtre commercial comme on dit ici, dans lequel il y a des acteurs de la télévision, connus, ça c'est le théâtre pour les gens, pour une grande partie des gens. Mais un groupe de Cali, de Medellín ou de Bogotá, qui n'a aucun acteur de télévision, comme il n'y a aucun attrait commercial, les gens n'y vont tout simplement pas. C'est très difficile, avec ce type de théâtre que nous faisons, de pouvoir atteindre les masses.
Wendy B. : Bien que ces dernières années, un mouvement théâtral fort a commencé à se développer à Cali. Je suis revenue il y a peu d'Argentine, j'étais loin pendant 3 ans, et beaucoup de groupes de théâtre ont grandis, ont fleuris, avec des acteurs stables, un metteur-en-scène, et une proposition. Et je crois que ces dernières années - bien que, quand j'étais à l'université, il était beaucoup plus difficile de rencontrer des groupes - aujourd'hui tu regardes les affiches de théâtre, et il y a beaucoup de possibilités, et le public va au théâtre.
Oscar R. : Toute société possède un niveau de censure, qui dépend du système socio-économique de chaque lieu. Je l'ai aussi vécu de l'extérieur, et maintenant que je suis ici, je vois qu'à Cali par exemple, à ce jour, apparaissent ces pamphlets qui disent : "Tout gay, toute prostituée, tous ceux qui sont différents, ne peuvent plus vivre". Pour moi, l'art ou le théâtre plus spécifiquement, doit essayer de montrer et de faire le lien entre tous ces gens qui le servent : dramaturges, acteurs, metteurs-en-scène, public... essayer entre tous, de construire une dialectique pour que cette ligne de censure puisse baisser. Dans ce contexte, c'est difficile, parce que notre censure augmente tout le temps : tu dois te coiffer pareil, parler pareil, penser pareil, ressentir pareil. Le rôle du théâtre, pour moi, c'est de baisser cette ligne de censure, de la baisser, baisser, baisser...
John Alex C. : Pour parler de cette question qui est si importante : A quoi sert le théâtre dans la société ? je crois que, au milieu de tant de moyens technologiques, de tant d'écrans, de tant de manières d'être soi-disant en contact avec l'autre, le théâtre continue d'être la chose, très ancienne, qui permet de faire se rencontrer un acteur et un spectateur, physiques, réels, dans un espace réel, ouvert ou fermé, pour faire des choses fausses, pour créer des conventions, pour simuler, simuler la réalité au milieu de tant d'effets spéciaux, de tant de films, de tant de possibilités que nous avons. Le théâtre nous permet de nous rencontrer.
La possibilité de la rencontre, pour penser, ou pour créer des symboles et les lire, je crois que c'est par là qu'est le théâtre. Pourvu qu'il ne perde pas ça !
Paola Andrea T. : Je pense aussi que le théâtre est un outil pédagogique. Tu peux transmettre de manière très efficace des messages, et le public peut vivre des expériences à travers le théâtre.

samedi 25 avril 2009

Gerardo Potes López y Leonor Amelia Perez, Casa de los Titeres, Cali

Tout d'abord pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Gerardo Potes López :
Je suis Gerardo Potes López, je suis le directeur artistique du Pequeño Teatro de los Muñecos et de la Casa de los Titeres. Le groupe est né en 1963. Je suis calénien de naissance.
Leonor Amelia Perez : Je suis Leonor Amelia Perez, je suis membre du Pequeño Teatro de los Muñecos, cela fait 26 ans que le groupe existe et nous l'avons fondé avec Gerardo et Alejandro.

Comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
Gerardo : En ce qui me concerne, mon grand-père est musicien, et la relation que j'ai au travail vient de lui. Ma grand-mère, elle, vient du sud, c'est une indigène de Pasto. Et à Pasto justement, il y avait un évènement annuel très particulier, un carnaval en noir et blanc. On voyait passer des chars avec de grandes marionnettes ... je pense que c'est un peu à l'origine de tout cela. Mais il y a aussi que depuis tout jeune, je suis assailli par ces contradictions politiques et idéologiques dans un pays conservateur mais rempli de violence, et où il n'y avait pas vraiment d'échappatoire à tout cela. On était très jeunes, animés par le désir de se tourner vers autre chose, mais enserrés dans un monde étroit, celui de la fête, on faisait la fête tous les jours. De mon côté j'ai commencé à me poser des questions, sur ce que je voulais faire de ma vie ... j'ai pris la décision d'intégrer l'Ecole d'Arts Plastiques, mais cela m'a frustré dans le sens où je faisais de la musique et que bien qu'ayant certaines affinités avec cet art, ce n'était pas ce qui me motivait vraiment. En 1974, l'année suivante, je suis entré à l'Ecole de Théâtre et à partir de là je n'ai fait plus que ça, du théâtre.
Leonor : De mon côté, j'ai sept frères, et avec l'un d'entre eux on était comme les petits clowns de la maison, tout était prétexte à rire. Autre chose de très important aussi, c'est que je suis née dans ce quartier, c'est un quartier traditionnel de Cali où il y a toujours eu beaucoup de mouvement culturel. A quelques pas de là nous avons le Teatro al aire libre Los Cristales, c'est un théâtre magnifique, spacieux, où gravite beaucoup de monde. Quand j'étais petite et il n'y avait pas beaucoup de télévision et toute la technologie d'aujourd'hui, on pouvait assister à des spectacles de tout genre, théâtre, musique, danse, etc ... et cela a été comme le déclic à toute cette sensibilité. Oui, il y a du mouvement dans ce quartier.

Comment est née la Casa de los Titeres ?
Gerardo : La Casa de los Titeres est une nécessité. Elle est née à partir du rêve de plusieurs groupes. On jouait dans un petit théâtre à une époque, mais il était laissé à l'abandon. Je me suis fait la réflexion qu'il nous fallait un espace bien à nous où l'on puisse se former un public, pour les marionnettes, avec une école pour gagner de la crédibilité, et conquérir nos spectateurs. Voilà, on voulait un lieu où l'on puisse amener ce public et le sensibiliser aux marionnettes. Lui donner une culture de la marionnette. On a commencé à chercher est on a trouvé cette maison. Toute la structure existait déjà, on n'avait plus qu'à l'habiter, la vêtir, l'arranger. Mais elle était telle quelle, avec la salle au fond. Elle n'attendait plus que les marionnettistes. Donc on a débarqué dans cet endroit, et on a commencé à travaillé. Ça a duré 6 mois comme ça jusqu'à ce qu'on se rende compte que le public n'était pas au rendez-vous. On a décidé de consolider ce rêve, de lui donner un toit, et on a travaillé beaucoup plus dur, tellement intensément qu'on est venus vivre ici, dans la Casa. On n'arrêtait pas, 8 jours sur 8, sans relâche, promouvoir, faire de la comm', distribuer des prospectus. Et aujourd'hui cette maison est devenu un projet de la ville, un patrimoine de la communauté calénienne. On commence d'ailleurs une nouvelle production de pièces, on a tout un public ... on a déjà eu la visite de plus de 150 000 personnes, on a fait 8 festivals internationaux, des rencontres de théâtre de marionnettes, des rondes populaires c'est à dire que l'on offre un espace aux groupes qui n'en ont pas, pour présenter leur travail.

Et pourquoi avoir choisi les marionettes plus qu'une autre forme théâtrale ?
Gerardo :
On est tous acteurs de formation. Et avec le groupe, lors d'une tournée en Amérique centrale, on a découvert le spectacle d'un marionnettiste incroyable. Lorsqu'on était ici, en tant que comédien, on ne voyait pas les marionnettes comme une possibilité d'évoluer où d'avoir une cohérence théâtrale. On les voyait comme quelque chose de très récréatif. Donc c'est là-bas que l'on a assisté à une nouvelle proposition artistique, pas seulement une proposition scénique, mais aussi tout un espace mis en place. Cela nous a fait comprendre quelque chose, et a donné une nouvelle dimension aux marionnettes. Ici en Colombie on n'avait jamais réussi à avoir une relation aussi forte. J'ai découvert qu'il y avait un espace de recherche, d'investigation, et que cela m'intéressait de travailler dans ce sens, et dans l'animation d'objets. On a commencé le processus de création en 1983 en fondant le Pequeño Teatro de Muñecos. Mais ce n'est pas pour cela que l'on a mis de côté l'importance de l'acteur. Le comédien et la marionnette sont pour nous deux éléments indissociables. Il y a tant de possibilités de jeu, autant avec le corps qu'avec la marionnette.

Et pensez-vous que l'artiste ait une responsabilité ?
Leonor : Bien sûr ! Nos spectacles sont toujours en rapport avec la réalité qui nous entoure, car si un artiste n'évolue pas dans son travail avec une époque ou une situation, je ne crois pas qu'il puisse rester artiste. Donc c'est un grand mot, responsabilité, mais comme on l'emploie ici, je pense qu'elle est conséquente, notre responsabilité : on doit dire des choses, ouvrir les yeux à ceux qui les ont fermés, à ceux qui avancent dans l'obscurité. Car pour moi l'artiste a comme un troisième œil, sur ce qui se passe au sein de la société, sur le rythme effréné de la vie, sur la globalisation, sur le bruit, et sur toutes ces choses qui se passent dans le monde. On est obligés de sensibiliser les gens, de leur offrir de nouvelles possibilités. Sans cela je crois que je ne continuerais pas à faire de l'art.
Gerardo : Nous avons une responsabilité, oui. Le théâtre est une manifestation sociale, il a une fonction sociale. Ce serait très difficile, pour nous, de faire abstraction du monde, on vit dans une réalité qui touche l'homme. Notre objectif, plus que de faire de l'argent, est de proposer de nouvelles choses à un public submergé par la rapidité du quotidien. Il n'a plus le temps de lire, ni de penser. Nous autres les artistes, c'est ce que nous faisons. Puiser dans ce qu'offre la vie et le présenter sous une autre forme au public, par le biais des marionnettes. De les émouvoir. De les faire réfléchir. Généralement, chacune de nos pièces est différente. On ne se répète jamais, c'est une recherche constante, vers autre chose. Pour pouvoir arriver à montrer ce que l'on veut au public.
Leonor : La pièce que vous avez vu est didactique, par exemple. On se dit : aujourd'hui, on veut que le public soit ému, et de ce fait, il laisse sortir les larmes, car on lui offre du mélodrame, et parfois on le fait rire, avec une farce poétique. Mais au milieu du rire, de la fantaisie, il y a toujours des choses qui se disent. On ne le laisse pas partir sans rien, il y a toujours un élément transcendantal.

Que pensez-vous que le théâtre de marionnettes puisse apporter aux gens ?
Gerardo : Il apporte beaucoup. On n'a jamais classifié notre travail comme étant du spectacle pour enfant. Ça a été très difficile car l'enfant vient systématiquement accompagné d'un adulte, on essaie donc de toucher l'adulte pour qu'il continue d'amener son enfant. Car on peut amener un adulte à réfléchir, on peut atteindre son cœur et réactiver en lui ce qui est mort en grandissant. Lui donner la possibilité de profiter de la fantaisie. L'enfant, lui, est plus vierge. Il a déjà toutes ces choses en lui, il joue avec les marionnettes, converse avec elles, sa relation est très naturelle. Nous autres adultes avons déjà un niveau de réflexion plus complet.
Leonor : Il y a quatre chose de très important, en parlant d'apport : les marionnettes rassemblent tous les arts à la fois : du théâtre, de la danse, de la plastique, de la musique. Nous sommes privilégiés dans ce sens. Quand on crée une marionnette, rien n'est laissé au hasard. Elle naît d'un processus de travail, de dessin, elle doit avoir certaines caractéristiques car la pièce le demande.
Gerardo : Ce que nous faisons, c'est former un public pour le futur, à travers l'art plastique, la danse, la musique et le théâtre. Beaucoup d'adultes viennent voir nos spectacles et nous disent : "Je ne savais pas que les marionnettes étaient comme ça, je ne m'imaginais pas ça." Dans la Casa de los Titeres, il y a une vision beaucoup plus universelle, beaucoup plus ample de ce que sont les marionnettes. Ce ne sont pas "juste" des spectacles pour enfants. Cela vise tout un chacun.

lundi 20 avril 2009

Jacqueline Vidal et Serafín Arzamendía, Teatro Experimental de Cali (TEC), Cali

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Jacqueline Vidal : Je m'appelle Jacqueline Vidal, je suis actrice et je fais la mise-en-scène de plusieurs œuvres. Je travaille avec le TEC depuis bientôt 50 ans...
Serafín Arzamendía : Je m'appelle Serafín, je fais de la musique et je travaille en tant qu'acteur au TEC depuis environ 18 ans, à temps complet et dédication exclusive.

Pouvez-vous nous raconter l'histoire du Teatro Experimental de Cali (TEC) ?
Jacqueline V. : C'est une histoire très longue. Très longue. En 1955 Enrique Buenaventura a commencé à former des gens ici à Cali pour faire ce théâtre. Un théâtre qui à la fois intègre l'histoire de l'Amérique latine et qui s'engage dans la lutte de libération des pays qui ont été colonisés. Cela fait déjà 55 ans.
Nous proposons une formation intégrale aux gens dans une forme très... la création collective, telle qu'elle se pratique au sein du TEC, met l'accent sur deux choses, selon moi : premièrement, tu touches la matière du théâtre. La matière du théâtre, c'est la relation de deux forces qui sont dans l'imaginaire collectif, ou dans la société, mais qui sont venues au théâtre pour s'affronter, se confronter. Ensuite vient l'improvisation. L'improvisation par analogie, c'est-à-dire le chemin artistique pour réunir ces conflits qui nous intéressent.
Et la poésie, la grande poésie. Au début, Enrique Buenaventura a formé les gens avec le théâtre classique, avec Shakespeare et d'autres. La formation des gens ici se fait vers un théâtre qui donne beaucoup d'importance à la poésie, à la parole. Ce qui différencie le théâtre de toute autre forme d'art du spectacle, c'est la parole. C'est la musique du mot.
Mais c'est aussi un théâtre très festif, qui donne aussi beaucoup d'importance au langage non-verbal, à la plastique, Buenaventura était aussi peintre - il faisait les dessins des costumes et des décors qui surgissaient des improvisations, puisque tout surgit des improvisations.
Ce sont les caractéristiques de notre théâtre.

Avez-vous déjà regretté d'avoir choisi cette voie ?
Serafín A. : Si on regrette ? non. Sans remord ni regret. On essaie de s'éloigner un peu de nous-mêmes. De voyager par ce biais. Et on ne le regrette jamais puisque c'est ce que nous voulons faire, et c'est ce que nous faisons : transformer. On est tout le temps dans la transformation. Et ce avec la méthodologie relativement moderne et avancée de la création collective.
C'est un divertissement pour nous, on s'amuse énormément en faisant ce type de théâtre.
Jacqueline V. : Et il faut que le public s'amuse, lui aussi !
Serafín A. : Bien sûr, il faut divertir le public. S'amuser en divertissant le public.
Jacqueline V. : Non, le chemin de la création collective, c'est un chemin encore inexploré. Il y en a qui retournent au vieux théâtre, mais c'est parce que, d'une certaine manière, la société est en train de régresser. Le capitalisme impose encore une fois ses lois, de façon très cruelle. Beaucoup de jeunes s'intéressent à ce théâtre.
Nous, ici, nous avons des ateliers de formation auxquels assistent beaucoup de jeunes qui se forment sur le tas.
Les acteurs s'occupent eux-mêmes de toutes les activités nécessaires pour faire du théâtre, par exemple Serafín s'occupe de tout l'équipement technique et il est aussi professeur. Nous avons des formations tous les jours, formation physique, vocale,... tous les jours. Serafín est devenu un grand maître des arts martiaux. Nous pensons que les arts martiaux sont très importants parce que, dans les arts martiaux, si on ne comprend pas bien le langage gestuel de l'autre, on peut perdre la vie ! C'est une formation intéressante pour les acteurs, les arts martiaux chinois qui travaillent par analogie : comment se bat l'éléphant ? Comment se bat la fourmi ?

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait une responsabilité ?
Serafín A. : C'est le plus irresponsable de tous ! (rires) Mais oui, il y a un engagement politique, parce que l'art est politique, et l'art est social. Il fait partie d'un évènement social. Et l'engagement de l'artiste, c'est celui du sens.
Moi non plus je ne suis pas Colombien, je viens du Paraguay et là-bas, penser c'est un délit quand les militaires sont au pouvoir. Je suis donc parti du Paraguay pour chercher la manière de pouvoir développer ma pensée, et j'ai trouvé ce lieu qui m'a paru très intéressant, c'est une réflexion qui rompt avec tout, et donc j'y suis resté pour apprendre, et ça fait pas mal de temps que j'apprends, et je continue d'apprendre, tous les jours on apprend ici. Et c'est cela l'engagement de l'artiste : apprendre tous les jours pour pouvoir transformer, et donner quelque chose au public.
Jacqueline V. : Oui, c'est sûr que Buenaventura a toujours insisté sur le fait que notre lutte est artistique. Mais l'art a des implications. Le seul fait monter sur scène, c'est un défi. Si on n'a rien à dire, de quel droit monte-t-on sur la scène ?
Toutes les activités de la vie sont politiques, jusqu'à la façon de dire "bonjour" le matin, de se réunir avec les autres pour manger...tout. Mais peut-être que l'art, c'est plus que cela. C'est une forme qui cherche au-delà de ce que peut faire la pensée rationnelle. Il arrive souvent que nous montions une pièce, et peu de temps après, il arrive quelque chose qui établit que nous avons eu une sorte de prémonition. Je crois que c'est Maïakovsky qui dit que l'art est futuriste, ou alors qu'il n'est pas. C'est-à-dire que c'est une vision : qui n'exprime pas obligatoirement des désirs, des pensées.
De toute façon, notre niveau c'est celui de l'expression. On exprime donc ce qui n'est pas, mais ce qu'on voudrait dire. Il faut en être conscient et se rendre compte de ce qu'on dit, de ce qu'on fait.
La formation de l'acteur c'est bien sûr de jouer, mais aussi d'être spectateur. C'est pour cela qu'il y a toujours ceux qui improvisent, et ceux qui "lisent". Et ce rôle de metteur-en-scène s'apprend sur le tas, parce que n'importe quel acteur peut proposer une improvisation et après le groupe analyse ce qu'il vient de se produire. On a besoin de beaucoup de temps pour cela, la création collective nécessite toujours beaucoup de temps. Mais on pense que c'est ce qui est propre au théâtre. Même ceux qui le nient ne peuvent pas ne pas faire de création collective, parce qu'il y a ce moment où rien n'a été répété, où rien n'a été pensé, qui est celui de la relation entre le public et le spectacle.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Silence.
Jacqueline V. : Douter. Douter de soi-même. Et observer, essayer de donner un sens à la vie. Trouver un sens à toutes les activités de l'être humain.


Cristóbal Peláez González, Teatro Matacandelas. Medellín

Tout d'abord, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Bonjour, mon nom est Cristóbal Peláez González, et je suis directeur du Teatro Matacandelas de Medellín en Colombie.

Comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
Cela a commencé très tôt, à l'école. Chose étrange, on avait un prof qui aimait monter des spectacles, et chaque année, durant la semaine culturelle, on pouvait assister à de la danse, du chant, du cinéma, et cela nous permettait de sortir un peu du système académique. J'ai commencé en participant à des comédies très courtes, très drôles, et après être monté sur scène, je me rendu compte que le théâtre m'avait absorbé de telle forme qu'il fallait que je me retire de l'école pour exercer cet art autrement, de manière plus autodidacte. Ce qui m'a fait voyager en Espagne, ou j'ai suivi des études plus sérieuses, puis fait du théâtre indépendant.

Pouvez-vous nous raconter la genèse de Matacandelas ?
En 1975, je pars donc pour l'Espagne. C'est une année très intéressante, puis c'est celle de la mort de Francisco Franco. Le pays subit un espèce de renversement social assez important. Surgissent des mouvements culturels et théâtraux dans toute l'Espagne, c'est une période critique, révolutionnaire. Lorsque je reviens en Colombie, je retrouve les compagnons avec lesquels j'avais fait mes premiers pas au théâtre, et on décide de fonder un groupe. Une sorte de "point de rencontre" pour la vague d'inquiétudes et de préoccupations esthétiques qui nous submergeait. Il a été fondé par trois personnes : Héctor Javier Arias, un des camarades de collèges, davantage tourné vers la musique, John Eduardo Murillo, plus intéressé par la littérature, et moi-même.

Que défendez-vous en faisant du théâtre ?
Pour moi, faire du théâtre, de manière basique, va dans le sens de reconstituer une patrie que j'ai perdue, ou que j'ai l'impression de perdre. C'est la possibilité de se rapprocher de l'enfance ... on sait que la plus grande tragédie de la vie, c'est de sortir de l'enfance, cette chute phénoménale. Donc le théâtre est une sorte de substitut de l'enfance, pour éviter la chute, c'est une forme plaisante de vivre. Le théâtre m'a permis de revenir aux choses que j'aime dans la vie. Mais cela n'a pas été une arme de défense ou de construction, mais sinon plus de partage. Partager un point de vue, une expression, se réjouir un peu de la vie. Car pour moi la vie est une porcherie. On a besoin d'inventer des choses pour ne pas mourir de la réalité qui nous entoure. Ces choses dont je parle sont la peinture, la poésie, la danse, et le théâtre. Et ceux qui ne sont pas créatifs s'en sortent par d'autres moyens. On essaie tous de surmonter cette terrible réalité, c'est incompréhension qu'est la vie. On essaie de l'éviter. Car l'existence, si on la regarde en face, est quelque chose d'atroce.

Comment travaillez-vous au sein du groupe ?
Le Teatro Matacandelas est le produit d'une époque très riche dans l'histoire du théâtre colombien. On a beaucoup cherché a travers d'autres moyens d'expression comme la danse et la musique. Le théâtre en Colombie est né d'arrivages, certaines compagnies espagnoles ont débarqué à Buenos Aires, d'autres au Chili, et certaines arrivaient en Équateur et remontaient jusqu'en Colombie. C'est comme ça qu'on a eu de très bonnes compagnies espagnoles, mais aussi argentines. Nous autres, les Colombiens avons mis le pied à l'étrier plus tard, dans les années '50, durant lesquelles se sont formées les premières compagnies théâtrales. Et à cause du manque de dramaturges, du manque de tradition théâtrale dans le pays, l'acteur s'est fait lui même dramaturge. On a appelé ça, de manière discutable, le "Nouveau Théâtre". Certains noms surgissent de cette période : Enrique Buenaventura, notre maître Santiago Garcia, que l'on reconnaît comme notre père. Pour l'instant l'histoire théâtrale colombienne ne connaît pas de mère. Et c'est avec cette méthodologie que l'on a commencé à travailler. Des choses très intéressantes ont vu le jour, très diverses, critiques, contradictoires. Nous autres sommes le produit d'une seconde génération. Je rappelle que le groupe est né en 1979, et on a basé notre travail sur toutes ces méthodes en cours, celles de Stanislavski, de Brecht qui a été un véritable appui dans notre approfondissement théorique, puis dans sa mise en pratique. Et à partir de cette matière, nous travaillons de manière collective. Cela s'appelle d'ailleurs Collectif Théâtral Matacandelas. Cela dit, on opère bien plus dans le sens du peintre que celui de l'homme de théâtre. On part de ce que l'on appelle "l'esquisse". Plus qu'improviser, on esquisse. Pour nous le théâtre doit réinventer à chaque mise-en-scène, comme le faisait Enrique Buenaventura. C'est la meilleure leçon que j'ai apprise. Et je travaille aussi beaucoup à partir de l'acteur comme créateur. C'est un homme qui a une conception du monde et de l'art bien particulière, une sensibilité poétique. Au sein de Matacandelas, on part toujours d'une idée, d'une scène, d'une forme que l'on modèle ensuite sur scène. C'est un laboratoire constant.

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait une responsabilité ?
Je crois qu'il a une responsabilité civique. Cela dit, on a trop souvent conféré au théâtre des responsabilités gigantesques, comme celles de régler la société, par dessus tout dans ces sociétés retardataires. Le théâtre est sensé avoir une tâche sociale. Mais l'art appartient surtout au territoire de la beauté. On lui a donné une mission qui dépasse le domaine culturel : celle de transformer le monde, mais dans ce sens, l'art ne sert à rien. Il peut aider à changer la vie, oui. Comme disait Arthur Rimbaud. Cela nous paraît plus intéressant.

Avez-vous déjà regretté votre choix ?
Non. Non, non. Si je devais recommencer, je referais du théâtre. Cela m'apporte beaucoup. Qui plus est beaucoup de gens disent que faire du théâtre en Colombie est quelque chose de très difficile, mais moi je dis que faire du théâtre en France est beaucoup plus difficile. Ici, d'une certaine manière, on a pu former un semblant de public, construire une tradition, on a un petit parcours historique, on balaye la scène pour les générations futures. Je donne toujours l'exemple qu'à Paris, en automne, sortent environ 300 pièces de théâtre. Dans une ville qui compte 4 critiques et 5 journaux. Ici, il y a 20 groupes de théâtre, et en automne il y a 2 pièces qui sortent. Donc c'est toujours un succès. En France, les critiques n'ont pas toujours le temps ni l'envie d'aller voir 300 pièces. C'est beaucoup plus difficile de trouver de la reconnaissance à Paris.

Que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Du bonheur, du contentement. Je crois que le théâtre permet de "participer" à un cauchemar sans le vivre vraiment. Cet art est une hypothèse sur le chaos. Qui a inventé le principe de la bombe atomique ? Quelqu'un a répondu : les Grecs. Sophocle, Euripide. La destruction, le chaos, la catastrophe. Puis tout se recompose, et laisse place à l'ordre. C'est aussi le principe de la création de l'univers. Dans le sens où du choc des astres et des planètes surgissent les astres et les planètes. La Terre est le produit d'un chaos. Et on dit que le théâtre est un espace où, hypothétiquement parlant, l'homme se révèle à lui même. C'est un jeu très amusant : il n'y a pas un acteur qui ne voudrait pas mourir sur scène. "Je veux ce rôle, je veux montrer l'agonie" C'est un essai sur la douleur, sur le cauchemar. Grotowski a un très concept du public : quand il entre dans la salle, il est Antigone pendant 1h30. Quand il en sort, il redevient Amphytrion. C'est un jeu, celui de la transformation. L'humanité ne peut pas vivre sans le théâtre. Shakespeare disait que le monde entier est un théâtre. Cela permet une distanciation. Chez les animaux il y a aussi ce jeu théâtral, cette transfiguration...

jeudi 2 avril 2009

Jorge Blandón, Nuestra Gente, Medellín

Pour commencer, pouvez-vous vous présenter brièvement ?
Oui, mon nom est Jorge Blandón, je fais partie de l'équipe de travail de la Corporation Culturelle Nuestra Gente. C'est une organisation culturelle qui, depuis 1987, développe tout son savoir-faire artistique, culturel et social dans la zone orientale de la ville de Medellín.

Quel est l'objectif de Nuestra Gente ?
Le pari de Nuestra Gente, c'est la construction d'êtres humains, vifs, responsables. D'êtres humaines qui pensent être capables d'aider à transformer notre société à travers l'art, à travers des propositions créatives, des projets qui, nous permettent à chaque fois de ratifier l'être humain, les femmes et les hommes, il suffit de leur donner l'opportunité pour qu'ils soient. Et nous pensons qu'avec l'art, avec la culture, il est possible d'atteindre cet objectif : que les gens soient.

Le théâtre a-t-il toujours été présent dans la Corporation ?
Oui, depuis l'origine. On vient presque tous de domaines artistiques : musique, théâtre, littérature, et on a combiné ces expressions artistiques. Après la fondation, ça a été une nécessité de nous former en tant qu'acteurs professionnels et d'aller à l'école de théâtre de la ville, celle de l'Université d'Antioquia. Là on a commencé à comprendre que notre rôle transformateur ce n'était pas seulement d'apprendre le théâtre mais aussi de le vivre proche des gens.
Pour nous, cette naissance est aussi le fruit d'une décision radicale : notre travail ne se ferait pas dans le centre de la ville, mais dans la périphérie. Les filles, les garçons, les enfants, les jeunes et les adultes de ces territoires devaient être plus près. C'est aussi parce qu'ici il y a une expérience vitale de la solidarité entre les gens. C'est-à-dire que là où les gens ont plus de difficultés, plus de carences, ils ont aussi une plus grande opportunité de se rassembler autour de l'art, de la culture. C'est aussi pour cela qu'on a choisit ce lieu, et parce que beaucoup de ceux qui sont à l'origine vivent dans ces quartiers. Il s'agissait donc de ne pas quitter le quartier, de ne pas quitter le lieu où on habite. Et créer la possibilité que le théâtre perdure ici.

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait une responsabilité ?
Oui, tous les artistes doivent avoir une responsabilité sociale. Je pense à Shakespeare, à son époque, à sa projection sur la responsabilité de l'artiste envers sa société, une pièce comme Hamlet parlait et rendait compte de ce qu'il se passait, pas seulement au Danemark, mais en Europe et dans le monde. Toutes ses grandes tragédies du pouvoir. C'était une façon de parler de ces choses-là. Si tu regardes plus en arrière, tu trouves Aristophane par exemple, qui parle de tous ces moments transcendantaux pour les Grecs.
Je crois que l'artiste, à toutes les époques, dans tous les moments historiques de l'humanité, l'artiste a joué un rôle transformateur. Ce n'est pas gratuit. Dans un pays comme la Colombie - ou dans beaucoup d'autres pays d'Amérique latine - les artistes sont persécutés, mis en prison, assassinés. C'est une conséquence aussi de la profonde réflexion que l'art propose à la société. C'est clair que dans une société où il y a tant de de différences et d'inégalités, l'art est le premier à dire : "Ici, il se passe quelque chose." "Quelque chose sent mauvais au Danemark" - Hamlet.

Quels types de pièces mettez-vous en scène au sein de Nuestra Gente ?
On travaille tous les genres. En ce moment on a cette pièce didactique, parce que c'est le sujet qui nous préoccupe aujourd'hui, dans cette ville : l'éducation. La réflexion qu'on souhaite susciter, c'est : comment les gens sont-ils facilement trompés par celui qui possède un savoir. Ceux qui possèdent certaines connaissances viennent et te trompent, ils te mangent ton fromage. Dans ces communautés, on trouve toujours quelqu'un qui mange le fromage d'autrui. Et ceux qui volent le fromage d'autrui, ce sont ceux qui détiennent le pouvoir, par les armes, le terrorisme, les pamphlets qu'ils lancent dans la ville, depuis le contrôle politique. Dans ces circonstances, nous pensons donc qu'il faille commencer à établir une relation beaucoup plus décidée dans laquelle les gens comprennent et parviennent à voir au-delà de leur propre analyse.
C'est donc une pièce pour enfants, on en a d'autres, qui sont très importantes pour nous : Le petit pays des rêves perdus, qui parle de la mémoire, du patrimoine immatériel, des fêtes, de nos racines. Les gens pensent s'en aller vers l'Europe, l'Espagne, les États-Unis où ils ne trouvent au final que xénophobie, exclusion, peu d'opportunités. On a donc travaillé une pièce sur ce thème, où nous, ici, nous devons construire notre développement, notre réalité, que personne ne vienne nous la construire, que nous la construisions, nous.
Nous faisons aussi des pièces pour adultes, c'est-à-dire à tendance volontairement politique, du quotidien des êtres humains : nous parlons d'amour, de guerre, d'infidélité, d'injustice.
Nous avons aussi des ateliers de formation pour enfants, jeunes et adultes et, avec eux, nous cherchons d'autres thématiques, mais toujours en cherchant le rôle social du théâtre.
Nuestra Gente se consacre donc, avec son groupe fondateur d'artistes, à chercher des thèmes qui intéressent et préoccupent les autres. Mais aussi, pour les enfants, des thèmes de leur réalité.

Que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Je vais commencer par reprendre une phrase de Cristóbal Pelaez, directeur du Théâtre Matacandelas. Sa maman Luciana lui a dit un jour : "C'est bien mon fils, que tu fasses du théâtre, et qu'il y ait beaucoup de gens qui y aillent, parce qu'ils vont arrêter de faire des bêtises."
Je crois la maman de Cristóbal ; avoir 74 personnes aujourd'hui dans la salle, c'est avoir 74 personnes, cœurs, yeux réveillés, oreilles grandes ouvertes qui ne seront pas impliqués dans un problème, dans un des conflits de la ville. Ça nous plaît, parce que les gens viennent se divertir, se rencontrer, rire, profiter.
Mais on aimerait aussi leur proposer un thème de réflexion. Ce n'est pas non plus une affaire si inconsciente. Le théâtre doit dire des choses, poser des questions. Pour que les gens puissent chercher des réponses.

mercredi 1 avril 2009

Gilberto Martinez, dramaturge, Medellín

Tout d'abord pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Mon nom est Gilberto Martinez, j'ai 75 ans, je suis médecin de profession et j'enseigne à l'université. Je suis également sportif. Et cela fait plus de 50 ans que je me consacre au théâtre, d'abord comme amateur, puis j'ai suivi des cours à l'Université de Mexico. Je suis ensuite allé à San Francisco où je me suis mis en contact avec un groupe de théâtre, et en 1965 je suis revenu à Medellín, et j'ai créé la Escuela Municipal de Teatro. Et je suis le pionnier dans le sens où cette école a fonctionné pendant 8 ans, et à côté de ça, j'ai ouvert des écoles universitaires, dont celle d'Antioquia, celle de Medellín ... Puis la Escuela Municipal a fermé, et j'ai commencé à mettre-en-scène, et il y a 22 ans, on a créé la Casa del Teatro. Ce n'est pas un "groupe" à proprement parler, mais un espace de confrontation pour l'action théâtrale. Il y a des conférences, du cinéma en relation avec le théâtre, enfin toute manifestation en relation avec les arts scéniques. Et nous avons construit une salle de théâtre, ne disons pas "expérimentale", le mot est un peu alambiqué, mais plutôt une salle de recherche, de confrontation des manières possibles, pour moi en tant que directeur, de pouvoir monter une pièce de théâtre. La Casa del Teatro a plus de 80 pièces à son actif, dont plus de 45% sont d'auteurs colombiens, dont Victor Viviescas, un peu plus connu en France, à Paris plus précisément, et il a monté des pièces ici aussi. Ça a été l'un des fondateurs de la Casa del Teatro. Quant à moi, j'écris, et je considère que la dramaturgie de la pièce ne vient pas du texte, car pour moi une œuvre est toujours en mouvement. On travaille avec les acteurs dans la pratique, puis on élabore à nouveau. Mais ce qui est fondamental, c'est de ne jamais perdre la concentration du public. C'est le public qui va modeler les différentes actions d'une pièce en évolution.

Et comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
(rires) Ça a été par hasard, j'ai eu la chance de pouvoir jouer en 1955 pour un groupe expérimental de Medellín, assez méconnu, mais très important. C'est un de mes compagnons qui m'a offert la possibilité de travailler dans une pièce de théâtre, et c'est comme ça que ça a commencé. Je me suis rendu compte que le théâtre pouvait être un des chemins qui mènent à la connaissance. Pour toucher à la condition humaine. C'est une chance que la vie m'a offerte, que j'ai saisie et que j'ai développé, comme tout ce que j'ai fait, sport, médecine ... et à 20 ans, j'ai abandonné mon poste en cardiologie et me suis consacré au théâtre, à la Casa del Teatro, et à mon investigation en tant que metteur en scène, qu'écrivain.

Et que voulez-vous défendre en faisant du théâtre ?
Ce qui revient le plus évidemment, c'est la thématique de la condition humaine, et le thème de la violence. Mais cela tourne souvent autour de la femme. Sa souffrance au sein de cette société violente, cela me touche beaucoup.

Quelles sont vos influences ?
Pour moi, il y a deux grands maîtres qui ont influencé mon travail de manière certaine, même si je fais tout mon possible pour ne pas les copier, et parler des choses d'une autre manière. En Colombie, il s'agit bien sûr de Santiago García et Enrique Buenaventura. Mais il y a d'autres personnes moins connues, Misael Torres, Victor Viviescas, qui ont beaucoup compté pour moi aussi. J'ai ici ma bibliothèque, et je lis énormément. Je me vois comme un scientifique de la théâtralité. Il s'agit d'utiliser la théorie dans la pratique bien sûr. Mais pour parler de Stanislavski, personne ne le connait en vérité. On parle beaucoup de ce qu'il a fait, mais on n'a finalement aucunes références absolues vis à vis de son œuvre. Ou des choses mal traduites. De Brecht, oui, j'ai eu la chance de pouvoir visionner son travail en pratique, j'ai des vidéos dans ma bibliothèque. L'autre écrivain qui m'a beaucoup influencé parce qu'il a un rapport direct avec ce que je fais, c'est Dario Fo. Mais il y en a tellement ... des influences ... et je me suis créé mon propre opus, par rapport à tout cela. Cela dit, dans mon travail, je ne veux pas rester bloqué aux mots. Pour moi tout réside dans l'acteur, la manière dont il va manier son rôle. Pour moi, il doit être en confrontation perpétuelle avec le public.

Pensez-vous que l'artiste ait une responsabilité, un engagement ?
Je crois que l'acteur doit avoir un engagement vis à vis de lui-même. Le théâtre pour se masturber ça ne m'intéresse pas. Il doit y avoir une relation entre l'autre, et moi. Ma technique avec mes comédiens, c'est d'abord de leur apprendre à parler, puis à regarder. Et j'essaie de leur faire tomber cette peur naturelle qu'ils ont avant de monter sur scène. J'ai plusieurs techniques : regarder l'autre pleinement, sans détourner le regard une seule fois. Regarder un spectateur concret. De plus l'acteur doit apprendre à se brancher et à se débrancher. Cela se fait beaucoup dans le cinéma. Il faut savoir faire de genre de chose, jouer avec les différents états. Savoir manier ses sentiments avec dextérité, sans avoir peur. Moi, je ne fais jamais de première. Enfin, j'en fais parce que que "culturellement", c'est important d'en faire. Mais avant la première, je fais toujours 5 ou 6 représentations avec le public. Pour que les comédiens sachent déjà jouer devant un public. Le rapport entre l'acteur et le spectateur me paraît très important. J'ai déjà fait une expérience : lors d'une répétition, je n'ai filmé que la bouche des comédiennes disant leur texte. Et j'ai projeté cela lors d'une représentation. Une scène de 3-4 minutes avec juste ces bouches en mouvement ... j'essaie de développer ce genre de choses. Par exemple, on parle ici beaucoup du spectateur. Mais quelle est sa réaction ? J'ai fait l'expérience sur 15 représentations, de filmer les réactions du public en caméra cachée. C'est comme ça que je me rends compte de choses, de ce qui marche, etc ... Mais pour moi, le meilleur spectateur du monde, c'est le cul (rires). Quand le cul bouge, c'est qu'il se passe quelque chose sur scène qui attire l'attention. Je regarde toujours mes pièces en fond de salle, et je vois les fesses des gens qui bougent sur les gradins.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens.
Le théâtre ne sert à rien. Son intérêt pour moi réside dans ce que chacun en fait. Si ça ne plait pas au public, tant pis. Une chose est sûre, c'est que je suis incapable de m'endetter jusqu'au coup pour du théâtre. Et pour moi, non, le théâtre n'a pas de rôle particulier. Il est très individuel. Le meilleur théâtre pour moi est celui qui divise. Celui qui émeut. Un spectacle qui ne m'émeut pas, ça ne me plaît pas. Pour moi il y a du théâtre "caféiné" et du théâtre "décaféiné". Le caféiné, c'est celui qui émeut, qui questionne. J'adorerai avoir salle comble tout le temps, un public nombreux, mais le théâtre de masse, ce n'est pas pour moi. Avant, lorsque je voyais le peu de spectateur remplir la salle, cela me tuait sur place, cela me donnait de la tachycardie, j'étais furieux. Maintenant, s'il y a cinq personnes, c'est comme ça. Je prends. Parfois c'est plein, parfois non. C'est comme ça. Chacune de mes œuvres est déjà quelque chose de nouveau pour moi, alors ...