mercredi 1 avril 2009

Gilberto Martinez, dramaturge, Medellín

Tout d'abord pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Mon nom est Gilberto Martinez, j'ai 75 ans, je suis médecin de profession et j'enseigne à l'université. Je suis également sportif. Et cela fait plus de 50 ans que je me consacre au théâtre, d'abord comme amateur, puis j'ai suivi des cours à l'Université de Mexico. Je suis ensuite allé à San Francisco où je me suis mis en contact avec un groupe de théâtre, et en 1965 je suis revenu à Medellín, et j'ai créé la Escuela Municipal de Teatro. Et je suis le pionnier dans le sens où cette école a fonctionné pendant 8 ans, et à côté de ça, j'ai ouvert des écoles universitaires, dont celle d'Antioquia, celle de Medellín ... Puis la Escuela Municipal a fermé, et j'ai commencé à mettre-en-scène, et il y a 22 ans, on a créé la Casa del Teatro. Ce n'est pas un "groupe" à proprement parler, mais un espace de confrontation pour l'action théâtrale. Il y a des conférences, du cinéma en relation avec le théâtre, enfin toute manifestation en relation avec les arts scéniques. Et nous avons construit une salle de théâtre, ne disons pas "expérimentale", le mot est un peu alambiqué, mais plutôt une salle de recherche, de confrontation des manières possibles, pour moi en tant que directeur, de pouvoir monter une pièce de théâtre. La Casa del Teatro a plus de 80 pièces à son actif, dont plus de 45% sont d'auteurs colombiens, dont Victor Viviescas, un peu plus connu en France, à Paris plus précisément, et il a monté des pièces ici aussi. Ça a été l'un des fondateurs de la Casa del Teatro. Quant à moi, j'écris, et je considère que la dramaturgie de la pièce ne vient pas du texte, car pour moi une œuvre est toujours en mouvement. On travaille avec les acteurs dans la pratique, puis on élabore à nouveau. Mais ce qui est fondamental, c'est de ne jamais perdre la concentration du public. C'est le public qui va modeler les différentes actions d'une pièce en évolution.

Et comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
(rires) Ça a été par hasard, j'ai eu la chance de pouvoir jouer en 1955 pour un groupe expérimental de Medellín, assez méconnu, mais très important. C'est un de mes compagnons qui m'a offert la possibilité de travailler dans une pièce de théâtre, et c'est comme ça que ça a commencé. Je me suis rendu compte que le théâtre pouvait être un des chemins qui mènent à la connaissance. Pour toucher à la condition humaine. C'est une chance que la vie m'a offerte, que j'ai saisie et que j'ai développé, comme tout ce que j'ai fait, sport, médecine ... et à 20 ans, j'ai abandonné mon poste en cardiologie et me suis consacré au théâtre, à la Casa del Teatro, et à mon investigation en tant que metteur en scène, qu'écrivain.

Et que voulez-vous défendre en faisant du théâtre ?
Ce qui revient le plus évidemment, c'est la thématique de la condition humaine, et le thème de la violence. Mais cela tourne souvent autour de la femme. Sa souffrance au sein de cette société violente, cela me touche beaucoup.

Quelles sont vos influences ?
Pour moi, il y a deux grands maîtres qui ont influencé mon travail de manière certaine, même si je fais tout mon possible pour ne pas les copier, et parler des choses d'une autre manière. En Colombie, il s'agit bien sûr de Santiago García et Enrique Buenaventura. Mais il y a d'autres personnes moins connues, Misael Torres, Victor Viviescas, qui ont beaucoup compté pour moi aussi. J'ai ici ma bibliothèque, et je lis énormément. Je me vois comme un scientifique de la théâtralité. Il s'agit d'utiliser la théorie dans la pratique bien sûr. Mais pour parler de Stanislavski, personne ne le connait en vérité. On parle beaucoup de ce qu'il a fait, mais on n'a finalement aucunes références absolues vis à vis de son œuvre. Ou des choses mal traduites. De Brecht, oui, j'ai eu la chance de pouvoir visionner son travail en pratique, j'ai des vidéos dans ma bibliothèque. L'autre écrivain qui m'a beaucoup influencé parce qu'il a un rapport direct avec ce que je fais, c'est Dario Fo. Mais il y en a tellement ... des influences ... et je me suis créé mon propre opus, par rapport à tout cela. Cela dit, dans mon travail, je ne veux pas rester bloqué aux mots. Pour moi tout réside dans l'acteur, la manière dont il va manier son rôle. Pour moi, il doit être en confrontation perpétuelle avec le public.

Pensez-vous que l'artiste ait une responsabilité, un engagement ?
Je crois que l'acteur doit avoir un engagement vis à vis de lui-même. Le théâtre pour se masturber ça ne m'intéresse pas. Il doit y avoir une relation entre l'autre, et moi. Ma technique avec mes comédiens, c'est d'abord de leur apprendre à parler, puis à regarder. Et j'essaie de leur faire tomber cette peur naturelle qu'ils ont avant de monter sur scène. J'ai plusieurs techniques : regarder l'autre pleinement, sans détourner le regard une seule fois. Regarder un spectateur concret. De plus l'acteur doit apprendre à se brancher et à se débrancher. Cela se fait beaucoup dans le cinéma. Il faut savoir faire de genre de chose, jouer avec les différents états. Savoir manier ses sentiments avec dextérité, sans avoir peur. Moi, je ne fais jamais de première. Enfin, j'en fais parce que que "culturellement", c'est important d'en faire. Mais avant la première, je fais toujours 5 ou 6 représentations avec le public. Pour que les comédiens sachent déjà jouer devant un public. Le rapport entre l'acteur et le spectateur me paraît très important. J'ai déjà fait une expérience : lors d'une répétition, je n'ai filmé que la bouche des comédiennes disant leur texte. Et j'ai projeté cela lors d'une représentation. Une scène de 3-4 minutes avec juste ces bouches en mouvement ... j'essaie de développer ce genre de choses. Par exemple, on parle ici beaucoup du spectateur. Mais quelle est sa réaction ? J'ai fait l'expérience sur 15 représentations, de filmer les réactions du public en caméra cachée. C'est comme ça que je me rends compte de choses, de ce qui marche, etc ... Mais pour moi, le meilleur spectateur du monde, c'est le cul (rires). Quand le cul bouge, c'est qu'il se passe quelque chose sur scène qui attire l'attention. Je regarde toujours mes pièces en fond de salle, et je vois les fesses des gens qui bougent sur les gradins.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens.
Le théâtre ne sert à rien. Son intérêt pour moi réside dans ce que chacun en fait. Si ça ne plait pas au public, tant pis. Une chose est sûre, c'est que je suis incapable de m'endetter jusqu'au coup pour du théâtre. Et pour moi, non, le théâtre n'a pas de rôle particulier. Il est très individuel. Le meilleur théâtre pour moi est celui qui divise. Celui qui émeut. Un spectacle qui ne m'émeut pas, ça ne me plaît pas. Pour moi il y a du théâtre "caféiné" et du théâtre "décaféiné". Le caféiné, c'est celui qui émeut, qui questionne. J'adorerai avoir salle comble tout le temps, un public nombreux, mais le théâtre de masse, ce n'est pas pour moi. Avant, lorsque je voyais le peu de spectateur remplir la salle, cela me tuait sur place, cela me donnait de la tachycardie, j'étais furieux. Maintenant, s'il y a cinq personnes, c'est comme ça. Je prends. Parfois c'est plein, parfois non. C'est comme ça. Chacune de mes œuvres est déjà quelque chose de nouveau pour moi, alors ...

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