lundi 20 avril 2009

Cristóbal Peláez González, Teatro Matacandelas. Medellín

Tout d'abord, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Bonjour, mon nom est Cristóbal Peláez González, et je suis directeur du Teatro Matacandelas de Medellín en Colombie.

Comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
Cela a commencé très tôt, à l'école. Chose étrange, on avait un prof qui aimait monter des spectacles, et chaque année, durant la semaine culturelle, on pouvait assister à de la danse, du chant, du cinéma, et cela nous permettait de sortir un peu du système académique. J'ai commencé en participant à des comédies très courtes, très drôles, et après être monté sur scène, je me rendu compte que le théâtre m'avait absorbé de telle forme qu'il fallait que je me retire de l'école pour exercer cet art autrement, de manière plus autodidacte. Ce qui m'a fait voyager en Espagne, ou j'ai suivi des études plus sérieuses, puis fait du théâtre indépendant.

Pouvez-vous nous raconter la genèse de Matacandelas ?
En 1975, je pars donc pour l'Espagne. C'est une année très intéressante, puis c'est celle de la mort de Francisco Franco. Le pays subit un espèce de renversement social assez important. Surgissent des mouvements culturels et théâtraux dans toute l'Espagne, c'est une période critique, révolutionnaire. Lorsque je reviens en Colombie, je retrouve les compagnons avec lesquels j'avais fait mes premiers pas au théâtre, et on décide de fonder un groupe. Une sorte de "point de rencontre" pour la vague d'inquiétudes et de préoccupations esthétiques qui nous submergeait. Il a été fondé par trois personnes : Héctor Javier Arias, un des camarades de collèges, davantage tourné vers la musique, John Eduardo Murillo, plus intéressé par la littérature, et moi-même.

Que défendez-vous en faisant du théâtre ?
Pour moi, faire du théâtre, de manière basique, va dans le sens de reconstituer une patrie que j'ai perdue, ou que j'ai l'impression de perdre. C'est la possibilité de se rapprocher de l'enfance ... on sait que la plus grande tragédie de la vie, c'est de sortir de l'enfance, cette chute phénoménale. Donc le théâtre est une sorte de substitut de l'enfance, pour éviter la chute, c'est une forme plaisante de vivre. Le théâtre m'a permis de revenir aux choses que j'aime dans la vie. Mais cela n'a pas été une arme de défense ou de construction, mais sinon plus de partage. Partager un point de vue, une expression, se réjouir un peu de la vie. Car pour moi la vie est une porcherie. On a besoin d'inventer des choses pour ne pas mourir de la réalité qui nous entoure. Ces choses dont je parle sont la peinture, la poésie, la danse, et le théâtre. Et ceux qui ne sont pas créatifs s'en sortent par d'autres moyens. On essaie tous de surmonter cette terrible réalité, c'est incompréhension qu'est la vie. On essaie de l'éviter. Car l'existence, si on la regarde en face, est quelque chose d'atroce.

Comment travaillez-vous au sein du groupe ?
Le Teatro Matacandelas est le produit d'une époque très riche dans l'histoire du théâtre colombien. On a beaucoup cherché a travers d'autres moyens d'expression comme la danse et la musique. Le théâtre en Colombie est né d'arrivages, certaines compagnies espagnoles ont débarqué à Buenos Aires, d'autres au Chili, et certaines arrivaient en Équateur et remontaient jusqu'en Colombie. C'est comme ça qu'on a eu de très bonnes compagnies espagnoles, mais aussi argentines. Nous autres, les Colombiens avons mis le pied à l'étrier plus tard, dans les années '50, durant lesquelles se sont formées les premières compagnies théâtrales. Et à cause du manque de dramaturges, du manque de tradition théâtrale dans le pays, l'acteur s'est fait lui même dramaturge. On a appelé ça, de manière discutable, le "Nouveau Théâtre". Certains noms surgissent de cette période : Enrique Buenaventura, notre maître Santiago Garcia, que l'on reconnaît comme notre père. Pour l'instant l'histoire théâtrale colombienne ne connaît pas de mère. Et c'est avec cette méthodologie que l'on a commencé à travailler. Des choses très intéressantes ont vu le jour, très diverses, critiques, contradictoires. Nous autres sommes le produit d'une seconde génération. Je rappelle que le groupe est né en 1979, et on a basé notre travail sur toutes ces méthodes en cours, celles de Stanislavski, de Brecht qui a été un véritable appui dans notre approfondissement théorique, puis dans sa mise en pratique. Et à partir de cette matière, nous travaillons de manière collective. Cela s'appelle d'ailleurs Collectif Théâtral Matacandelas. Cela dit, on opère bien plus dans le sens du peintre que celui de l'homme de théâtre. On part de ce que l'on appelle "l'esquisse". Plus qu'improviser, on esquisse. Pour nous le théâtre doit réinventer à chaque mise-en-scène, comme le faisait Enrique Buenaventura. C'est la meilleure leçon que j'ai apprise. Et je travaille aussi beaucoup à partir de l'acteur comme créateur. C'est un homme qui a une conception du monde et de l'art bien particulière, une sensibilité poétique. Au sein de Matacandelas, on part toujours d'une idée, d'une scène, d'une forme que l'on modèle ensuite sur scène. C'est un laboratoire constant.

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait une responsabilité ?
Je crois qu'il a une responsabilité civique. Cela dit, on a trop souvent conféré au théâtre des responsabilités gigantesques, comme celles de régler la société, par dessus tout dans ces sociétés retardataires. Le théâtre est sensé avoir une tâche sociale. Mais l'art appartient surtout au territoire de la beauté. On lui a donné une mission qui dépasse le domaine culturel : celle de transformer le monde, mais dans ce sens, l'art ne sert à rien. Il peut aider à changer la vie, oui. Comme disait Arthur Rimbaud. Cela nous paraît plus intéressant.

Avez-vous déjà regretté votre choix ?
Non. Non, non. Si je devais recommencer, je referais du théâtre. Cela m'apporte beaucoup. Qui plus est beaucoup de gens disent que faire du théâtre en Colombie est quelque chose de très difficile, mais moi je dis que faire du théâtre en France est beaucoup plus difficile. Ici, d'une certaine manière, on a pu former un semblant de public, construire une tradition, on a un petit parcours historique, on balaye la scène pour les générations futures. Je donne toujours l'exemple qu'à Paris, en automne, sortent environ 300 pièces de théâtre. Dans une ville qui compte 4 critiques et 5 journaux. Ici, il y a 20 groupes de théâtre, et en automne il y a 2 pièces qui sortent. Donc c'est toujours un succès. En France, les critiques n'ont pas toujours le temps ni l'envie d'aller voir 300 pièces. C'est beaucoup plus difficile de trouver de la reconnaissance à Paris.

Que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Du bonheur, du contentement. Je crois que le théâtre permet de "participer" à un cauchemar sans le vivre vraiment. Cet art est une hypothèse sur le chaos. Qui a inventé le principe de la bombe atomique ? Quelqu'un a répondu : les Grecs. Sophocle, Euripide. La destruction, le chaos, la catastrophe. Puis tout se recompose, et laisse place à l'ordre. C'est aussi le principe de la création de l'univers. Dans le sens où du choc des astres et des planètes surgissent les astres et les planètes. La Terre est le produit d'un chaos. Et on dit que le théâtre est un espace où, hypothétiquement parlant, l'homme se révèle à lui même. C'est un jeu très amusant : il n'y a pas un acteur qui ne voudrait pas mourir sur scène. "Je veux ce rôle, je veux montrer l'agonie" C'est un essai sur la douleur, sur le cauchemar. Grotowski a un très concept du public : quand il entre dans la salle, il est Antigone pendant 1h30. Quand il en sort, il redevient Amphytrion. C'est un jeu, celui de la transformation. L'humanité ne peut pas vivre sans le théâtre. Shakespeare disait que le monde entier est un théâtre. Cela permet une distanciation. Chez les animaux il y a aussi ce jeu théâtral, cette transfiguration...

1 commentaire:

Unknown a dit…

Dites donc, sacrée interview !
Cristobal n'est pas franchement optimiste, il convient quand même que l'art peut transformer la vie à défaut de la sauver. La porcherie, certes, tout le monde est d'accord mais aussi le jardin de roses. L'un ne va pas sans l'autre. L'idée, en fait, c'est de faire pousser des roses dans la porcherie. On en est tous là, non ??
Cette création collective, ça semble formidable, serait-ce possible en France ?
Et toujours des réflexions passionnantes sur l'homme et ses semblables, l'art évidemment qui tire vers le haut et transfigure la réalité, qu'on l'appelle d'un nom ou d'un autre...
Comment ne débordez-vous pas avec toutes ces rencontres ???? Il doit y en avoir de l'ébullition dans le cerveau des 2 Françaises de France!!!!!
Bisous. Portez-vous bien
mh