jeudi 2 avril 2009

Jorge Blandón, Nuestra Gente, Medellín

Pour commencer, pouvez-vous vous présenter brièvement ?
Oui, mon nom est Jorge Blandón, je fais partie de l'équipe de travail de la Corporation Culturelle Nuestra Gente. C'est une organisation culturelle qui, depuis 1987, développe tout son savoir-faire artistique, culturel et social dans la zone orientale de la ville de Medellín.

Quel est l'objectif de Nuestra Gente ?
Le pari de Nuestra Gente, c'est la construction d'êtres humains, vifs, responsables. D'êtres humaines qui pensent être capables d'aider à transformer notre société à travers l'art, à travers des propositions créatives, des projets qui, nous permettent à chaque fois de ratifier l'être humain, les femmes et les hommes, il suffit de leur donner l'opportunité pour qu'ils soient. Et nous pensons qu'avec l'art, avec la culture, il est possible d'atteindre cet objectif : que les gens soient.

Le théâtre a-t-il toujours été présent dans la Corporation ?
Oui, depuis l'origine. On vient presque tous de domaines artistiques : musique, théâtre, littérature, et on a combiné ces expressions artistiques. Après la fondation, ça a été une nécessité de nous former en tant qu'acteurs professionnels et d'aller à l'école de théâtre de la ville, celle de l'Université d'Antioquia. Là on a commencé à comprendre que notre rôle transformateur ce n'était pas seulement d'apprendre le théâtre mais aussi de le vivre proche des gens.
Pour nous, cette naissance est aussi le fruit d'une décision radicale : notre travail ne se ferait pas dans le centre de la ville, mais dans la périphérie. Les filles, les garçons, les enfants, les jeunes et les adultes de ces territoires devaient être plus près. C'est aussi parce qu'ici il y a une expérience vitale de la solidarité entre les gens. C'est-à-dire que là où les gens ont plus de difficultés, plus de carences, ils ont aussi une plus grande opportunité de se rassembler autour de l'art, de la culture. C'est aussi pour cela qu'on a choisit ce lieu, et parce que beaucoup de ceux qui sont à l'origine vivent dans ces quartiers. Il s'agissait donc de ne pas quitter le quartier, de ne pas quitter le lieu où on habite. Et créer la possibilité que le théâtre perdure ici.

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait une responsabilité ?
Oui, tous les artistes doivent avoir une responsabilité sociale. Je pense à Shakespeare, à son époque, à sa projection sur la responsabilité de l'artiste envers sa société, une pièce comme Hamlet parlait et rendait compte de ce qu'il se passait, pas seulement au Danemark, mais en Europe et dans le monde. Toutes ses grandes tragédies du pouvoir. C'était une façon de parler de ces choses-là. Si tu regardes plus en arrière, tu trouves Aristophane par exemple, qui parle de tous ces moments transcendantaux pour les Grecs.
Je crois que l'artiste, à toutes les époques, dans tous les moments historiques de l'humanité, l'artiste a joué un rôle transformateur. Ce n'est pas gratuit. Dans un pays comme la Colombie - ou dans beaucoup d'autres pays d'Amérique latine - les artistes sont persécutés, mis en prison, assassinés. C'est une conséquence aussi de la profonde réflexion que l'art propose à la société. C'est clair que dans une société où il y a tant de de différences et d'inégalités, l'art est le premier à dire : "Ici, il se passe quelque chose." "Quelque chose sent mauvais au Danemark" - Hamlet.

Quels types de pièces mettez-vous en scène au sein de Nuestra Gente ?
On travaille tous les genres. En ce moment on a cette pièce didactique, parce que c'est le sujet qui nous préoccupe aujourd'hui, dans cette ville : l'éducation. La réflexion qu'on souhaite susciter, c'est : comment les gens sont-ils facilement trompés par celui qui possède un savoir. Ceux qui possèdent certaines connaissances viennent et te trompent, ils te mangent ton fromage. Dans ces communautés, on trouve toujours quelqu'un qui mange le fromage d'autrui. Et ceux qui volent le fromage d'autrui, ce sont ceux qui détiennent le pouvoir, par les armes, le terrorisme, les pamphlets qu'ils lancent dans la ville, depuis le contrôle politique. Dans ces circonstances, nous pensons donc qu'il faille commencer à établir une relation beaucoup plus décidée dans laquelle les gens comprennent et parviennent à voir au-delà de leur propre analyse.
C'est donc une pièce pour enfants, on en a d'autres, qui sont très importantes pour nous : Le petit pays des rêves perdus, qui parle de la mémoire, du patrimoine immatériel, des fêtes, de nos racines. Les gens pensent s'en aller vers l'Europe, l'Espagne, les États-Unis où ils ne trouvent au final que xénophobie, exclusion, peu d'opportunités. On a donc travaillé une pièce sur ce thème, où nous, ici, nous devons construire notre développement, notre réalité, que personne ne vienne nous la construire, que nous la construisions, nous.
Nous faisons aussi des pièces pour adultes, c'est-à-dire à tendance volontairement politique, du quotidien des êtres humains : nous parlons d'amour, de guerre, d'infidélité, d'injustice.
Nous avons aussi des ateliers de formation pour enfants, jeunes et adultes et, avec eux, nous cherchons d'autres thématiques, mais toujours en cherchant le rôle social du théâtre.
Nuestra Gente se consacre donc, avec son groupe fondateur d'artistes, à chercher des thèmes qui intéressent et préoccupent les autres. Mais aussi, pour les enfants, des thèmes de leur réalité.

Que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Je vais commencer par reprendre une phrase de Cristóbal Pelaez, directeur du Théâtre Matacandelas. Sa maman Luciana lui a dit un jour : "C'est bien mon fils, que tu fasses du théâtre, et qu'il y ait beaucoup de gens qui y aillent, parce qu'ils vont arrêter de faire des bêtises."
Je crois la maman de Cristóbal ; avoir 74 personnes aujourd'hui dans la salle, c'est avoir 74 personnes, cœurs, yeux réveillés, oreilles grandes ouvertes qui ne seront pas impliqués dans un problème, dans un des conflits de la ville. Ça nous plaît, parce que les gens viennent se divertir, se rencontrer, rire, profiter.
Mais on aimerait aussi leur proposer un thème de réflexion. Ce n'est pas non plus une affaire si inconsciente. Le théâtre doit dire des choses, poser des questions. Pour que les gens puissent chercher des réponses.

Aucun commentaire: