lundi 20 avril 2009

Jacqueline Vidal et Serafín Arzamendía, Teatro Experimental de Cali (TEC), Cali

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Jacqueline Vidal : Je m'appelle Jacqueline Vidal, je suis actrice et je fais la mise-en-scène de plusieurs œuvres. Je travaille avec le TEC depuis bientôt 50 ans...
Serafín Arzamendía : Je m'appelle Serafín, je fais de la musique et je travaille en tant qu'acteur au TEC depuis environ 18 ans, à temps complet et dédication exclusive.

Pouvez-vous nous raconter l'histoire du Teatro Experimental de Cali (TEC) ?
Jacqueline V. : C'est une histoire très longue. Très longue. En 1955 Enrique Buenaventura a commencé à former des gens ici à Cali pour faire ce théâtre. Un théâtre qui à la fois intègre l'histoire de l'Amérique latine et qui s'engage dans la lutte de libération des pays qui ont été colonisés. Cela fait déjà 55 ans.
Nous proposons une formation intégrale aux gens dans une forme très... la création collective, telle qu'elle se pratique au sein du TEC, met l'accent sur deux choses, selon moi : premièrement, tu touches la matière du théâtre. La matière du théâtre, c'est la relation de deux forces qui sont dans l'imaginaire collectif, ou dans la société, mais qui sont venues au théâtre pour s'affronter, se confronter. Ensuite vient l'improvisation. L'improvisation par analogie, c'est-à-dire le chemin artistique pour réunir ces conflits qui nous intéressent.
Et la poésie, la grande poésie. Au début, Enrique Buenaventura a formé les gens avec le théâtre classique, avec Shakespeare et d'autres. La formation des gens ici se fait vers un théâtre qui donne beaucoup d'importance à la poésie, à la parole. Ce qui différencie le théâtre de toute autre forme d'art du spectacle, c'est la parole. C'est la musique du mot.
Mais c'est aussi un théâtre très festif, qui donne aussi beaucoup d'importance au langage non-verbal, à la plastique, Buenaventura était aussi peintre - il faisait les dessins des costumes et des décors qui surgissaient des improvisations, puisque tout surgit des improvisations.
Ce sont les caractéristiques de notre théâtre.

Avez-vous déjà regretté d'avoir choisi cette voie ?
Serafín A. : Si on regrette ? non. Sans remord ni regret. On essaie de s'éloigner un peu de nous-mêmes. De voyager par ce biais. Et on ne le regrette jamais puisque c'est ce que nous voulons faire, et c'est ce que nous faisons : transformer. On est tout le temps dans la transformation. Et ce avec la méthodologie relativement moderne et avancée de la création collective.
C'est un divertissement pour nous, on s'amuse énormément en faisant ce type de théâtre.
Jacqueline V. : Et il faut que le public s'amuse, lui aussi !
Serafín A. : Bien sûr, il faut divertir le public. S'amuser en divertissant le public.
Jacqueline V. : Non, le chemin de la création collective, c'est un chemin encore inexploré. Il y en a qui retournent au vieux théâtre, mais c'est parce que, d'une certaine manière, la société est en train de régresser. Le capitalisme impose encore une fois ses lois, de façon très cruelle. Beaucoup de jeunes s'intéressent à ce théâtre.
Nous, ici, nous avons des ateliers de formation auxquels assistent beaucoup de jeunes qui se forment sur le tas.
Les acteurs s'occupent eux-mêmes de toutes les activités nécessaires pour faire du théâtre, par exemple Serafín s'occupe de tout l'équipement technique et il est aussi professeur. Nous avons des formations tous les jours, formation physique, vocale,... tous les jours. Serafín est devenu un grand maître des arts martiaux. Nous pensons que les arts martiaux sont très importants parce que, dans les arts martiaux, si on ne comprend pas bien le langage gestuel de l'autre, on peut perdre la vie ! C'est une formation intéressante pour les acteurs, les arts martiaux chinois qui travaillent par analogie : comment se bat l'éléphant ? Comment se bat la fourmi ?

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait une responsabilité ?
Serafín A. : C'est le plus irresponsable de tous ! (rires) Mais oui, il y a un engagement politique, parce que l'art est politique, et l'art est social. Il fait partie d'un évènement social. Et l'engagement de l'artiste, c'est celui du sens.
Moi non plus je ne suis pas Colombien, je viens du Paraguay et là-bas, penser c'est un délit quand les militaires sont au pouvoir. Je suis donc parti du Paraguay pour chercher la manière de pouvoir développer ma pensée, et j'ai trouvé ce lieu qui m'a paru très intéressant, c'est une réflexion qui rompt avec tout, et donc j'y suis resté pour apprendre, et ça fait pas mal de temps que j'apprends, et je continue d'apprendre, tous les jours on apprend ici. Et c'est cela l'engagement de l'artiste : apprendre tous les jours pour pouvoir transformer, et donner quelque chose au public.
Jacqueline V. : Oui, c'est sûr que Buenaventura a toujours insisté sur le fait que notre lutte est artistique. Mais l'art a des implications. Le seul fait monter sur scène, c'est un défi. Si on n'a rien à dire, de quel droit monte-t-on sur la scène ?
Toutes les activités de la vie sont politiques, jusqu'à la façon de dire "bonjour" le matin, de se réunir avec les autres pour manger...tout. Mais peut-être que l'art, c'est plus que cela. C'est une forme qui cherche au-delà de ce que peut faire la pensée rationnelle. Il arrive souvent que nous montions une pièce, et peu de temps après, il arrive quelque chose qui établit que nous avons eu une sorte de prémonition. Je crois que c'est Maïakovsky qui dit que l'art est futuriste, ou alors qu'il n'est pas. C'est-à-dire que c'est une vision : qui n'exprime pas obligatoirement des désirs, des pensées.
De toute façon, notre niveau c'est celui de l'expression. On exprime donc ce qui n'est pas, mais ce qu'on voudrait dire. Il faut en être conscient et se rendre compte de ce qu'on dit, de ce qu'on fait.
La formation de l'acteur c'est bien sûr de jouer, mais aussi d'être spectateur. C'est pour cela qu'il y a toujours ceux qui improvisent, et ceux qui "lisent". Et ce rôle de metteur-en-scène s'apprend sur le tas, parce que n'importe quel acteur peut proposer une improvisation et après le groupe analyse ce qu'il vient de se produire. On a besoin de beaucoup de temps pour cela, la création collective nécessite toujours beaucoup de temps. Mais on pense que c'est ce qui est propre au théâtre. Même ceux qui le nient ne peuvent pas ne pas faire de création collective, parce qu'il y a ce moment où rien n'a été répété, où rien n'a été pensé, qui est celui de la relation entre le public et le spectacle.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Silence.
Jacqueline V. : Douter. Douter de soi-même. Et observer, essayer de donner un sens à la vie. Trouver un sens à toutes les activités de l'être humain.


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