samedi 28 mars 2009

Fernando Velásquez, metteur-en-scène et comédien, Teatro Caja Negra, Medellín

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Mon nom est José Fernando Velásquez, j'ai consacré ma vie au théâtre. J'ai 60 ans, j'ai commencé à faire du théâtre à 18 ans - c'est un peu tard pour nous, comparé à d'autres pays, mais c'était la situation du pays. Faire du théâtre ici, ce n'était pas facile. Aujourd'hui non plus, mais à l'époque c'était plus dur qu'aujourd'hui. Je suis entré dans une école de théâtre, la première qui ait été fondée dans la ville. Il y avait toujours eu du théâtre à Medellín, Antioquia et en Colombie, toujours, depuis l'époque de la conquête, parce que les premières compagnies, ici c'était les compagnies espagnoles qui arrivaient en bateau en Colombie et qui parcouraient le pays. Ça a généré une certaine conscience du théâtre et ici, toute la vie donc, on a eu une conscience théâtrale. On arrive aux populations les plus éloignées, et il y a des troupes et des festivals de théâtre. Le théâtre est quelque chose qui nous appartient culturellement. Commercialement non, mais populairement, oui.
Je ne peux pas vous raconter pourquoi j'ai choisi ce chemin : pourquoi un jeune, venu de la campagne, à un moment décide d'être acteur ? C'est un très long processus, trop long pour cette interview. Mais j'ai donc eu la chance, au moment où j'ai voulu faire du théâtre, la possibilité d'une école ici a surgi. Et c'est la première qui ait été fondée. Parce qu'à cette époque, il y avait des groupes de personnes qui se réunissaient et faisaient du théâtre empiriquement, en tant que jeunes, et comme divertissement. Mais penser au théâtre en tant que formation professionnelle, c'était une utopie totale, une folie absolue. Mais bon, j'ai pu entrer dans cette utopie. Pourquoi ? Parce que ça coïncide avec une époque qui pour vous aussi est très significative, et qui a eu des répercussions ici : les années '60. Et à Medellín, des mouvements de prise de conscience politique très importants se sont créés, dont le nadaismo (que l'on pourrait traduire par négationnisme - mouvement littéraire colombien des années 1950-1965, ndlr) qui a eu un grand pouvoir. Disons que le nadaismo, c'est un peu l'interprétation latino-américaine de ce qui pour vous fut l'existentialisme. C'est plus ou moins le parallèle qu'on pourrait établir. Ici, ça a été avec des ingrédients très différents, à partir de points de vue politiques très différents. C'est là que j'ai commencé à faire du théâtre, et je ne m'en suis pas déconnecté, cela fait 40 ans. J'ai commencé l'école en 1968, je faisais du théâtre depuis 1967. Donc en '68 je suis entré à l'école, j'y ai fait ma formation, ensuite l'école a été fermée parce que c'était un nid de communistes et de rouges, on était très dangereux pour la société, ils ont donc fermé l'école. On est partis, on a formé un groupe indépendant, on a travaillé pendant cinq ans et après, en 1978 la possibilité de créer un programme de formation pour acteurs au niveau universitaire est apparue. Je suis donc entré à l'université en 1978. Et je suis resté dans le processus de création du département théâtre de l'université d'Antioquia jusqu'à il y a environ quatre ans, quand je suis parti à la retraite. Je suis sorti de l'université et je ne pouvais pas rester sans rien faire, sans travailler. Et donc, avec d'anciens élèves et quelques collègues, on a décidé de fonder un groupe de théâtre indépendant : la Caja Negra.
Ce groupe a déjà 6 ans d'existence, et le siège en a 3. Et durant tout ce temps, on a produit et fait des choses pour la ville et pour nous confronter, et on considère le théâtre comme un champ d'expérimentation. Pour nous, le théâtre ce n'est pas un objet économique, mais un espace de création, fondamentalement. C'est comme cela qu'on le considère, et c'est dans ce sens qu'on travaille ici.

Vous avez déjà répondu à toutes mes questions ! (rires) C'était quant à l'histoire du théâtre La Caja Negra...
En effet, c'est un peu ça, l'histoire. C'est une situation à laquelle je ne pensais pas : quand je suis sorti de l'université, je me sentais fatigué, après plusieurs années d'enseignement où je me consacrais au champ de la formation de l'acteur. Je devais donc essentiellement mettre-en-scène, et ce n'était pas mon objectif. Ça m'intéressait d'explorer avec l'acteur - parce que je suis avant tout acteur. J'ai donc toujours considéré l'acteur comme l'élément essentiel du théâtre. J'étais donc fatigué et un peu épuisé : "ça suffit, je m'en vais!". Mais je n'ai pas tenu longtemps, je n'en ai pas été capable. Je me sentais inutile, absurde et donc on a commencé à travailler et à créer ce projet, qui est déjà bien avance, il manque encore beaucoup, mais il en manquait plus avant !

Avez-vous déjà regretté d'avoir choisi cette voie ?
On regrette plusieurs fois, surtout avec autant de difficultés. Je connais un peu la situation en Europe, un peu, parce que j'ai eu l'opportunité de voyager en Europe très jeune. J'ai connu l'Europe justement dans les années '60 : l'Espagne était encore en pleine dictature, la France était en pleine apparition de la vague des années '60, toute l'Europe était dans cette situation, quand j'y suis allé la première fois. Après j'ai dû y aller, mais l'Europe ne me plaît plus, ça me plaisait plus avant ! (rires).
Ici il y a d'autres ingrédients, il y en a de très bons : il y a tout à faire, à la différence de l'Europe où tout a déjà été fait. Mais c'est pour ca que c'est si dur ici. Et là où il n'y a pas de bonnes conditions... l'État n'a pas de politique claire face à l'importance qu'a l'activité artistique dans la formation et le développement de la société.
Ça fait 40 ans que je fais le même discours pour essayer de pénétrer au niveau politique et je peux te dire qu'on a eu un certain écho, ils nous ont un peu écoutés, ces cinq dernières années, les gouvernements locaux. Et un peu le pouvoir central. Un peu. Mais avec un président comme on a en ce moment, par exemple, on ne va pas pouvoir, parce que sa priorité, c'est la guerre, et donc la paix et toutes ces choses sont toujours en second plan. C'est donc très difficile. Ici, les dirigeants locaux actuels ont un peu plus de conscience en ce sens, oui, et on a reçu une aide très importante de leur part qui nous a permis d'avoir cet espace, de produire une ou deux pièces dans l'année. Mais avant, il y a eu des histoires très tristes de censure, de persécution, de danger. Un danger réel, pas inventé, ce n'est pas imaginaire. Pour le fait de faire du théâtre. Pour le simple fait de faire du théâtre ! Simplement, d'être différent du commun des mortels. Ce simple fait te montre du doigt. C'est un risque. Les gens qui sont différents sont dangereux.
Ça a donc été très difficile de vaincre tout ca, très difficile. Et ca l'est encore. Mais on a avancé de quelques petits pas.

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait une responsabilité ?
On ne peut pas généraliser. Il y a certaines personnes (dont je fais partie) qui aimeraient être conséquentes : avec une réflexion, une manière de voir le monde, différente de celle que les moyens de communication prétendent nous montrer. Ils nous montrent un monde qui n'est pas notre monde réel.
Mais on pourrait dire qu'ici, oui, on est divisés. Je pense que c'est la situation politique réelle du monde, non ? On se place d'un côté, et les autres de l'autre. Ici aussi on fait du théâtre avec une conception commerciale, c'est un théâtre qui a pour but de divertir, exclusivement, et de gagner des sous. Mais il y en a d'autres qui font l'essai de faire autre chose, de créer une conscience, où l'objet n'est pas chiffré en argent mais où il réside dans d'autres choses, beaucoup plus expérimentales : chercher, répéter. Ne pas simplement apprendre une formule et la répéter. On veut toujours chercher de nouvelles choses, différentes. Et c'est un grand pourcentage de gens qui veulent faire cela.
C'est plus ou moins un panorama général, dans toutes les villes.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Silence. Nous qui sommes investis là-dedans, on aimerait que ca soit beaucoup, ce qu'on apporte. Malgré cette situation culturelle si grave que nous sommes en train de vivre en ce moment - comme je vous racontais toute à l'heure - une situation culturelle de domination de l'idéologie religieuse et de domination des moyens de communication sur la façon de penser et d'agir des gens. Je pense que l'art, et plus spécifiquement le théâtre pourraient contribuer d'une manière très forte à changer ces attitudes et cette façon de voir le monde. Et on sait tous que c'est comme ca : une personne peut un jour aller voir une pièce de théâtre et en sortir renouvelée, d'une seule pièce de théâtre ! Le théâtre a cette magie et ce pouvoir.
Mais avec les moyens qu'on a, on ne peut atteindre que très peu de gens. Et c'est ça qui est terrible et qui nous angoisse, parfois. Parce qu'on aimerait que ce qu'on fait ait une plus large diffusion. On a toujours voyagé dans les quartiers marginaux, dans les villages éloignés pour présenter les pièces. Ça fascine les gens, ce qu'on fait, ils veulent voir. Mais on a pas toujours les moyens de le faire. C'est très frustrant.
Mais je crois profondément que le théâtre et l'art en général sont des stratégies pour changer la situation culturelle qu'on est en train de vivre.

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