dimanche 8 mars 2009

Beto Villada, Teatro Varasanta, Bogotá

Tout d'abord, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis cofondateur du groupe Varasanta, que l'on a créé il y a 15 ans avec Fernando Montez. Je suis musicien dans les gènes, par mon père, mon grand-père, mes frères et mes oncles, et bien vite j'ai mélangé la musique avec le théâtre. Je faisais avant partie d'un autre groupe, de théâtre de rue, avec lequel on a voyagé dans le monde entier, comme des gitans. De son côté Fernando a été en Europe, il a été l'élève de Grotowski et a appris énormément à ses côtés, la discipline, etc ... puis il est venu en Colombie et a décidé de fonder un groupe. On était au départ plusieurs artistes assez déçus de l'Académie que l'on jugeait trop formelle, sans profondeur. C'est de là qu'est venue l'idée de créer un laboratoire théâtral, qui n'avait alors pas de nom. Un laboratoire où l'on se posait des questions sur le métier d'acteur, sur les principes de Stanislavski et de Meyerhold et par dessus tout de Grotowski. Pour moi c'était très intéressant, car j'avais déjà rencontré beaucoup de monde, Eugenio Barba, Cuatro Tablas, Yuyachkani, etc ... et au Mexique j'avais ressenti le besoin de faire un autre théâtre, je nous voyais nous les artistes comme des îles flottantes au beau milieu de ce monde. Et à partir de ce désir d'investigation, dans un pays où il n'y avait pas de discipline ni de rigueur, on a décidé de fonder ce groupe. Au début on avait une orientation extrêmement politique à une époque très conventionnelle en Colombie, ce qui était plus ou moins le cas de tous les groupes de théâtre. De là est née notre troupe, qui s'appelle aujourd'hui Varasanta. En Colombie, en général, les groupes cultivent une sorte de paternalisme vis à vis de l'état, dans le sens où ils attendant un appui, un financement de l'état pour lancer un projet théâtral. Ce n'est pas notre cas. Pour nous, c'est l'effort personnel et l'intérêt du groupe qui permet de mettre en œuvre des choses. D'ailleurs le manque de discipline et de rigueur dans le théâtre venait du fait que les compagnies n'avaient aucun lieu de répétition. Nous, nous avons décidé de louer un local pour travailler.

Dans cette maison-là ?
Non, à l'époque non. On louait une maison, chacun donnait de sa poche, et à côté de ca chacun avait son boulot. Professeur à l'université, au collège, dans les associations culturelles ... on gagnait notre salaire et à 16h, on se retrouvait tous dans une maison pour répéter, et que surtout personne ne nous interrompe ! On y restait jusqu'à 22h, à travailler sur l'énergie, le contact avec l'autre, l'état de représentation, la voix, les limites de notre résistance physique. On a commencé à reproduire des exercices "plastiques" de cette école polonaise et de Richard Cieslak, basé sur les mouvements du corps, etc ... Et moi j'étais chargé d'aider dans le travail sur les pulsations, le rythme de la musique à partir de nos propres instruments. A cette époque je suivais des ateliers de musiciens à l'Université Nationale. Voilà comment on a formé un groupe d'investigation musicale. Et tout cela, entre 16h et 22h ... On travaillait aussi sur la mécanique des émotions, des sentiments ...

Mais avez-vous aussi travaillé à partir de textes, sur des classiques ?
Au début, on travaillait à partir du matériel que chacun amenait, des classiques, des œuvres que l'on connaissait, des poèmes ... moi j'ai travaillé la tragédie grecque, Prométhée ... on apprenait le texte et à partir de là, on s'exerçait sur l'énergie vocale, avec Adriana Rojas. Fernando se chargeait plus de l'entraînement physique. On était 8 au début, à travailler dans cette maison. Bien vite on est tombé sur un texte de Jean Claude Carrière, El lenguaje de los pájaros, (que l'on reprend d'ailleurs en ce moment-même, 15 ans après, car on fête nos 15 ans cette année). On avait demandé la permission a Jean-Claude Carrière pour traduire son texte, et il nous l'a concédée. C'est Adriana Rojas qui s'en est chargé. Ensuite on a monté les Frères Karamasov, de Dostoïevski, puis le Premier frère, créé à partir de plusieurs textes.

Vous travaillez sur fond de création collective ?
Oui. Il y a un apport de chacun ... mais ici la "création collective", c'est plutôt la marque de fabrique du Teatro La Candelaria. Ce sont eux qui on initié tout cela. Bref, ensuite on a cherché d'autres types d'exercices, on a fait des concerts de musique folklorique, etc ...

Y a-t-il une personne en particulier qui dirige, met-en-scène ?
Oui, Fernando Montes. Il est chargé de la direction artistique, c'est lui qui propose, nous guide ... cela dit, au Danemark, ca lui est arrivé de remplacer un compagnon qui n'avait pas pu nous suivre et de monter sur scène. L'an dernier aussi, il a joué avec nous, dans un travail de coproduction avec Pascal Delahaye à Toulouse, "Le livre de la folie" cela s'appelait, et "Une saison en enfer". Fernando a beaucoup voyagé, à Moscou, en Pologne, en Grèce, au Brésil ... avec Varasanta, ça a été plus "interne", dans le sens où notre travail d'investigation était plus fermé. On essayait d'effectuer nos recherches, de résoudre nos problèmes nous-mêmes, au sein de groupe. Puis on s'est plus ouverts, on a été invités, on a montré notre travail et on a eu une certaine reconnaissance au niveau local.

Et vous arriviez à en vivre ?
Non. On continuait à travailler à côté.

Avez-vous déjà regretté de choisir cette voix, le théâtre ?
Non ! Il y a beaucoup de gens qui aimeraient être à notre place. On a pu se permettre beaucoup de choses car au final on a cette maison. C'est chez nous. On a d'ailleurs commencé à faire des ateliers, pour mettre à profit le résultat de nos investigations, Fernando a dirigé El cuerpo que uno es sur la reconnaissance du corps en état de représentation.

J'ai l'impression que dans votre travail tout commence par le corps ?
Le corps, c'est tout. C'est ce qui véhicule l'énergie, c'est un instrument incroyable. Et une fois qu'on le connaît bien, on peut se permettre beaucoup de choses.
Ensuite on a ouvert des ateliers pour le public, ce qui nous a permis de gagner de l'argent. Moi, je donne des cours sur la respiration circulaire dans les instruments à vent, comme le didgeridoo, d'autres instruments arabes, la percussion colombienne, de la côte Caraïbe, du Brésil aussi. La musique, c'est vraiment mon élément.

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait une responsabilité, un devoir ?
Bien sûr. Plus le temps avance, plus mon intérêt pour le domaine social grandit. Et ce depuis le collège, l'université ... le sujet des déplacés, ou des minorités ... et mon travail, qui est musical, a vraiment évolué dans ce sens-là. Ce que l'on fait aujourd'hui, c'est le résultat des ces années passées et du fait de ne pas fermer les yeux sur notre réalité politique. On ne peut pas faire l'autruche. Il faut s'informer de tout ce qui nous entoure, de cette réalité colombienne. Aujourd'hui nous sommes en relation avec des associations comme World Child, et des ONG qui travaillent directement avec des déplacés. Comment pouvons-nous mettre à profit toutes nos connaissances artistiques dans une participation politique ? Notre désir n'a pas de couleur particulière, de plateforme politique. L'une de nos dernières œuvres, Kilele, qui a reçu une bourse de création du ministère de la culture, est tirée d'une pièce écrite par un dramaturge, à propos d'un massacre civil par des paramilitaires, près de Bellavista. On a cherché à monter cette pièce pour la rendre vivante. On a été appuyés par beaucoup d'ONG. On a voulu dénoncer la folie de ce conflit, et en réanimer le souvenir. Ne pas oublier. C'est une très belle pièce. Il y a eu 119 morts, et dans ce sens on a décidé de donner 119 représentations. Mais en réalité on va en faire beaucoup plus.

Que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
C'est difficile. Je crois que dans le cas de notre dernière pièce, Kilele, en tant que personne métisse comme je le suis, c'est très important de se rendre sur le lieu-dit, d'aller voir ce qui se passe. D'essayer de comprendre la douleur, la situation que vivent nos frères. Et d'accompagner les victimes. Mais c'est une position très personnelle. Il y a beaucoup de mères ou de familles entières qui voudraient savoir où sont passés leurs morts. Pour leur donner une sépulture décente, chrétienne. Qu'ils puissent trouver le repos quelque part. Accompagner dans la peine, permettre de l'atténuer. La pièce était faite à partir de témoignages réels. Le paramilitaire a vraiment dit :"Je lui ai retiré les testicules, je l'ai tué, etc ..." C'est un épisode très douloureux. La digestion qui se fait aujourd'hui portera ses fruits dans quelques années. On a beaucoup investigué dans ce sens, vu beaucoup de monde. Cela a généré un véritable mouvement, c'est ça qui est important : des écrivains, des journalistes s'y sont intéressé ...

Aucun commentaire: