mardi 3 mars 2009

Patricia Ariza, fondatrice du Teatro de La Candelaria, Bogotá

Pour commencer, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis Patricia Ariza, je suis dramaturge, metteur-en-scène et actrice, fondatrice du Teatro La Candelaria et de la Corporation Colombienne de Théâtre (Corporación Colombiana de Teatro, ndlr).

D'où vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
J'ai eu envie de faire du théâtre à cause de diverses circonstances : j'étudiais les Arts à l'université, et Santiago García est arrivé pour diriger le théâtre de l'Université Nationale et mettre-en-scène Galileo Galilei (de Bertolt Brecht, ndlr) et moi, j'étudiais et en même temps je militais dans un mouvement de gauche. Cette pièce que Santiago García a montée a été interdite et donc, c'est comme si les deux choses se sont liées : défendre cette pièce est devenu quelque chose de très important dans ma vie.
Santiago García a décidé de se retirer de l'Université Nationale et de fonder un théâtre indépendant. Et nous, qui étions proches, on est partis avec lui et on a fondé le Teatro La Candelaria à cette époque. Beaucoup de gens lui donnaient un an de vie, et cela fait maintenant 42 ans...

Pouvez-vous nous parler de la pièce que vous avez mise-en-scène récemment, Olimpia y los derechos de las mujeres en la Revolución Francesa (Olympe et les droits de la femme à la Révolution francaise, ndlr), pourquoi avoir choisi ce thème ?
Parce que j'ai découvert un peu tardivement - il y a 10 ans - Olympe. Je suis une grande lectrice, je connais l'histoire et j'avais lu sur la Révolution française, ca m'a donc paru incroyable de n'avoir jamais entendu parler de cette femme.
Je défends les Droits de l'Homme, on parle des Droits de l'homme, et jamais on a parlé d'Olympe donc quand je l'ai découverte, elle m'a fascinée.
C'est comme une dette historique, j'admire cette femme.

Comment avez-vous travaillé durant les répétitions ?
Comme une création collective.
En fait, on avait vu une pièce d'une troupe espagnole, mais la nôtre est très différente parce qu'on y a mis cette facette d'Olympe : la metteur-en-scène, c'était une artiste de théâtre. Elle n'était pas seulement politique mais artiste, je m'identifie beaucoup à elle. Mais qu'on ne me coupe pas la tête...

Vous organisez un festival de femmes en scène prochainement ?
Mujeres en escena (Femmes en scène, ndlr), ça commence le 1er mars, c'est un très grand festival.

Le féminisme est important pour vous ?
Oui, c'est très important pour moi. Parce que ca fait tellement d'années que je fais du théâtre et que je me rends compte que le théâtre n'échappe pas au patriarcat, il n'y a pas d'échappatoire à ce système de domination si vieux et si brutal. Et ça se voit aussi dans le théâtre, dans la culture, partout. Il est donc nécessaire d'organiser des évènements, de promouvoir des scènes spécifiques pour les femmes, c'est très important.

En tant que femme, il vous paraît difficile de faire du théâtre ?
En apparence, non. Mais si tu le fais de façon professionnelle et quotidienne, c'est difficile.

Plus que pour un homme ?
Oui. C'est difficile pour les deux, pour les femmes et pour les hommes, mais beaucoup plus pour les femmes.

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait une responsabilité ?
Oui, bien sûr. Tous ne l'assument pas de la même manière, certains pensent que l'unique responsabilité est envers le théâtre. Mais je ne crois pas, je pense que la responsabilité de l'artiste est avec tout, rien n'est étranger au théâtre, toute activité humaine peut se lire depuis la politique, aussi.

Pouvez-vous nous raconter l'histoire du Teatro La Candelaria ?
La Candelaria est la première salle indépendante qui a été fondée en Colombie. Il y en a eu d'autres, fondées avant, mais qui n'ont pas perduré, cela dit, elles ont été importantes aussi dans l'histoire du théâtre, depuis les années '50, disons. La Candelaria est la première dans le sens où elle a perduré, depuis si longtemps.
Au début, il naît comme un théâtre d'avant-garde, pendant quelques années on monte des pièces colombiennes, des classiques, mais très à l'avant-garde du théâtre. Et peu à peu, La Candelaria comprend que le plus important est de faire un théâtre qui nous est propre, de dramaturgie nationale. On a donc commencé à monter nos propres pièces, avec un risque énorme, parce qu'on n'avait pas de méthodologie très claire au début. On a donc commencé à travailler la création collective, dans les années '67-'68 plus ou moins. A partir de là, on a fait quelques créations collectives, et au début c'était très dur, Quand on présentait les pièces, on comprenait qu'on mettait beaucoup de temps à les monter, mais aussi qu'elles restaient dans le répertoire du théâtre colombien. Ces pièces ont donc eu un impact étonnant sur le public. Étonnant. Il y a des pièces qu'on a jouées 400 fois, Guadalupe, años cincuenta nous l'avons jouée 2'000 fois !
On a donc continué avec la création collective, mais on l'a beaucoup développée. Ce n'est plus la même chose que quand on a commencé. Elle avait alors plus un caractère social. Aujourd'hui aussi, mais en plus elle est en relation avec l'inconscient de la société, l'inconscient du groupe, le travail sur l'intuition, beaucoup d'autres choses.
Je dirais qu'on a développé la création collective comme pensée philosophique, à partir du théâtre.

Tous les membres participent à l'écriture ?
Non, on travaille la pièce tous ensemble et à la fin, on affine les textes. Parce que souvent, quand ils arrivent proche de la première, ils sont très bruts.
Il y en a certains d'entre nous qui ont un peu plus d'expérience dans l'écriture. On ré-élabore le discours verbal, avec l'aide de tous.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Je crois que le théâtre peut apporter aux gens une partie substantielle pour la résistance, qui permet de voir un autre monde possible, de regarder les souvenirs, aussi. Je crois que le théâtre parle aussi des rêves de la société, qu'il parle du passé, de la mémoire ignorée des gens.
Pour nous, la création collective c'est donner un ticket aux gens pour voyager dans le souterrain de la société. Il y a des choses de la société que la société ne reconnaît pas, et que seul l'art peut montrer. La politique - pas le politique, mais LA politique - est trop variable, trop volubile : ce qui est aujourd'hui ne sera plus demain. Celui qui se croit le meilleur président du monde, sera peut-être en prison demain - ce qui va sûrement arriver ici en Colombie. En ce sens, la politique est variable, le politique demeure très longtemps pour l'humanité.
Le théâtre aide donc les gens à voir le spectre de l'existence humaine.

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