vendredi 27 mars 2009

Miguel Angel Pasos, Cartagena

Tout d'abord, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis Miguel Angel Pasos, metteur-en-scène, acteur et directeur de la programmation scénique de l'École des Beaux-Arts de Cartagena, qui est actuellement appelée Institution Universitaire des Beaux-Arts. C'est la première université dans la région des Caraïbes qui soit officiellement acceptée comme un cursus universitaire artistique. Je viens de l'École Nationale d'Arts Dramatiques, une des premières en Colombie, qui malgré une longue trajectoire, a malheureusement fermé il y a 15 ans, pour des raisons politiques. Et en 1997 je suis parti faire un master de théâtre en France.

Comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
J'ai eu une autre option dans ma vie, c'était celle de rentrer dans la marine, être officier naval, et l'idée me plaisait beaucoup. C'était mon projet de vie. Mais parallèlement, je faisais du théâtre, au collège, et j'organisais des festivals de théâtre. Mais une fois a l'armée, j'ai pris peur :"Sérieusement, si je m'engage là-dedans, c'est quelque chose... bien sûr, je l'ai toujours voulu, mais a côté de ça j'ai toujours fait du théâtre." Est arrivé un moment ou je me suis dit : "Non. Je me consacre au théâtre." Ce qui a créé un conflit familial conséquent car mon père aussi avait fait l'armée. L'idée que je délaisse la marine pour le théâtre ne lui a pas vraiment plu...

Et aujourd'hui, ils le comprennent mieux ?
Oui, aujourd'hui tout se passe très bien. Mais lorsque j'ai fait mes études de théâtre, ça a été très dur. Car ici en Colombie, faire du théâtre, c'est très mal vu. "De quoi va-t-il vivre ?" se demandent les gens.

Et vous arrivez a en vivre ?
Je peux vivre du théâtre, par chance. Avec cette école, oui, et grâce a ma carrière. En 1989, je suis entré dans une école d'art dramatique puis j'ai été pris dans une compagnie professionnelle, et j'ai pu me payer mes études grâce à ça. Mon année en France, j'ai pu me l'offrir grâce à des petits rôles a la télévision, au cinéma, et j'ai toujours pu me débrouiller comme ça.

Vous avez joué dans des télénovelas ?
Oui, bien sûr. Ici c'est le marché télévisuel qui marche. Par chance, cela te permet de vivre de ton métier. Donc il faut le faire, la monde télévisuel est une étape qu'il faut connaître aussi. Ça a été une étape très intéressante pour moi aussi.

Pouvez-vous nous expliquer le cursus qui se fait dans votre école ?
Ok. Je suis arrivé dans cette école il y a 4 ans, a Cartagena. Je suis arrivé directement de France avec un projet humanitaire, ouvrir un école de théâtre pour les enfants. J'ai donc contacté une école et la directrice m'a parlé d'un poste de directorat a l'École d'Arts Scéniques. Je me suis renseigné, cela m'a parut être un beau projet. Surtout de retour en Colombie, l'idée de transmettre tout ce que j'avais appris et de le mettre en pratique me plaisait. Et me tester moi-même, voir jusqu'où j'avais appris. C'est un cursus assez long, cela dure 5 ans, et c'est divisé en 10 semestres. Cela débouche sur un diplôme de professorat en arts de la scène. La grande réussite, c'est que ce cursus est reconnu par le ministère de l'éducation, ce qui garantit sa qualité. Et de plus, cela enseigne aux jeunes, c'est comme une expérience de vie. On ne leur apprend pas à jouer, ce qu'on leur enseigne, c'est la partie "artisanale" de cet art ; comment s'arrêter, comment parler, la projection, le mouvement... mais le reste, la sensibilité de l'acteur, la qualité du jeu, ça ne vient pas de nous. C'est chacun. Pour les jeunes, c'est un grand espoir de voir les professeurs qui ont vécu et vivent encore de leur art. Je crois que c'est important, surtout dans cette région, car les possibilités sont peu nombreuses. Il n'y a pas vraiment de culture théâtrale, il y a beaucoup de précarité, et faire du théâtre de manière professionnelle, ici, c'est très difficile. Il y a d'autres portes de sortie pour vivre du métier : des animations dans des congrès, des festivals, des réunions, il se génère tout un mouvement qui permet à l'acteur de pouvoir vivre de son art.

Que voulez-vous défendre en faisant du théâtre ?
Le théâtre en soi ! (rires) En tous cas, c'est ce que je défendrais, moi. Les étudiants arrivent souvent avec une idée en tête : "Je vais jouer, je veux apprendre pour jouer a la télévision, au cinéma." Le cinéma est vu comme un moyen de devenir célèbre et de gagner de l'argent. C'est dans ce sens que je défends le théâtre pour le théâtre lui-même. Ça me parait bien d'être connu, de gagner de l'argent, de vivre bien de son métier. Mais n'oublions pas qu'il s'agit aussi d'un art, qu'il ne suffit pas d'apprendre un rôle et de rire ou pleurer, c'est avant tout un art.

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait une responsabilité ?
Bien sûr ! Dans cette ville, l'engagement chez les artistes est très fort.

En Colombie plus qu'ailleurs ?
En Colombie, c'est très bizarre. Je crois que dans les grandes villes, l'engagement est remplacé par de la complaisance pour le public. A Bogotá, la plupart des spectacles, c'est de la comédie, juste du travail de comédie, et bien sûr ils font salle comble, le public est présent, mais peu de ces pièces ont un engagement, au-delà du côté lucratif. Je crois qu'en province, les gens luttent pour leurs revendications. Et comme tout est centralisé en Colombie, si tu n'as pas l'accent de Bogotá, neutre comme ils disent, en prononçant chaque mot, tu es catalogué comme étant mauvais acteur. Car tu parles différemment. Si tu t'exprimes avec l'accent de la côte, tu auras le rôle d'un costénien, celui qui fait rire, la caricature ... donc très souvent, a la télé, on voit des costéniens qui jouent leur propre rôle. Et c'est ridicule. L'imaginaire du cliché. Je crois que dans les plus petits villes, les villages, les groupes, malgré un manque de moyens et le fait que les salles ne se remplissent pas, persistent et luttent pour y arriver. Ce qui les fait avancer. Car le théâtre ici n'est pas populaire. Il y a parfois cinq personnes dans le public. Ça m'est arrivé, lors d'une saison théâtrale, une sorte de festival interne, de se retrouver a trois dans les gradins. Lors d'une représentation. Mais l'acteur a voulu jouer, ça nous a paru très courageux. "Non, peu importe, c'est dans la programmation, le spectacle se fera." Malgré tous ces problèmes, le théâtre est constant. Indépendamment de la qualité ou de l'esthétique. Parce que ça aussi c'est quelque chose de très récurrent en Colombie. Si les différents groupes ne sont pas très unis, c'est précisément a cause de cette différence de goût. "Comme je ne partage pas ton choix esthétique, je ne te parle pas." Cela me paraît absurde. On a perdu de nombreuses occasions pour des raisons "esthétiques". Je fais un certain genre de théâtre et toi un autre, on n'a rien a se dire. Je le vois encore plus en tant que directeur d'école, la relation école/professionnels. On est toujours dans une étape de "conciliation", car la formation scolaire théâtrale est très récente en Colombie. L'ENAT avait 40 années d'existence lorsqu'ils l'ont fermée. Et c'était l'une des plus vieilles. Ils l'ont fermée en 1994. Les groupes professionnels existants, la majorité, ont été formés par des acteurs de l'Académie. Et lorsqu'un jeune acteur sort d'une école, avec son diplôme, il s'entend dire : " Mais vous vous croyez professionnel parce que vous avez un diplôme en poche et que vous êtes passé par une école ?" Car ils se croient parfois plus professionnels que moi parce que je n'ai pas de diplôme. Mais j'ai 30 a 40 ans d'expérience de travail. Cela dit, c'est en train de changer. On commence à s'unir, mais si ce processus prend du temps. Car certains jeunes diplômés se croient les rois du monde. Moi je suis passé par l'Académie, je sais ce que c'est. "Euh, non, toi tu n'es pas professionnel, les cinq années d'école et le diplôme, c'est un commencement, mais tu n'es pas acteur."

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Beaucoup de choses. Je suis convaincu qu'au même titre que la médecine soigne le corps, le théâtre soigne l'âme. Oui. Le théâtre, par le biais du rire ou du drame, peut fonctionner comme une thérapie. En tant qu'êtres humains sensible, tout cela agit sur nous comme un déclic, qui peut te libérer. T'amener a penser, en te faisant vivre une situation qui n'est pas la tienne. Le théâtre est un art libérateur.

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