mercredi 11 mars 2009

Alberto Llerena, dramaturge, Cartagena

Tout d'abord, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis Alberto Llerena, je suis né à Cartagena dans le quartier de San Diego, le centre historique de la ville. J'ai étudié la sociologie plusieurs années, à l'Université d'Antioquia, mais je me suis rapidement consacré au théâtre. J'ai étudié auprès d'un maître espagnol, dans la première école de théâtre ouverte ici à Cartagena en 1957. C'était pratiquement le seul professeur. Et c'est un petit groupe d'élèves qui a poursuivi cette activité théâtrale après son départ, car il a quitté Cartagena pour se rendre à New-York. A l'époque il était venu en Colombie pour fuir la guerre civile espagnole. C'était un homme passionné par les arts, et ça a été la première école de théâtre mise en place au sein de l'Institut Musical qui s'appelle aujourd'hui Bellas Artes. De mon côté, j'ai dirigé le groupe de l'Université d'Antioquia à partir de 1968, durant plusieurs années, puis celui de l'Université de Cartagena cinq autres années. On a eu plusieurs reconnaissances au niveau national, lors de festivals de théâtre universitaire, qui étaient très importants dans le pays. C'est du théâtre universitaire colombien qu'est arrivé tout le mouvement professionnel, plus tard. Au début, les groupes étaient subventionnés par l'Association Colombienne Universitaire, mais à partir des années '70, où a surgi toute la problématique sociale et politique, les groupes, en sortant de l'Université, étaient jugés subversifs, aussi bien les acteurs que les metteurs-en-scène d'ailleurs. Ça a été une époque de persécution assez noire, dans notre pays. Tout ce qui avait trait au théâtre était mal vu, jugé subversif, anti-institutionnel, etc ... ce qui a engendré une diaspora. Heureusement, un an plus tard, un mouvement théâtral a vu le jour, il persiste d'ailleurs encore aujourd'hui, un mouvement très fort qui a beaucoup aidé dans le sens où les groupes étaient dilettantes à ce moment-là, les gens ont commencé à étudier, il y a eu des écoles de théâtre, et voilà, des groupes colombiens de trajectoires différentes ont émergé, comme la Candelaria, ou Matacandelas a Medellín.

Et à vous, comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
Et bien ... c'est une vocation depuis que je suis gamin. Cela me plaisait de faire des représentations, dans le jardin de la maison, comme tous les enfants je crois. Ma mère était institutrice à l'école primaire, et il y avait toujours des évènements en fin d'année, récitation, théâtre, et cela me plaisait. Le goût de tout ça m'est resté. Et je n'ai jamais rien fait d'autre. Je ne sais pas comment j'ai survécu tout ce temps, car faire du théâtre ici c'est très difficile. Mais je crois que l'amour pour le théâtre et les arts te permet de continuer.

Que voulez-vous défendre en faisant du théâtre ?
Je m'intéresse à un théâtre disons ... non politique, mais qui montre la réalité, les conflits sociaux, par dessus tout dans ces pays que l'on dit du tiers-monde, où il y a de grandes différences économiques et sociales. Mes œuvres reflètent cela, et ont toujours été du côté des plus nécessiteux, des pauvres, dirons-nous, et de tout ce qui va contre l'injustice, ou à l'encontre de l'être humain. Cela m'a beaucoup poussé à écrire, et à poursuivre dans ce sens-là.

C'est toujours vous-même qui mettez-en-scène vos pièces ?
De ce groupe de théâtre avec lequel j'ai travaillé, il y avait une compagne, Rosario Varga, qui a dû partir pour les États-Unis durant la diaspora, et qui y a fondé une troupe de théâtre hispanique. Elle a monté des œuvres en espagnol, et de ce fait, choisissait des auteurs hispanophones. Nous sommes amis, et je lui ai toujours envoyé mes oeuvres. Elle a monté La visita et Casa de muertos. Chacune de ces œuvres ont été publiées par la mairie de Cartagena, en 1997, et par chance, ont été montées par des groupes universitaires de la côte, par des groupes de l'Université de Cartagena et par des groupes locaux. Et donc aussi par ce groupe à Chicago qui travaille professionnellement.

Vous avez eu la chance de voir toutes vos pièces mises-en-scène ?
Oui. Plusieurs à Medellín au sein de l'Université d'Antioquia, et d'autres par des groupes locaux de Colombie, à l'Université de Córdoba, entre autres. Et cela toujours pour mon plus grand plaisir. Je ne fais pas payer de droits d'auteur, c'est simplement la satisfaction de voir mes pièces sur scène.

Avez-vous déjà regretté d'avoir choisi cette voie, le théâtre ?
Non, jamais. Au contraire. Je suis toujours, d'une certaine manière, en train de faire du théâtre. Ici, ils me voient comme un maître, et je crois que c'est le cas car j'ai eu l'occasion de former beaucoup de comédiens, pas seulement à Cartagena mais dans tout le pays. Et c'est une tâche qui me remplit de joie et de satisfaction, de voir que l'on peut, d'une certaine manière, se "prolonger" dans l'autre. Ici, au sein de cette Asociación de teatrista de Cartagena (Association des artistes de théâtre de Cartagena, ndlr) j'ai toujours été vu comme une icône, comme une personne qui inspire le respect et à qui on demande des conseils. Et de ce fait, je donne toujours des ateliers. Tous les jeudi, j'organise une réunion sur le thème du théâtre, mais ça n'a rien d'une conférence où je serais l'unique locuteur, non, chacun y va de son opinion, apporte ce qu'il veut, ce qu'il sait... c'est un lieu de conversation, autour d'un petit vin ou d'un Rhum Tres Esquinas (marque de rhum colombien, ndlr)... donc c'est délicieux.

Et arrivez-vous à vivre de cela ?
J'ai toujours réussi à vivre du théâtre, oui. Et cela me rend heureux. Je ne peux pas dire que le théâtre m'ait laissé de côté à ce niveau-là, non. Et le plus important c'est de se nourrir spirituellement.

8. Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait une responsabilité, un devoir ?
Pas seulement dans le théâtre. L'artiste en général, oui. Par-dessus tout dans un milieu comme le nôtre, difficile, je pense que l'artiste a une responsabilité sociale très forte au sein de sa communauté, il doit laisser derrière lui un souvenir positif, la possibilité de construire un monde meilleur, une société plus juste, de créer un individu plus honnête, plus équilibré. Oui, je crois que le théâtre sert à quelque chose.

Que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Brecht disait que la fonction principale du théâtre était celle de divertir. Je suis d'accord avec ca. Mais ce divertissement doit laisser quelque chose au spectateur : un questionnement, un intérêt pour des choses qui jusqu'alors, ne l'avaient pas effleurées. Ou bien qu'il rencontre au théâtre un motif pour améliorer tout cela, avancer ... la conformisation de l'individu le tue. Le questionnement, bien au contraire, le maintient en vie. C'est cela qui est important dans le théâtre.

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