mercredi 11 mars 2009

Jaime Días, figure du théâtre carthaginois, Cartagena

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis Jaime Días, un homme de théâtre avec déjà quelques années d'expérience. J'ai consacré toute ma vie à ce métier, que j'apprécie énormément. Je suis d'ici, de la ville de Cartagena. Et bon, on peut dire que j'ai fait quelques choses, que j'ai apporté des petites choses à cet art si beau qu'est le théâtre.

Vous êtes donc dramaturge, comédien et metteur-en-scène ?
J'ai dû faire de tout dans le théâtre : j'ai mis-en-scène, j'ai joué, j'ai écrit des drames. Mais ces dernières années, je me suis consacré plus spécifiquement à l'investigation et à publier mes livres, produits de ces investigations. Elles sont dédiées au théâtre latino-américain, et plus précisément au théâtre des Caraïbes. Dans les prochains jours va sortir un livre que j'ai écrit et qui s'intitule Panorama de l'art scénique de l'Amérique centrale et des Caraïbes.

Que pouvez-vous nous dire du théâtre dans les Caraïbes ?
On rencontre des choses intéressantes. Il y a une partie des Caraïbes que nous sommes très peu à connaître : il y a les Caraïbes françaises, hollandaises, et anglaises - qui m'ont réservé beaucoup de surprises. Dans les Caraïbes anglaises, mais aussi françaises, Shakespeare est très populaire, par exemple, c'est un modèle, un paradigme pour beaucoup de dramaturges de ces îles. Certaines sont même encore territoire français, d'outre-mer comme on les appelle. J'y ai trouvé un théâtre très intéressant, par exemple Haïti, qui est le pays le plus pauvre du continent, est très riche en arts scéniques. Ils font un théâtre très original en partant de leur folklore, pour chercher à faire quelque chose qui leur est propre et qui nous différencie du théâtre européen, par exemple, à qui on a piqué beaucoup de techniques. Mais maintenant il est l'heure, le moment est arrivé de faire un théâtre identifiable, propre. C'est ce qu'ils font, comme à Trinidad-et-Tobago, la tradition de leurs carnavals est très riche, le folklore qui se concentre dans le théâtre caribéen et aussi certaines manifestations religieuses africaines, parce que la base de la société est noire, noire-africaine.
L'indigène dans les Caraïbes s'est éteint très tôt, de sorte qu'il y a eu des métissages seulement entre Espagnols et Africains dans les îles. Ces îles dont je te parle, soit anglaises, soit hollandaises, etc... sont aussi métissées avec des Indiens, des Chinois - dans ces Caraïbes se sont concentrées toutes les races du monde.
Dans les carnavals de beaucoup d'îles anglaises, ils récitent des bouts de pièces de Shakespeare, il est très connu, pareil les personnages de la Commedia dell'arte. Cette richesse m'a surpris : je croyais connaître les théâtre des Caraïbes.
Dans cette ville où nous sommes, nous avons une tradition - vous savez que Cartagena a été très tôt le port le plus important pour l'Espagne : c'était le trampoline vers l'Amérique du Sud : le Pérou, le Chili, ... elle s'est donc convertie en cité de premier ordre très tôt, au début des années 1500. Un théâtre précoce est alors apparu, que les Espagnols ont apporté, il était baroque. Il incluait aussi la culture africaine. C'est une ville à prédominance noire, et encore plus à l'époque coloniale. Le commerce humain - de noirs apportés d'Afrique - était très développé à l'époque. On trouve par exemple beaucoup de congrégations de noirs de différentes nations qui ont l'opportunité de préserver les traditions africaines. Beaucoup de ces traditions n'ont pas disparues grâce à l'art et au théâtre, entre autres, qui les ont conservées.
Ici on a eu le premier théâtre de Colombie qui a ouvert ses portes en 1775, dans la rue du Colisée, à l'intérieur des murailles.

Le théâtre dans les Caraïbes est donc le produit d'un métissage, de beaucoup d'influences ?
Beaucoup, comme je te disais, de plusieurs endroits du monde. Mais Cartagena, à la différence d'autres endroits comme Cuba - bien que Cuba et Cartagena présentent de grandes similitudes - mais ici se sont conservées des influences de la culture indigène, ce qui n'est pas le cas de Cuba. La culture de l'indien caribéen se manifeste plus qu'à Cuba.
Il y a eu plus d'influences du théâtre espagnol, on le voit dans ce théâtre dont je te parlais, qui s'appelait le Colisée : ce théâtre a fermé ses portes en 1900, lorsqu'il a été converti en salle de cinéma. C'est ainsi qu'a commencé le déclin du théâtre : le public a tourné sa sympathie vers le cinéma. Ça a été compensé par l'ouverture en 1911 du Teatro Heredia, construit sur un couvent du XVIe siècle.
Il a toujours été très important dans cette province d'avoir un édifice théâtral autour duquel converge l'activité. Cela ne signifie pas qu'il n'y ait pas d'autres lieux. Par exemple, dans les années '60, qui ont été des années de grande activité théâtrale dans cette ville, à côté du Teatro Heredia on pouvait trouver sept espaces ou plus, où les compagnies indépendantes faisaient leurs saisons.

Comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
Ouh, c'est de l'histoire ancienne ! Quand j'étudiais au lycée, j'ai rencontré le maestro Alberto Llerena, qui a été mon compagnon de théâtre et d'études à cette époque. Il se profilait comme un grand dramaturge, ce qu'il est. Et une fois, je suis allé voir une de ses pièces, qui s'intitule Con la espalda al sol (Dos au soleil, ndlr), mise-en-scène par un autre vétéran de la scène carthaginoise. Et là, je suis tombé amoureux du théâtre. Après j'ai étudié le droit et j'ai immédiatement rejoint un groupe, qui était très bon à cette époque.
Je me rappelle toujours d'une anecdote de la première fois que j'ai eu l'opportunité de monter sur scène, dans une pièce qui s'intitulait La Roulette Russe, d'un dramaturge carthaginois. On m'avait attribué le rôle le plus petit : j'entrais, je disais deux petites choses et je sortais. Mais l'acteur principal posait souvent problème, et un jour j'ai dit au metteur-en-scène, tout peureux : "Maestro, essayez-moi !". J'avais appris tout le rôle principal, je répétais chez moi. Il m'a donné l'opportunité et j'ai eu le premier rôle. C'est là qu'a commencé ma vie théâtrale ! (rires)

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait une responsabilité ?
Ici oui. Comme dans quasi toute l'Amérique latine. Surtout dans les années '60, que j'ai vécues quand j'étais jeune. C'était des années très... le mouvement étudiant au niveau latino-américain était précurseur de mouvements sociaux et de ces utopies. On prétendait voir le socialisme ou le communisme là, au coin de la rue. L'année '68 nous a influencés, la Révolution de Mai en France, bien sûr, qui a eu des répercussions ici. A cette époque par exemple, il n'y avait pas d'autre théâtre que le théâtre universitaire en Colombie. Les professionnels du théâtre d'aujourd'hui : les maestros Santiago García, Enrique Buenaventura, etc... ils dirigeaient tous un théâtre universitaire, c'était un mouvement socialement très engagé, trop, aussi du point de vue esthétique. Je me rends compte aujourd'hui que ce sont des grands apports. C'était le seul théâtre jusqu'à ce que, dans les années '70, des groupes de théâtre indépendants se consolident en Colombie, notamment avec la fondation de la Corporation Colombienne de Théâtre, qui va fêter ses 40 ans cette année. Mais c'était un mouvement très engagé avec la cause ouvrière, le prolétariat, et ces utopies propres à l'époque.

Et aujourd'hui, le théâtre est-il toujours aussi engagé ?
Non, en ce moment je sens que le panorama mondial a changé, avec la chute du communisme. Les choses auxquelles on croyait ont beaucoup changé.
On peut dire que la morale dominante chez la jeunesse est autre, c'est une morale très pragmatique, trop pragmatique. Je suis déjà vieux et je ne comprends pas la jeunesse d'aujourd'hui.
Beaucoup du théâtre qui se fait aujourd'hui, même s'il est théoriquement intéressant - le théâtre postmoderne - je crois que ce sont des choses qui vont être très éphémères. Les fondements du théâtre vont perdurer, ils sont basiques, c'est l'essence du théâtre à travers l'acteur.
Je ne nie pas qu'il faille rafraîchir les mouvements théâtraux, avec de nouveaux apports, mais aujourd'hui il y a beaucoup de modes, beaucoup de choses qui, je le sais, vont être éphémères - qui peut-être arriveront à certaines petites choses, mais tout ne va pas perdurer.
Et je crois qu'aujourd'hui dans le théâtre colombien, nous en sommes à un moment de récupération et d'apparition de nouveaux groupes, de nouveaux acteurs, de nouveaux dramaturges colombiens. Je crois que dans toute l'Amérique latine nous en sommes au même point, je le sens en Colombie.
Pour moi, le théâtre colombien, outre cette utopie idéo-politique qui s'est effondrée, part aussi du manque de formation académique. La preuve c'est qu'on voit beaucoup de groupes... (changement de K7) - tu ne peux plus seulement prendre en compte les groupes historiques. : La Candelaria, le Teatro Libre, la Mama, etc... il y a beaucoup de nouveaux groupes avec leur propre siège - même s'il est tout petit, 60-100 spectateurs - c'est un mouvement avec des nouvelles propositions, très fraîches. Et on le doit à cette formation de type académique apparue dans les années '90. Ça a changé la direction du théâtre bogotain, pour son bien. Cela se manifeste par exemple lors du festival de théâtre alternatif qu'organise la Corporation Colombienne de Théâtre. Parce que c'est un festival authentiquement colombien, où se donnent rendez-vous les nouveaux, les "rafraîchissants" du théâtre colombien. Et c'est un festival à caractère national, des troupes de toutes les régions du pays y participent. Je me suis rendu compte à cette occasion qu'il y avait eu beaucoup de progrès dans ce pays : ces festivals ont permis d'intéresser beaucoup de monde au théâtre, ça a "massifié" le théâtre. Les prix favorisent cela, aussi, et permettent aux classes à moyennes à basses d'assister aux spectacles. C'est très important, je crois.
Il y a du public, on va bien, on va bien... je suis très optimiste.

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