mercredi 2 juillet 2008

René Hohenstein, metteur-en-scène et comédien, Santa Cruz

Arrivées hier a Santa Cruz de la Sierra, à l'ouest de la Bolivie ("el Oriente"), après quasiment 24h de voyage suite à des bloqueos (blocages de route), nous avions rendez-vous aujourd'hui avec René Hohenstein au Musée de l'Histoire. Pourquoi le Musée de l'Histoire, nous sommes-nous demandées ?? Parce qu'une petite salle de théâtre se cache dans un coin de la cour intérieure. René Hohenstein nous ouvre ses portes. Premier choc : il nous apprend qu'Ingrid Betancourt a été libérée. Les larmes aux yeux, nous prenons quelques minutes pour nous remettre de nos émotions. L'interview peut commencer.

Parlez-nous du théâtre à Santa Cruz.
Au XIXe siècle, il y avait très peu d'activité. Mais il y a eu une évolution a partir du XXe siècle, avec des spectacles universitaires puis l'émergence du théâtre expérimental, mais il n'y avait rien de stable. A la fin des années 1970 est née la Casa de la Cultura (Maison de la Culture, ndlr), qui avait une véritable politique culturelle : faire connaître tous types de théâtres, de tous endroits (Uruguay, Argentine, ...). En 1986 j'ai fondé la compagnie CasaTeatro, au début nous étions dépendants de la mairie. Puis cette salle a été construite (celle où il nous reçoit, ndlr) ce qui nous a permis de trouver une certaine indépendance. Il y a également beaucoup de groupes parallèles qui se sont formés, mais d'une durée de vie de 3 ou 4 ans.
1997 est une date importante puisque c'est celle du premier festival de théâtre de Santa Cruz, ça a commencé avec une dizaine de groupes. A peu près a la même période s'est formé l'APAC (Asociacion Pro Arte y Cultura de Bolivia).

Existe-t-il différents types de théâtre comme à La Paz ?
En 1970 il y a eu une grande effervescence pour le théâtre populaire, avec beaucoup de pièces locales (il y en avait 3 ou 4 par an), c'était plutôt commercial, cela cherchait a atteindre un public, le faire rire ou le faire pleurer. Les élèves issus de l'école de Santa Cruz ont essayé de montrer un autre type de théâtre. Ici à Santa Cruz il n'y avait pratiquement pas de dramaturgie, c'est pour cela que je me suis mis a écrire, il y a eu aussi Gonzalo de Córdoba (un Argentin), et Oscar Barbery qui maniait très bien la dramaturgie, il a écrit des pièces en rapport avec les problèmes sociaux actuels tels que la drogue.

Racontez-nous votre expérience.
Je suis arrivé par accident dans le milieu théâtral. Je viens de Cochabamba, je voulais faire du cinéma mais il n'y en avait pas en Bolivie. J'ai voulu étudier à l'étranger. On m'a appelé par hasard pour remplacer quelqu'un dans une pièce et c'est comme ça que je suis monté sur les planches. Mais ma première véritable expérience a été dans La Leçon de Ionesco. J'ai commencé à faire de la mise-en-scène à Cochabamba, quelques ateliers, puis je suis venu sur Santa Cruz. En tant qu'acteur j'ai 30 pièces à mon actif. Aujourd'hui je suis d'avantage metteur-en-scène. CasaTeatro a déjà 20 ans et nous avons proposé un théâtre très varié. Nos pièces pouvaient rester à l'affiche entre 3 et 6 mois, ce qui est énorme pour la Bolivie.

Quelles sont vos influences théâtrales ?
L'auteur qui m'a le plus marqué est Bertolt Brecht. Sans doute parce que mon père est allemand. J'en reviens toujours à la dramaturgie de Brecht.

A quel genre théâtral pensez-vous appartenir ?
C'est difficile de se classer, je ne peux pas vraiment répondre a cette question.

Selon vous, quel est le devoir de l'acteur ?
Il est évident que le théâtre doit dire quelque chose. Mais son objectif premier doit être de divertir le public.

Est-ce que le théâtre peut être un moyen d'éducation et d'insertion sociale ?
Oui. On peut l'utiliser pour enseigner. Si tous les profs étaient de bons acteurs, tout irait beaucoup mieux ! (rires). Il faut sans cesse assumer un rôle dans la vie de tous les jours pour pouvoir dire quelque chose de particulier. On joue en permanence un rôle, vous quand vous m'interviewez, moi quand je vous réponds par exemple. Le théâtre peut vraiment rapprocher les gens, cela peut être une aide précieuse mais également une arme dangereuse.

Que pensez-vous de l'école de théâtre de Santa Cruz ? Croyez-vous que cela soit un moyen de professionnaliser le métier d'acteur ?
Je suis très craintif à ce sujet. Aujourd'hui moi-même je ne vis pas du théâtre, alors que cela fait 32 ans que j'en fais. Je m'inquiète de la professionnalisation de cet art, je ne sais pas si cela arrivera un jour. Beaucoup de comédiens vivent de la télévision. Les élèves de l'école pour la plupart évoluent toujours au sein de l'école, ils deviennent enseignants ou mettent-en-scène des ateliers. Je suis assez pessimiste par rapport à tout cela.

Pensez-vous que le théâtre change avec les évènements sociopolitiques ?
Cela devrait. Le théâtre est un miroir de la réalité. Dans les années '40, le théâtre populaire a été le premier mouvement qui tentait de mettre-en-scène les problèmes du quotidien. Cela a permis à beaucoup de gens d'accéder au théâtre et d'y revenir. Aujourd'hui le théâtre populaire est devenu très commercial et a perdu de sa profondeur. L'important est avant tout de divertir le public.

Vous considérez-vous comme un acteur engagé ?
Je suis engagé dans l'importance de faire du théâtre, dans le théâtre comme une forme d'expression humaine, artistique qui permet a l'être humain de se sensibiliser aux choses. Mais par contre je n'ai pas d'engagement au niveau politique à proprement parler.

René Hohenstein nous laisse partir après s'être prêté au jeu de la caméra, patient (problème de piles et changement de cassette). Il nous répète qu'on peut l'appeler sur son portable si on a le moindre problème. Son expérience théâtrale est tellement étendue que l'on se sent toutes petites, ignorantes, on en oublie même de prendre une photo. On aurait aimé le serrer dans nos bras. Mais on est trop timides.

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