mardi 24 juin 2008

Sergio Caballero, directeur du Théâtre Municipal de La Paz

Après un petit café avalé en hâte au coin de la rue, nous rejoignons Sergio Caballero, au Teatro Municipal (Théâtre Municipal, ndlr), caméra au poing. C'est un homme d'une quarantaine d'année, à l'allure plutôt jeune : on se souviendra longtemps de son superbe bonnet orange pétard, comment deviner qu'il s'agissait du directeur ?!

On choisit une des salles de représentation pour l'interviewer. Un gros lustre baroque est suspendu tout en haut au-dessus de nos têtes, et de grandes fenêtres drapées plongent la salle dans la pénombre. Quelques réglages lumières. Micro. Sergio Caballero s'installe sur une des chaises du public. Il a l'air pressé, on va essayer de faire vite.

Racontez-nous votre parcours. Quand et comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
J'ai commencé le théâtre en 1992 comme acteur puis comme metteur en scène au Pequeño Teatro. Je suis directeur du théâtre municipal depuis 2005. Avant le Pequeño Teatro, j'avais fondé mon propre groupe et nous avions monté une pièce de Sarah Kane qui a eu un franc succès auprès du public. Cette expérience m'a marquée.

Quelle est l'histoire du Teatro Municipal ?
Il a été inauguré en 1845 peu après la bataille d'Ingavi. C'est le premier théâtre de Bolivie, bien qu'il y avait déjà une tradition théâtrale très forte dans la rue.

En tant que directeur de théâtre, que pensez-vous du théâtre pacénien ? Est-ce un art populaire ?
Je ne veux pas classifier le théâtre. Chaque troupe a sa propre forme théâtrale. Il y a une forte tradition théâtrale à La Paz, les gens vont au théâtre. Le théâtre contemporain a son propre public, il est plus minoritaire que le théâtre populaire qui touche un public plus large. Le problème vient du fait qu'il n'y a pas de culture théâtrale, le public n'a aucun sens critique, il accepte la pièce telle qu'on la lui propose, sans chercher à aller plus loin.
De même, du côté de l'acteur, il n'y a pas de formation actorale à proprement parler à La Paz et de ce fait, l'acteur ne sait pas comment atteindre le public. Ce "nouveau théâtre élitiste" n'est pas en accord avec le spectateur, ce dernier ne peut pas en comprendre les codes. Il y a une distanciation certaine qui n'est pas bénéfique. A contrario, le Teatro popular (Théâtre populaire, ndlr) fonctionne depuis des années.
Cela dit le théâtre bolivien est dans une phase de transition. Des talents émergent, c'est la nouvelle vague d'artistes et c'est vraiment une bonne nouvelle. Cela insuffle de l'espoir dans le monde du théâtre bolivien. D'ailleurs le Teatro popular a très envie de travailler avec cette nouvelle génération. Mais il faut pour cela reconquérir le public.

Comment choisissez-vous les pièces qui seront à l'affiche ? Quels sont les critères d'élection ?
Il y a une commission composée de représentants civils des artistes de chaque discipline (théâtre, danse et musique) qui évaluent tous les dossiers et les programment dans les différents lieux de La Paz. Ils évaluent leur magnitude pour choisir la salle la plus adaptée. Par exemple, certaines pièces ne nécessitent pas tout l'équipement et l'infrastructure du théâtre municipal.
le Teatro de Camara (juste à côté du Teatro Municipal) est un endroit plus flexible qui permet de nouvelles propositions plus expérimentales.

Quel(s) type(s) de pièces attire(nt) le plus de gens ?
Celles qui appartiennent à un registre social sont plus attrayantes car elles parlent le même langage que les gens. Je trouve qu'on a une responsabilité en tant qu'artiste : il nous faut convaincre le public d'assister aux pièces. C'est à nous de tout faire : promouvoir, jouer, mettre en scène... Le public est nécessaire pour faire tourner tout cela, pour que le théâtre survive.

Et à vous, qu'est-ce qui vous plaît le plus ?
J'aime beaucoup le théâtre populaire, j'y vois un potentiel énorme, une véritable école : les pièces fonctionnent depuis toujours. Certes il faudrait un travail sur l'acteur et l'esthétique mais cela fonctionne quand même. Je crois à ce théâtre qui atteint le public. On peut passer un bon moment, le théâtre est fait pour ça selon moi, il permet de sortir de son quotidien.

Pourquoi les pièces ne peuvent-elles pas rester plus de trois ou quatre jours à l'affiche ?
Il faut équilibrer entre toutes les disciplines qu'accueille le théâtre, c'est pour cela qu'on ne peut pas se permettre d'avoir de saisons. Cela défavoriserait les autres arts.

Pensez-vous que le théâtre bolivien soit engagé au niveau politico-social ?
Je crois que oui, pas forcément dans un contexte politico-social mais plutôt culturel, à travers la parole et l'esthétique. Il faut un discours actuel qui puisse toucher le public. On peut aussi bien prendre des œuvres classiques telles que Shakespeare par exemple, et qu'il y ait une répercussion dans le contexte actuel. Pas besoin d'avoir une cholita et un lama pour que cela soit du théâtre bolivien !

Quel type de relation avez-vous avec les artistes ?
Le premier contact est au niveau de la gestion matérielle, il s'agit d'équiper le théâtre pour la pièce, d'offrir au public le meilleur confort. Cela dit la relation avec les artistes est bonne, même si c'est difficile puisqu'elle est faussée par le fait que chacun cherche à promouvoir son œuvre. Mais le Théâtre Municipal cherche actuellement à réduire la somme que doivent verser les artistes pour jouer.

Est-ce que vous travaillez en collaboration avec d'autres villes boliviennes et d'autres pays ?
Tout à fait, je veux élargir notre cercle à un niveau international, notamment en créant une alliance entre les théâtres boliviens.

Pour finir, pourriez-vous nous raconter une anecdote ?
Je trouve que chaque lieu de création a une atmosphère particulière, un esprit. Les artistes sont des gens très superstitieux. Au Teatro Municipal, il y a l'esprit d'un ancien directeur qui hante le lieu : tío Ubico. J'ai déjà senti sa présence, par exemple les touches du piano qui fonctionnent alors qu'il n'y a personne dans le théâtre... Il y a une pièce qui reste toujours fermée. Une fois, à l'occasion d'un spectacle de danse nous avons dû ouvrir ce lieu à deux ballerines argentines : elles sont restées enfermées alors que nous n'avions jamais eu aucun problème avec cette porte. Sûrement que le tío voulait passer un peu de temps avec elles !

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