jeudi 19 juin 2008

María Teresa del Perro, comédienne, La Paz

Bistrot de l'Alliance française. A quatre blocs de chez Matias (notre hôte bolivien). Il est 16h15. Une jeune femme d'environ 35-40 ans fait irruption dans le café.
Son visage amical dégage à la fois douceur et générosité, un peu de timidité aussi. On ne sait pas trop comment commencer l'interview avec notre espagnol balbutiant. Mais il faut se lancer et son regard est encourageant.

Quel a été votre parcours ?
Je suis italienne d'origine et c'est dans mon pays que j'ai débuté le théâtre. Puis j'ai rencontré César Brie et je suis venue en Bolivie pour intégrer le Teatro de los Andes. C'était leurs débuts. J'y ai vécu en communauté pendant quatorze ans. J'ai eu besoin de m'en détacher et c'est à ce moment-là qu'un metteur en scène mexicain m'a remarquée et que j'ai fait mes valises. Je suis restée un an et demi au Mexique, puis je suis revenue à mes origines, au Teatro de los Andes pour un an et demi. Suite à quoi je suis partie pour m'installer à La Paz. Depuis je me consacre d'avantage à la musique, j'y trouve une réelle satisfaction et je n'éprouve pas le besoin de revenir au théâtre pour l'instant. Je fais partie d'un groupe de rock extra et d'une chorale a cappella.

Vous considérez-vous comme une artiste engagée ?
C'est difficile de faire de l'art dans ce pays sans avoir de position politique. Cela dit je ne pense pas qu'il faille l'afficher de manière trop catégorique. Le Teatro de los Andes, par exemple, a été beaucoup critiqué pour ça : ils brandissent leurs idéaux comme une banderole. Je trouve ça un peu facile. A contrario, Eduardo Calla est très engagé mais de manière plus fine, moins tape-à-l'œil. Ses pièces t'interpellent par d'autres moyens, tout aussi efficaces.

Quels sont les auteurs avec lesquels vous aimez travailler ?
Je n'ai pas vraiment d'auteur de prédilection, on n’a pas l'habitude de mettre-en-scène une œuvre intégrale. Généralement, au Teatro de los Andes par exemple, on partait d'un texte, on le réécrivait, on le malmenait pour essayer de le transcender. Il ne s'agissait pas d'être fidèle au texte. Par exemple, on est partis des Trois sœurs de Tchekhov et on en a fait autre chose.

Est-ce que vous ressentez les clivages théâtraux en Bolivie ?
Un temps.
Oui, forcément, c'est un tout petit monde, il y a évidemment des désaccords. Je les trouve plutôt sains puisqu'ils favorisent la créativité.

Que pensez-vous du théâtre populaire ?
Et bien je ne peux pas dire que j'aime vraiment ce qu'ils font, il n'y a pas réellement de point de vue artistique, mais lorsque l'acteur est bon, on peut vraiment passer un bon moment, ça peut être très divertissant. D'un autre côté, si le comédien est mauvais on s'ennuie. Maintenant ça serait intéressant de retourner les voir, comme leur public a évolué et changé, il faudrait voir si leur théâtre s'en ressent. Mais j'avoue avoir vu très peu de leurs pièces.

Peut-on vivre du métier de comédien ?
Non. Les gens qui font du théâtre continuent à le faire par amour, pas pour l'argent ni pour le succès, c'est évidemment trop difficile. Pour survivre, le Teatro de los Andes (basé à Sucre) était obligé de faire des tournées, je me souviens qu'au début on n'avait rien à manger, heureusement les gens dans la rue étaient généreux et même, à la sortie des marchés on arrivait à récupérer de quoi manger. Une fois lorsqu'on faisait du théâtre de rue, une cholait (Bolivienne indigène en habits traditionnels, ndlr) m'a reconnue le lendemain d'un spectacle: "Je vous reconnais, c'est vous qui faisiez des choses bizarres hier soir. Pourquoi vous n'avez pas fait tourner le sombrero ?" Moi : "..." et elle de rétorquer : "Mais vous auriez dû. Vous vous êtes fatigués, vous avez transpirés, vous méritez d'être payés pour ça." Je n'ai pas su quoi répondre, une dame du peuple qui me disait ça, ça avait de quoi faire réfléchir, elle avait raison. Il s'agit d'un troc, d'un échange entre les artistes et le public.
Ce qui est étrange c'est qu'au Mexique, à la différence de la Bolivie et de l'Argentine, il y a beaucoup de subventions pour le théâtre, mais la qualité des spectacles est très médiocre. Pour moi, les subventions sont à double tranchant : elles favorisent le développement artistique, mais étouffent la créativité. En Argentine, le niveau est exceptionnel, je n'ai jamais vu d'aussi bons acteurs, mais ils ont tous un petit boulot à côté pour vivre.

Que pensez-vous de l'école de théâtre qui s'est ouverte à Santa Cruz ?
Vous voulez la vérité ? Je ne pense pas que cela soit une bonne chose. Je suis allée y donner des cours et j'ai trouvé les élèves un peu blasés, pas volontaires, avachis sur leur chaise... Il me semble que quand on décide de faire une école de théâtre, c'est qu'on en a vraiment envie, qu'on a ça en soi. Il est évident qu'il faudrait mettre en place un système sélectif, tout le monde ne peut pas être comédien. Tout le monde peut écrire, mais tout le monde n'est pas écrivain.
D'un autre côté, ce genre d'école permet de considérer le métier de comédien comme une véritable profession.
Ce qui est incroyable, c'est que j'ai vu des jeunes sans aucune formation théâtrale monter sur les planches avec une conscience scénique aiguisée et un réel propos à défendre. C'est quelque chose qu'on a en soi.


Maria Teresa s'est souciée de répondre à nos questions le plus clairement et honnêtement possible, avec toujours ce regard bienveillant sur le monde théâtrale bolivien. Nous n'avons senti aucun regret et aucune rancœur. Ça a été son parcours à elle.

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