dimanche 19 octobre 2008

Alfredo Iriarte, groupe Catalinas Sur, Buenos Aires

Tout d'abord, pouvez-vous vous présenter et nous raconter comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
Et bien, je viens du monde "plastique". Mon père est charpentier, j'ai commencé avec lui. Et ensuite avec un maître espagnol en Uruguay (là d'où je viens), où j'ai vraiment appris à travailler le bois. J'ai fait beaucoup de choses pour l'Église notamment. A 20 ans, je suis venu vivre à Buenos Aires. Parallèlement j'avais commencé à étudier le pantomime avec un prof qui venait d'Uruguay, et c'est elle qui m'a poussé à continuer dans cette voie, parce que je m'amusais et que ça me venait facilement. On m'a envoyé dans une école à Paris, j'ai suivi des cours, et ici aussi il y avait une école de mime et de théâtre à San Telmo (certains profs sont encore en vie d'ailleurs). En même temps, j'ai rencontré Adhemar Bianchi, qui est le directeur de Catalinas Sur, et qui à ce moment là avait un atelier de métallurgie mais aussi des instruments de menuiserie. C'est dans ce groupe que j'ai commencé à faire du théâtre. A l'époque, il s'appelait Al aire libre. Nous étions moins nombreux, et nous n'avions aucun local pour travailler. On se réunissait toujours sur la Place. C'est là que j'a appris la plupart des techniques théâtrales, en plus d'y suivre les cours. Et on donnait toujours nos spectacles à ciel ouvert, sur la place. Ce n'était pas du théâtre de rue, il s'agissait systématiquement de places et d'espaces ouverts et publics.
En fait tout est lié. J'ai fait d'autres choses plus professionnelles, j'ai beaucoup travaillé avec une compagnie qui faisait des masques, en bois. Mon matériel c'est le bois.
Ici, on a essayé de former des acteurs "poètes", c'est à dire, dans le sens étymologique du terme, celui qui fait lui-même ses accessoires. En plus, notre théâtre a son usine à portée de main, à l'intérieur, et ça aussi c'est très important pour nous. C'est un théâtre où tout le monde peut participer, où tout le monde peut créer, dans le matière qu'il préfère. Cela va demander plus ou moins de temps pour apprendre, mais on arrive à monter des spectacles assez rapidement. Et ces spectacles, ce sont en réalité des "voisins" qui veulent communiquer quelque chose à d'autres voisins. La technique est au service de la communication, le personnage principal, c'est toujours le Chœur, et le thème est toujours esthétique, et amène à réfléchir. On parle de la mémoire collective et de faits historiques tels qu'on se les rappelle. El fulgor argentino a été monté à partir des souvenirs que l'on a. Cela dit certains des évènements importants ne sont pas dans la mémoire populaire, la pièce n'a rien d'académique. On a une vision et une opinion.

Cela fait combien de temps que vous jouez El fulgor argentino ?

Cela fait presque 11 ans. Quand on a loué le théâtre en fait. D'abord on a loué cet espace et en 2001, en pleine crise, on a terminé de le payer. On est donc propriétaires du théâtre. Mais l'atelier que l'on a à côté, lui, on le loue. Pour l'instant on a dans l'idée de l'acheter, mais on ne veut pas nous le vendre... l'autre possibilité, c'est de construire un étage au dessus du théâtre, mais avec les problèmes économiques mondiaux, on ne sait pas ce qui va se passer, si on va pouvoir obtenir des subventions. Donc il faudra attendre la fin de cette saison pour commencer à construire.

Parlez-nous du Teatro Comunitario...
On n'est pas le seul groupe à faire ça. Il y en a 40 à Buenos Aires. On en trouve aussi en province, Córdoba par exemple, d'ailleurs la plupart on participé à la VIIème rencontre de théâtre communautaire. La moitié des gens qui étaient là faisaient partie du Teatro Comunitario, et l'autre moitié était le public. Il y avait environ 3000 personnes, et du groupe communitaire seulement un peu plus de 1000 personnes. Beaucoup de monde, oui. Evidemment, tout cela nous donne une puissance, un pouvoir, et nous rend "visibles" auprès de la culture dominante. Notre groupe a des aides de l'État, et ce que l'on veut, c'est que les autres groupes en reçoivent aussi. On est plus forts tous ensemble. Dans notre groupe, chaque artiste a son domaine, sculpture, musique, peinture ... chacun partage son savoir avec son prochain, et apporte sa pierre à l'edifice. Et tout cela se voit au moment du spectacle. Le public sent qu'il pourrait aussi faire partie du groupe, être sur scène.

Vous pensez que c'est cela qui a amené le succès de El fulgor argentino ?
C'est un mélange de choses. Mais oui. Une des causes du succès est la forme, l'agencement de ce théâtre : c'est comme si on était sur une place publique, la scène au milieu, des gradins tout autour. Les spectateurs participent, comme le Chœur. On ne cherchait pas le succès avec ce théâtre. On cherchait la communication, pour lutter contre l'individualisme féroce, qui est comme une industrie. Les gens restent terrés chez eux sans rien créer, et nous, on essaie de faire le contraire : se réunir. Et c'est une des raisons de cette réussite. Attention, on ne fait pas non plus un théâtre "pauvre" pour les pauvres. On fait du théâtre pauvre, mais chouette, le meilleur possible, pour partager avec tout le monde.

Comment travaillez-vous au sein de ce théâtre ?
Il y a une organisation administrative. C'est une mutuelle. C'est la partie "légale", dirons-nous, qui nous permet de recevoir des subventions. Il y a une commision directive, avec un président, un vice-président, un trésorier, et à côté de ça, il y a une assemblée de membres actifs dont je fais partie. On participe aux spectacles, et en plus de ça, on a des tâches distinctes. On forme comme une communauté, ici. Il y a aussi des gens qui viennent seulement participer, qui sont moins engagés. Nous avons également une comission artistique qui est le plus important. Elle décide de la programmation, des projets à venir, des besoins, etc ... elle fait attention à ce que l'on fait, car en géneral l'importance des évènements nous dépassent, et c'est sur le moment qu'il faut s'en préoccuper. La politique, si changeante, nous habitue à nous adapter. Dans El fulgor, le final est vertigineux, on voit énormément de présidents. En 2001, quand on a arrété les répétitions en décembre et qu'on a repris en février, il y avait eu cinq changements de président. C'est pour ça qu'on a du faire un spectacle aussi rapide, comme une "maquette" de tous les moments, sinon la pièce durerait beaucoup plus de temps. On commence à partir de 1930, El Fulgor argentino est le premier coup d'état militaire, ensuite on raconte la démocratie jusqu'à nos jours. Pour le final, les acteurs que l'on voit vêtus de manière bizarre représentent des gens du futur, des années 2030. Ce sont les survivants, les utopistes. Ce que l'on veut dire dans ce spectacle, c'est qu'on peut changer notre réalité, et que cela est une petite démonstration de ce qui est possible à plus grande échelle.

Quelle a été la plus grande difficulté pour mettre cette histoire en scène ?
Et bien, la réponse va changer en fonction de la personne à qui vous demandez, mais selon moi, le problème le plus important a toujours été la dramaturgie, parce qu'au début, on avait un spectacle qui durait 6h, et on a commencé à le compresser. La première partie du spectacle (les années '30) commençait dans la rue, puis à partir du tango, le public entrait dans la salle. Mais c'était très compliqué. Peu à peu on a raccourci le tout. Tout se déroulait à l'intérieur, en 2h. On a fait une synthèse de ce qui fonctionnait, et en cela, ça a vraiment été une création collective. On n'a pas eu de dramaturges, tout s'est écrit en fonction des improvisations. Et de ce dont la majorité se souvient, de ce qui revient le plus souvent chez chacun. Car la troupe de El Fulgor, c'est environ 100 personnes. En 10 ans, il est passé beaucoup de monde, oui.

Et il y a seulement un metteur-en-scène ?
Non, il y en a deux. Deux metteurs-en-scène "généraux", dirons-nous. Car il y a d'autres types de metteur en scène, qui maintiennent le spectacle, qui se chargent du groupe, des doublures pour chacun des rôles. Tu ne sais jamais avec quel partenaire tu vas jouer (rires). Et en plus, il ya un compositeur, également celui qui se charge de faire répéter le choeur. Moi, je m'occupe des déplacements, ce qui me plaît énormément ... en plus des marionnettes, d'une partie du décor, de jouer et d'être assistant de direction. C'est d'ailleurs moi qui ai proposé de mettre des pantins, pour adoucir certains passages plus difficiles où le public ne nous accompagnait plus. La partie avec les militaires, au début, on la mettait en scène de manière réaliste, avec de vrais comédiens, mais le public ne suivait pas. Tandis qu'avec l'humour, les pantins etc... on réussit à améliorer le tout. C'est une technique théâtrale, non ?

Selon vous, est-ce que l'artiste de théâtre a un devoir ?
Oui, bien sûr. Mais il faudrait définir ce qu'est un artiste. Pour nous, "artiste", ce n'est pas individualiste. Qui donne de la légitimité à un artiste, de nos jours ? Qu'est ce que l'art ? Qu'est ce qui n'en est pas ? Nous, on considère que certains de nos voisins sont des artistes. C'est à dire qu'ils ont une manière de voir la vie qui peuvent changer les choses. En ce sens, nous nommons ce sur quoi nous travaillons : "Arte y transformacion social"("Art et transformation sociale", ndlr). Il n'y a pas que notre groupe qui fait ça. Tous les groupes de théâtre communautaire font cela. Il y en a qui travaillent avec de la musique, de la danse ... L'artiste, pour moi, doit essayer d'améliorer la réalité. Ce qui est formidable, c'est qu'on a réussi à avoir une influence sur tout ce quartier. Et même plus, on est en relation avec une association civile qui travaille avec des enfants.

Selon vous, le théâtre ne peut donc pas être seulement divertissant ?
Non, c'est sûr. Il faut que ce soit divertissant, mais en plus d'autre chose. Beaucoup de gens qui viennent voir nos spectacles ne sont jamais allés au théâtre. Il y en a beaucoup que l'on invite car ils n'ont pas les moyens de payer l'entrée. On essaie d'être là où il y a le public.

Et pouvez-vous vivre du métier d'acteur ?
(rires) C'est inévitable, bien sûr. Non on ne vit pas bien, c'est difficile. Mais nous faisons ce qui nous plaît, ce qui n'est pas évident ici. On y est arrivé, parce qu'on bénéficie d'une administration transparente. Certains en vivent bien, les profs, les metteurs en scène ... ils ont reçu des subventions de centres culturels par exemple... Et ça nous aide à entretenir ce théâtre, aussi. En Argentine, on vit en sachant qu'à tout moment, les choses peuvent changer. Mais on vit bien. On a formé comme une famille ici, cela fait maintenant 25 ans. Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts. On a affronté bien des crises grâce à l'art. Mais si on dessine un graphique aujourd'hui, on peut dire qu'on est très en haut. Et puis tout cela m'a permis de rencontrer des gens des quatre coins du monde, comme le fait que vous soyiez ici aujourd'hui, ou le Teatro Agricolo qui vient d'Italie pour faire un atelier de Commedia dell' Arte et qui nous enseigne à sculpter des masques dans le bois. Je ne l'avais jamais appris auprès de pros. Juste à base de livres. Bref, c'est impressionnant tout ce que cet espace de création engendre.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Ce que je vois, c'est que tous ceux qui ont participé ont changé. Leur manière de voir les choses, etc... en mieux, la plupart du temps. Le public, aussi. Lorsqu'il vient ici, il en ressort différemment. Ça, c'est le premier changement. En plus de cela, ça a permis à d'autres voisins de former d'autres groupes, et donc à d'autres quartiers d'évoluer. En ce sens, nous pouvons changer les choses. Chacun sait que le monde va mal et qu'il faut le changer. Mais jamais ils ne l'imaginent changé. Nous autres avons une petite idée de ce que ça pourrait être ...

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour Caroline,

Soy Alfredo Iriarte, me gusto mucho tu articulo, felicitaciones por el trabajo. Solo tengo una correction para hacerte; quizas es por una error del idioma... Cuando dice que hice cursos en Francia no es asi, de hecho nunca visite Francia.
Puedes escribirme asi tengo tu mail: alfredo@mascarasiriarte.com.ar

Saludos
Alfredo