vendredi 17 octobre 2008

Compañia del Grupo Ojcuro, Teatro Ciego, Buenos Aires


Tout d'abord, pouvez-vous présenter votre compagnie Grupo Ojcuro : quand a-t-elle été fondée et quel est son objectif ?
Gerardo Bentatti : La compagnie a été fondée en 2001. Les motivations sont multiples. La première est l'obscurité, la deuxième le divertissement, la troisième le fait de travailler.
Francisco Menchaca : Et l'intégration...
Gerardo : Oui, aussi. Il y a plusieurs raisons. L'idée de travailler dans l'obscurité nous tentait beaucoup. On a monté cette compagnie avec José Menchaca en 2001. On cherchait de la matière sur laquelle travailler. Et on a pensé que jouer avec des aveugles dans le noir complet pourrait nous apporter énormément. Alors on a fait un casting à la Bibliothèque Argentine pour les Aveugles, et on a formé ce groupe.

Combien y a-t-il de membres exactement ?
Gerardo : Nous sommes 10 en tout : 8 comédiens qui jouent 11 personnages, le metteur-en-scène et le musicien.

Pouvez-vous nous parler de votre pièce : La isla desierta ?
Gerardo : Il fallait une pièce qui nous permette d'utiliser le plus d'effets spéciaux possibles pour arriver à figurer une image auprès du public, et que l'on puisse raconter cette histoire. Le metteur-en-scène a dû plus ou moins adapter la pièce de Roberto Arlt, et c'est bien mieux comme ça. En fait, c'est une œuvre qui permet une liberté d'adaptation, et il y en a peu. Car des pièces qui ne sont écrites que pour un seul plan n'ont aucun intérêt dans le noir. Celle-ci, justement parce qu'il n'y a pas d'unité de lieu et qu'elle se déroule dans plusieurs endroits, permet plus de libertés dans l'obscurité. Cela ressemble beaucoup au cinéma, on peut voyager. Il me semble que cela a été écrit pour l'obscurité. Pour l'instant, en Argentine, nous sommes les pionniers. Il y a eu une pièce intitulée Caramelo de limón qui a été jouée à Paris en 1996 sous la traduction Bonbon acidulé. Et c'était la protagoniste de Delicatessen qui jouait dedans. Ça a aussi été joué à Buenos Aires en 1994 dans le quartier de San Telmo. Et ça a vraiment fonctionné. Cela produit un impact sur le spectateur, et il y a une grande marge de liberté pour l'acteur, qui peut jouer avec la surprise : en marchant, en parlant, en touchant le public, en étant si proche, en expérimentant une mise-en-scène complètement différente de ce dont il a l'habitude. Il n'y a plus cette même distance que l'on connaît dans le théâtre conventionnel.

Quelle a été le plus dur pour les voyants quand il s'agissait de jouer dans le noir ?
Francisco Menchaca : J'ai l'impression que tout s'est fait petit à petit. Ça a été un travail d'équipe. Nous, les acteurs professionnels, avons enseigné aux non-voyants à jouer la comédie, et eux nous ont appris à évoluer dans l'obscurité. Ça a été un apprentissage des deux côtés. On les a aidé à jouer la comédie dans leur environnement naturel. C'était super. Ça a été un travail complémentaire. Ce qui m'a parut plus difficile, c'est de créer un personnage dans le noir. Mais petit à petit, on réussit à faire naître quelqu'un, de plus ou moins sympathique, ou plus ou moins bête... a présent, on est parfaitement à l'aise dans l'obscurité. C'est devenu une sorte de jeu.

Est-ce que vous avez répété dans l'obscurité ?
Francisco : Non, les répétitions ont été faites en lumière, pour apprendre d'abord à bouger, à se déplacer en fonction des autres, et c'est seulement à la fin fin qu'on a travaillé dans l'obscurité totale.

Est-ce qu'il y a souvent eu des réactions bizarres dans le public ?

Marcello Giammarco : Oui, il y a beaucoup de réactions diverses. Hier soir par exemple, il s'est vraiment passé quelque chose de gênant. Il y avait trois filles dans l'assistance qui n'ont pas arrêté de parler, à voix haute, elles commentaient tout. Le reste du public avaient beau leur dire : "Chuuuuuut!", rien n'y faisait, elles ne s'arrêtaient pas. On a terminé la pièce en hurlant, presque. Mais bon, c'est la première fois que ça s'est produit.

Est-ce qu'il y a des personnes qui quittent la salle ?
Marcello : Ça arrive. Certains sortent quelques minutes, puis reviennent.

Et vous, comment expérimentez-vous cette "aventure" théâtrale ?

Eduardo Maceda : Moi, je m'amuse énormément. Bon, au début, ça a été un peu laborieux, cela m'a beaucoup coûté. Et puis au fur et à mesure, on s'habitue, et on finit par s'amuser. C'est un spectacle qui se vit pleinement, et jouer aux côté d'aveugles, c'est merveilleux. Enfin ... il n'y a pas de mots.

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait un devoir ?
Marcello : Que la pièce cherche à dire quelque chose ? Oui. Je crois. Surtout avec ce type de théâtre. Que cela change quelque chose. Certaines personnes prennent conscience de la chance qu'ils ont de voir. Oui, je pense que oui.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre aveugle puisse apporter aux gens ?
Gerardo : C'est une rencontre avec soi-même. C'est une expérience unique et très personnelle au fond, car on est tout seul dans l'obscurité. Il y a un véritable cheminement intérieur. Cela permet de développer l'imagination, et à chacun de dessiner son propre personnage, de se créer son espace personnel, etc... les réactions sont à chaque fois différentes.
Laura Cuffini : Moi, je crois que ce type de pièce, dans l'obscurité, permet avant tout l'intégration. Je ne sais pas ce que c'est que d'être aveugle, je n'en ai pas la moindre idée. Mais il y a une nécessité chez chacun de transformer la réalité. Certains, lorsqu'ils sont confrontés à l'obscurité totale, sortent en disant : "c'est horrible d'être aveugle". Oui, vraiment. Mais c'est une contingence de la vie, on ne la décide pas. Et rester avec cette idée, c'est ne pas avoir réellement profité de cette expérience. Un aveugle, c'est une personne à part entière avec un sens en moins.
Alors ce spectacle permet une intégration du spectateur auprès de nous, les acteurs. On est tous égaux dans l'obscurité. Il n'y a plus de différence. C'est la caractéristique de ce type de théâtre, dans le noir, et cela me paraît très précieux. Cela permet à chacun de savoir ce que c'est que d'être aveugle, de se rendre compte de la chance que c'est que d'avoir la vue, combien la vie en est facilitée.
Francisco : Ce qui est important c'est qu'à la fin, chaque spectateur a vu sa propre pièce. C'est fondamental. Chacun a imaginé ses personnages, son île, etc... et la plupart du temps, c'est très différent. C'est en ça que ça n'a rien ça voir avec d'autres pièces ou le cinéma, où il y a le seul point de vue du metteur-en-scène. Ce qui pour lui est moche est rendu moche, ce qui pour lui est vieux est rendu vieux, etc ... ici c'est toi qui choisis à quoi ressemble ton île.

Aucun commentaire: