mercredi 29 octobre 2008

Mario Vidoletti, dramaturge, metteur en scène et comédien à Rosario


Tout d'abord, pouvez-vous vous présenter et nous raconter comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
Je fais du théâtre depuis 15 ans. D'abord comme un jeu, puis c'est devenu une philosophie de vie. Je suis de Rosario, à 30 ans, je sus parti étudier à Buenos Aires avec Raul Serrano, un grand maître dans le domaine théâtral argentin. J'y suis resté 2 ans : j'arrivais sur Buenos Aires le mardi, et je repartais pour Rosario le vendredi. J'ai des enfants en bas-âge que je ne pouvais pas laisser. Ensuite, je suis revenu ici, et j'ai trouvé ce sous-sol, qui était en très mauvais état, et j'ai construit cette salle. Elle ne ressemblait pas à ce qu'elle est aujourd'hui, c'était beaucoup plus vétuste. Ça devait être en 1991. A partir de là, j'ai ouvert une école de théâtre en parentée avec celle de Raul Serrano à Buenos Aires, j'étais un peu le représentant de son école ici, à Rosario. Et au fur et à mesure des années, j'ai construit le bar, au dessus, le bar La Sede, qui s'est peu à peu transformé en bar à thèmes, avec du théâtre, de la poésie ... Les gens se réunissent ici et lisent leurs poèmes. J'ai aussi voyagé, en Europe, où j'ai étudié à Barcelone. C'est là que j'ai remarqué pendant l'entracte d'un spectacle, que le public profitait de la pause pour aller manger. Ils mangeaient, mangeaient, mangeaient ... Il m'est alors venue cette idée de combiner les 2 : le spectacle, et le repas. Parce qu'avec seulement le théâtre indépendant, il y a très peu de gens. J'ai pensé à un café-concert, qui se diviserait en deux parties : une salle de théâtre de ce côté, un café-concert de celui-là. Et à partir de 2000, on a commencé à faire nos spectacles ici. Il y a eu du monde.

Est-ce qu'il s'agit du même public qui vient déjeuner au dessus ?
Euh, non. Ce qui amène les gens, c'est le spectacle. A côté de ça, ils peuvent aussi manger. Certains viennent et ne mangent rien. Mais comme la cuisine qui se fait ici, ce sont des sortes de tapas, c'est beaucoup plus pratique pour regarder le spectacle en même temps. Cela dit, le public est toujours très attentif au spectacle. Et c'est ce qui fait que ce lieu est si particulier. Il y a tellement de bars ou de restaurants qui donnent des spectacles et où les gens mangent sans prêter attention, c'est horrible. Ici, non. On annonce le spectacle à 21h, et il commence à 22h-22h15.

Que pensez-vous du théâtre à Rosario ? Est-ce que les gens en consomment beaucoup ?
Le bouche-à-oreille fonctionne. Par exemple, mon spectacle, cela fait 9 ans que je le joue ici, et il a toujours eu du succès, parce qu'il a une bonne réputation... le bouche-à-oreille. Les gens l'ont vu trois ou quatre fois et reviennent. Ils amènent un ami, et ainsi de suite...

Et Faldas Largas, c'est vous qui l'avez écrite ?
Oui, nous sommes trois auteurs.

Et vous êtes aussi metteur-en-scène ?
Oui. Et je joue. Cela fait 8 ans.

Et il y a une autre pièce, également...
Oui, il s'agit de 6 contes, avec 2 menus de 3 contes chacun. On explique les histoires au public, et il vote par des cris, des applaudissements, pour choisir ce qu'il veut voir. C'est comme deux pièces en une.
Il y a aussi Inodoro Pereyra y Mendieta Perro de Roberto Fontanarrosa ... je ne sais pas si vous connaissez son histoire : il est mort l'an dernier d'une terrible maladie. C'est un dramaturge humoriste très important en Argentine. Il est de Rosario. Et il est très reconnu ici car il est toujours resté à Rosario, il n'est pas parti pour Buenos Aires. Il venait tous les jours au bar, ici, pendant 10 ans. L'histoire de la pièce, c'est un gaucho (le cowboy traditionnel d'Argentine, ndlr) qui vit dans la pampa avec son chien, et à qui il arrive des aventures. Le parlé est très populaire, et l'humour assez particulier. C'est très drôle. Et le chien parle. Il se tait la plupart du temps, sauf pour émettre des commentaires, toujours justes. Ce gaucho a aussi une femme, grosse, moche, et méchante. C'est une histoire très connue en Argentine, mais aussi en Espagne. Fontanarrosa avait la particularité d'écrire sur les habitudes des Qrgentins, sur les femmes, le foot, la famille, avec un humour qui lui était propre. Bon, c'est très argentin, mais en Espagne, cela plaît beaucoup aussi. Fontanarrosa est très connu.

Comment arrivez-vous à vivre avec l'instabilité du métier d'acteur ?
A Rosario, juste en jouant, c'est très difficile. Il faut donner des cours. Autre chose à côté. Comme il n'y a pas de grosses productions, et comme la télévision ne paie qu'à Buenos Aires ...

On ne peut pas faire de la télévision ici ?
Si. Mais il n'y a pas de production pour te payer. Depuis quelques temps, il y a des films qui se tournent ici à Rosario, dans lesquels peuvent travailler les acteurs locaux. Mais ils ont toujours les seconds rôles, les rôles importants reviennent aux comédiens de Buenos Aires, ceux qu'on voit à la télé. Cela se passe dans tous les pays. J'imagine qu'à Paris, ça marche mieux à Paris qu'à Toulouse ? (rires) Les grandes capitales bénéficient d'une économie plus développée, il y a plus d'argent. Moi j'ai réussi à vivre de ce métier avec ce lieu. Je joue ici, dans trois pièces différentes, et une à l'extérieur.

Croyez-vous que l'artiste de théâtre ait une responsabilité, un devoir ?
Oui. Je pense que tous les artistes sont passionnés par ce qu'ils font. Le fait de ne pas pouvoir en vivre justement nous force à maintenir cette passion. Il ne faut pas vendre un travail qui ne nous plaît pas. Alors on en fait moins, mais au moins ça nous plaît.

Mais parfois on ne peut pas faire uniquement ce qu'on aime, par exemple ceux qui jouent dans des séries pour gagner leur vie ...
Bien sûr. Mais ici à Rosario, c'est plus passionnel. A Buenos Aires, c'est différent, certains jouent dans des télénovelas ridicules, mais qui paient. Il faut bien manger et vivre dans une ville qui te dévore, elle. Moi, je fais du théâtre, mais je veux qu'il me plaise. Chacun décide. Avec ce bar, j'ai réussi à faire quelque chose qui marche. Ce n'est pas un gros business, mais ça fonctionne. Chacun vit bien. Et je peux jouer mes spectacles en fin de semaine.

Pensez-vous que le théâtre doit être engagé avec le contexte politique, social, ou bien est-ce qu'il peut être juste divertissant ?
Ça peut être les deux. Quand il y a un niveau de travail, ou d'esthétique, ou de poétique engagés, et pas seulement avec le contexte social, mais aussi avec l'humour. L'humour doit dénoncer certaines choses, car il faut avancer. Mais ça ne peut pas être seulement sérieux.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Je crois que le théâtre ne disparaîtra jamais. Car la relation entre l'artiste et son public est unique. Pendant les périodes de crise, la guerre par exemple, il y a toujours un artiste qui surgit pour dénoncer les choses, par exemple pendant la guerre civile espagnole. Bien plus qu'au ciné. Car il n'y a pas cette présence physique de l'acteur et du spectateur. Ça c'est quelque chose qui ne disparaitra jamais.
Le théâtre, ça fait partie de la vie : s'assoir pour regarder un autre jouer une situation, avec des problèmes, des conflits... c'est une aventure, un jeu. Faire du théâtre, c'est réapprendre à jouer. Comme un enfant qui joue à cache cache et dont tout le corps est complètement engagé dans la situation qu'il vit : ne pas bouger pour ne pas se faire voir.

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