vendredi 12 septembre 2008

Marcia Paredes et Paula Huerta : Teatro social SUYAI, Valdivia


Tout d'abord, pouvez-vous vous présenter et nous raconter comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
Marcia Paredes : Je m'appelle Marcia Paredes, je suis communicatrice sociale. J'ai eu l'occasion de faire du théâtre social au sein du service socio-éducatif - c'est le domaine qui m'intéresse le plus - et cela fait 5 ans que j'y travaille. En ce qui concerne le théâtre, cela fait 2 ans. Avec ce groupe SUYAI, qui fait du théâtre social.
Paula Huerta : Je m'appelle Paula, je suis actrice populaire, je fais partie de ce projet artistique, non pas par intérêt ou par nécessité de faire du théâtre, car dans un lieu comme celui-là, il y a d'autres priorités, survivre par exemple. Pour moi, cela passait en second, je n'étais pas l'une des premières à croire en ce projet, mais aujourd'hui, je crois que je suis la plus engagée. Cela a été fondamental pour me retrouver moi-même, mieux appréhender les gens qui m'entourent, et comprendre le sens de mon existence. Ma perspective a changé depuis que je fais du théâtre social. Ma réalité, aussi.
Marcia : J'ai oublié de t'expliquer ce qu'est le théâtre social, dont nous parlons ici. C'est parti d'un besoin et d'une envie chez les femmes du campamento d'avoir des espaces d'expression, de dialogue et de jeu, des lieux ou elles pouvaient apprendre à mieux se connaître. Et dans ce même "espace" est née l'idée de faire du théâtre. Et maintenant, grâce à l'expérience que j'ai eue en Espagne avec d'autres groupes qui travaillaient sur le même thème à travers le clown, le mime et différentes manifestations artistiques, j'ai découvert que le théâtre était une véritable arme de libération pour les communautés qui n'ont pas bénéficie de toutes les opportunités que le système pouvait offrir. Le théâtre surgit comme une nécessité d'expression pour ce monde-là, à la fois individuelle et collective. Et quand on leur a finalement proposé l'idée de faire des ateliers, on les a appelés "ateliers de croissance personnelle et collective", à travers le théâtre social que proposait notre intervention socio-éducative. Au début, il y avait une vingtaine de femmes, et peu a peu le groupe s'est un peu restreint, certaines se sont démotivées en route car c'est un processus assez long. Et maintenant, nous formons un groupe qui émerge peu a peu, qui est parti de ce théâtre social pour arriver à quelque chose de plus artistique. C'est un espace d'apprentissage et d'évolution pour tout le monde, parce qu'il est horizontal.

Comment travaillez-vous au sein du groupe SUYAI ? Quelles sont vos méthodes ?
Marcia : On a commencé a travailler à partir de trois choses : le corps, moteur principal de l'apprentissage, pour redécouvrir nos sens, les expérimenter, car à partir du corps tu génères d'autres sensations. Ensuite le cœur, car le jeu de émotions est le plus important dans ce contexte. Et enfin le jeu, par la parole, par les improvisations, etc ... beaucoup de monologues écrits par chacune, ou à partir de témoignages, et à partir de cette matière, on a construit une pièce. La première représentation de Historias sobre las tablas a eu lieu en 2006. Et à partir de celle-là, on monte celle qu'on travaille en ce moment. Le montage final contient 7 scènes, et dure une cinquantaine de minutes, et inclut des dialogues, des monologues, des jeux d'ombres, de la photographie corporelle, de la poésie, des images ... car finalement le corps nous a beaucoup aidé à exprimer des choses que la parole ne pouvait pas raconter.

Qu'est-ce qui a été le plus difficile dans ce processus, car au début vous étiez 20 actrices, puis plus que 6 ... ?

Marica : Euh ... (rires) Paula pourrait vous le raconter de son point de vue ... non ?
Paula : (rires) Bon. Il faut savoir qu'on se ressemble toutes sur beaucoup d'aspects, avec chacune notre évolution personnelle, et Marcia devait de son côté atteindre un objectif bien particulier ... on a été frustrées parfois de voir que sa partenaire ne s'engageait pas de la même manière que soi, mais la difficulté pour Marcia a été de nous faire comprendre que chacune était différente l'une de l'autre, et qu'il fallait le respecter. En plus, les conditions de travail n'étaient pas idéales : le climat, l'infrastructure, deux d'entre nous on dû changer de campamento, ce qui a rendu les choses plus compliquées, elles avaient plus de mal à venir aux répétitions.
Marcia : A cause de ces changements, ça a été plus difficile de maintenir un groupe soudé, car ou on se voyait ici, ou bien il fallait se déplacer à l'autre campamento. Et à un moment, il a fallu prendre une décision, ça a été très dur pour chacune d'entre elles car au final on formait comme une petite famille... et avec la réhabilitation de ce campamento, et celle d'autres campamentos de Valdivia, sont arrivés de nouveaux habitants, etc ... du coup ... forte charge émotionnelle pour tout le monde.
Paula :Mais si tout cela n'avait pas eu lieu, rien de ce qui existe aujourd'hui n'aurait émergé, ce résultat, cette énergie... Il fallait que ça se passe comme ça, que ça évolue, que ça grandisse... et maintenant, on peut aussi comprendre quel est l'intérêt de ce projet, pour chacune. Moi j'ai envie de faire quelque chose de ma vie, Valdivia c'est très grand, il y a des tas de choses a faire, maintenant ça me motive, maintenant je fonce.
Marcia : Mais tout cela tu ne l'avais pas forcément compris au début.
Paula : Non, au début, non. Mais maintenant oui. En tous cas celles qui devaient comprendre ce message l'ont compris.
Marcia : Elle a quand même été la première opposante au projet ! (rires) Il y a deux ans à peu près, tout près d'ici, en prenant le once, j'ai dit : "Pourquoi on ne ferait pas un atelier de théâtre "social" ?"
Paula : "Non ... tu sais, ça ne donnera aucun résultat." (rires)
Marcia : "... il y a d'autres priorités avant de faire du théâtre, il faut d'abord manger" a-t-elle répondu. Mais cela se comprend.
Paula : Et aujourd'hui je mange très bien. Quand tu réalises que tu peux tourner les choses en ta faveur, tu trouves l'énergie pour tout.

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait un "devoir" ?
Marcia : ... de raconter un peu la réalité qui nous entoure ? Je crois que oui. Je crois que le théâtre peut le faire, comme tout autre discipline, j'ai le sentiment que chacun peut, à travers l'art, raconter son monde intérieur et son monde extérieur, son contexte social, ce qui l'entoure. Ici, pour nous, le théâtre social a un sens de témoignage. En plus de cela, il va permettre au public de connaître la realite quotidienne d'une autre manière. Car cette vie, cet endroit, tout cela est peu connu des gens. Beaucoup de monde n'a jamais expérimenté les campamentos. Ils ne savent pas de quoi il s'agit. Je crois que le théâtre peut permettre de faire accepter cette réalité aux autres.
Paula : Et c'est encore mieux que cela soit conté par des actrices venant de là, qui ont vécu ce mode de vie, et qu'elles le fassent avec fierté.
Marcia : Je crois que c'est nécessaire que l'histoire soit jouée par des personnes ayant vécu dans ces lieux. C'est pour cela que c'est appelé "théâtre social", "populaire". C'est avec et pour. Avec elles, et pour elles. C'est du théâtre "horizontal". Bien sûr, le côté artistique est très important aussi ! Beaucoup de gens croient que si c'est populaire ou social, ça va avoir une qualité artistique inférieure. C'est pour ça qu'on a fait appel à un acteur professionnel, Rodrigo Gonzalez, et à un régisseur son et lumière Francisco Rios. Pour faire de cette création collective une œuvre de qualité. De l'art. Qu'elle puisse être critiquée au même titre qu'une autre pièce, et pas seulement en temps qu'œuvre sociale. C'est très significatif. Et c'est le plus important pour nous. Que notre travail soit remarqué. Que le groupe puisse grandir, évoluer, s'intégrer. Avec la perspective de faire les festivals internationaux, bien sûr, la qualité artistique est très importante. Il faut avoir un groupe pluridisciplinaire.
Paula : Tout en montrant quelque chose de représentatif de ce que l'on vit, aussi. Sinon ce serait un mensonge.

Pensez-vous que le théâtre doive être toujours engagé, ou peut-il être seulement divertissant ?
Marcia : Dans l'idéal, le théâtre social doit dénoncer quelque chose, mais dans la nuance. Cela peut inclure des passages très dramatiques, mais aussi comiques, réalistes, ou oniriques. Je crois qu'il faut de toute façon nuancer notre travail. Cela dit, la pièce doit avoir un message, et forcément un message social. Pour nous en tous cas, le contenu doit être social. Mais on peut le raconter de différentes manières. Il y a tant de façons d'exprimer tout cela ! Ce qui est intéressant avec le théâtre, c'est que c'est pluridisciplinaire. Par exemple, dans notre pièce, on intègre des éléments audiovisuels, du théâtre d'image, de l'expression corporelle, de la danse, de la musique... il y a beaucoup d'éléments qui font que cette œuvre a aussi plusieurs langages. Elle passe par différentes étapes, et on réussit a montrer toute une palette d'émotions par le biais de ce pluri-langage. Pour une première représentation, je peux dire qu'il y avait un très bon niveau.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Paula : L'espoir.
Marcia : La transformation. Individuelle, ou au sein de la société. Pour moi le théâtre est une arme de changement social.

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