mercredi 3 septembre 2008

Manuel Loyola, metteur-en-scène de la compagnie El Oraculo, Concepción


Tout d'abord, pouvez-vous vous présenter et nous raconter comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
Cela fait 10 ans que je travaille dans le théâtre, d'abord 2 ans à Santiago, puis 8 ans ici, dans ma ville, Concepción. C'est là que nous avons fondé la compagnie El Oraculo, qui est orienté vers un théâtre corporel, le teatro físico, comme on l'appelle ici au Chili. Chacune de nos réalisations viennent d'investigations faites dans le domaine du mouvement, et aussi celui de l'image et de la musique. Ainsi, notre ambiance de travail est toujours assez agréable. Il y a beaucoup d'apprentissage, et l'on cherche toujours un peu plus à approfondir nos connaissances, en découvrant de nouvelles choses, de nouvelles techniques, etc... c'est comme cela qu'on peut grandir au sein de ce métier incroyable qu'est le théâtre.

Pourquoi avoir choisi le teatro físico ?

Sans doutes parce que le théâtre de texte, une pièce écrite, nous semble trop "rationnel", cela fait appel aux idées et exclusivement aux idées, et je crois qu'il faut essayer de stimuler d'autres choses, comme l'émotion, la sensualité, etc ... pour nous, l'art se trouve plus de ce côté là que de celui du "dire". Il s'agit de découvrir et de réveiller des zones inconnues. Voilà l'objectif du teatro físico, avoir un moyen de communication autre que le langage. Cela nous paraît plus attractif.

Est-ce que les acteurs de la troupe ont suivi des cours de théâtre, ou des cours de danse, ou les deux ?
Il y en a certains qui ont pris des cours de théâtre, d'autres sont danseurs à la base. Cela dit le groupe s'auto-discipline et se forme tout seul. On est sans arrêt à la recherche de perfectionnement. On a développé notre propre manière de travailler, d'improviser et de créer sur scène. On fait un mélange, un assemblage de différentes techniques d'apprentissage, et avec ça, on raconte une tragédie qui a eu lieu ici au Chili, l'histoire d'un massacre commandité par une personne, et la vengeance d'une autre. Il y a un peu de technique japonaise, de mime, d'impro, ou toute chose pouvant être utile. Quelques éléments de danse aussi, mais pas beaucoup. A partir de ce que l'on a découvert, on a créé un spectacle.

Qu'est-ce qui a été le plus difficile pour traduire cette histoire sur scène ?
Narrer une histoire sans utiliser la parole, le fait de travailler à travers les sensations et les émotions, et de créer des scènes à partir de ça. Comme dans tout le théâtre contemporain, ce que nous faisons, c'est de l'improvisation. Toutes les expériences montrent que l'impro est un vrai champ d'expérimentation. On essaie des techniques, on essaie des scènes, puis on sélectionne ce qui fonctionne, et ça fait le spectacle.
Mais le pus difficile est de maintenir la stimulation du groupe, sa discipline, sa concentration, et de le motiver dans la recherche constante de nouvelles choses.

Combien de temps a duré le travail de répétition ?

Ce travail nous l'avons fait en un an. Un an, avec en moyenne 20h de répétitions par semaine. Deux heures d'entrainement physique, une heure d'aérobic, une phase plus sur la respiration, une phase plus technique sur la recherche de techniques sur le mouvement, 3h d'improvisations, de présentation de ce que l'on a trouvé et de sélection des scènes. Chaque répétition a une session de travail bien spécifique.

Est-ce vous qui avez créé la bande-son ? la musique est très présente durant la pièce ...
Tout le travail est fait simultanément ("en vivo"). Il y a un musicien là-haut, qui est avec tout son équipement, son synthé, etc ... et on travaille tout "en vivo". C'est la première fois qu'on travaille avec un seul musicien, avant on en avait 4, 5 ou 6, mais d'un point de vue technique, c'était compliqué, il fallait anticiper en fonction du lieu car il y avait beaucoup d'instruments, le coût du déplacement nous revenait trop cher. Et ça nous empêchait de travailler comme on le voulait.

Que voulez-vous traduire à travers le choix de vos costumes ?
L'esthétique du design choisi pour les costumes, pour le maquillage, est reliée à l'expressionnisme, à l'Orient, au Japon plus particulièrement. On a cherché à vulgariser le groupe, en évitant d'individualiser les personnages, en évitant de créer des identités différentes, c'est pour cela que les costumes sont similaires, de même pour les éléments de couleur, qu'on retrouve chez chacun.

Mais il y a deux personnages qui se détachent du groupe, bien distincts. Quelle est leur fonction ?
Oui, la ronde et le type du train. Tout à fait. Ils sont différents visuellement.
Pour la ronde, par exemple, les couleurs, les matières choisies pour le costume du personnage sont associés, pour le spectateur chilien, à la pauvreté, à ces femmes chiliennes qui travaillent dur chez elles, ces dueñas ... Quant au personnage du train, il n'a pas de sens propre, c'est comme un fantasme, un personnage sorti de la douleur, qui souffre de spasmes, et qui, à un moment donné, voyage avec la protagoniste.
Ils n'ont pas de raison d'être au sein de la dramaturgie de l'histoire, mais je voulais laisser une ouverture. C'est aussi pour ça qu'on ne fait pas de musique andine (celle du nord du Chili, du Pérou et de la Bolivie). On évite d'utiliser ces instruments aux sonorités reconnaissables, comme le charango, la flûte de pan ... car peut-être que ce massacre, la violence qui a traversé le pays pouvaient être traduits par une autre esthétique, une esthétique élémentaire. Les structures du décors le sont aussi, avec quelques éléments ça et là, pour ne pas surcharger et laisser l'espace suffisant aux propositions corporelles des comédiens.

Pensez-vous qu'il y ait un devoir de l'acteur, de l'artiste de théâtre ?
Le rôle du théâtre vient de ce qu'est la personne qui le fait, de ce qu'elle est à un moment donné. Parfois, c'est du théâtre social car la vie le demande à ce moment-là, parfois tu peux fantasmer car tu en ressens la nécessité, etc... Le théâtre est beaucoup de choses, l'art est beaucoup de choses. C'est ce que chaque personne veut ou demande du théâtre qui fait le théâtre.
Nous avons choisi de traiter cette histoire de cette manière, mais il y a d'autres compagnies dans cette ville qui l'auraient fait autrement. Et ça aurait été aussi bien. Nous, nous travaillons sans la parole, d'autres adorent travailler avec le texte, avec la dramaturgie chilienne, européenne ou contemporaine, et ... c'est bien ! Le théâtre, c'est tout. Et nous pouvons co-exister face à toutes sortes de regards, de nationalités, de couleurs, de races, de classes sociales, de sexes ...

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter au gens ?
Je pense que chacun le sait. Parfois il dénonce, parfois il apporte un sourire, parfois il surprend ... il y a tant de manières d'apporter quelque chose. Et puis il y a le théâtre pour le théâtre, l'art comme lien. Le seul fait d'investiguer sur le théâtre apporte au théâtre lui même. Tant de choses ...

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