jeudi 28 août 2008

Julio Muñoz, comédien et metteur-en-scène à Concepción


Pour commencer, pouvez-vous vous présenter et nous raconter comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
J'ai fait des études d'ingénieur pendant 3 ans à l'Université technique de l'État. J'avais beaucoup d'amour pour le théâtre mais il n'y avait pas d'activité théâtrale à l'Université. On a créé un groupe dans le but de créer une école de théâtre, pour avoir une meilleure éducation théâtrale et l'enseigner à la population, aussi.
J'ai eu la chance de connaître le gouvernement de Salvador Allende, mais en 1973, avec le coup d'État militaire, mes études d'ingénieur et de théâtre : kaputt !
Ensuit, j'ai donné des cours durant toute la période de la dictature pour pouvoir survivre économiquement.

Pouvez-vous vivre de votre art ?
Oui. Car mon travail a eu beaucoup de succès. Les parents voyaient les progrès de leurs enfants, qui étaient pourtant souvent très timides, et qui devenaient merveilleux sur scène. Ils m'en étaient très reconnaissants. Ceci dit, on est obligé de donner des cours. On ne peut pas vivre uniquement de l'art, car le public est peu nombreux.

Pouvez-vous nous parler du théâtre à Concepción ?
Aujourd'hui, il y a une grande variété de jeunes troupes, issues de l'école de théâtre qu'il y avait et qui a fermé il y a environ un an, et qui se cherchent un public. Ce qui se passe, c'est qu'elles se forment et se dissolvent, ces compagnies, parce qu'elles ne rencontrent pas le succès espéré.
De manière générale, le théâtre - comme tout, d'ailleurs - est centralisé à Santiago. Là-bas il y a du travail pour les acteurs. Ici c'est plus dur de trouver des infrastructures, les théâtres répondent à d'autres demandes des institutions : danse, séminaires, etc...

Parlez-nous de La Cenicienta (Cendrillon, ndlr) ? Pourquoi avez-vous choisi ce conte ?
C'est un projet qui a commencé il y a dix ans, avec un travail d'improvisations d'enfants qui étaient nos élèves. Il s'agit donc d'une reprise, et c'est un grand succès ! C'est toujours plein !
C'est une adaptation du conte original. La proposition a surgi en plein coup d'État, en pleine dictature. On a donc mis-en-scène un roi qui n'avait pas de tête pour gouverner, la décrépitude incarnée, la folie, une sorte de Pinochet pour nous. Son premier ministre est un incapable, lâche et faible qui exécute les ordres. C'était une manière de rire de la dictature.
Cendrillon représente, pour nous, les pauvres, ceux qui ont le plus souffert des persécutions. C'est notre lecture de l'œuvre. A travers le conte, on parle de notre réalité, de nos douleurs.
Et les parents perçoivent bien entendu l'ironie, les allusions. Dans le public il y avait des partisans de Pinochet, mais ils riaient aussi, parce que c'est une manière de prendre le monde avec humour. Le théâtre aussi c'est une manière de parler, non ? De qui nous sommes et de comment nous voyons le monde. En tant qu'artiste, on ne pouvait pas arrêter de faire ce que l'on sentait.
D'autre part, ce conte est transversal, dans le sens où il peut toucher tout type de public. Aujourd'hui bien sûr on a un peu changé le sens : le roi n'est plus le même roi, mais on a conservé l'idée qu'on pouvait rire de l'actualité. C'est plus difficile avec la Bachelet, on ne peut pas trop en rire, c'est une dame magnifique (rires) ! Même si on est pas tout à fait d'accord avec ce qu'elle fait, sa vision du pays et sa manière de gouverner - on voudrait un gouvernement qui soit plus du côté des ouvriers -, on a beaucoup de tendresse et de sympathie pour elle.

Quelles sont vos méthodes de répétition ?
La majorité des personnes qui travaillent dans la compagnie ne vivent pas du théâtre, elles arrivent donc aux répétitions après leur travail, on va alors droit au but.
On commence par un travail d'investigation sur le thème dont on va parler, on en discute tous ensemble et on fait un "catalogue" des idées principales. C'est à partir de là que naît le texte.
Puis on fait des improvisations.
C'est une méthodologie assez traditionnelle, en somme !
On a aussi mis en scène un conte mapuche, et il fallait faire un travail sur leur danse, leur musique, leur poésie. Ce fut très intéressant et enrichissant.
Si on devait se définir, je dirais qu'on vient de l'école stanislavskienne, avec beaucoup d'influences brechtiennes (comme souvent en Amérique latine!).

Selon vous, existe-t-il un devoir de l'acteur ?
Pour sûr, ça ne pourrait pas être autrement, c'est le rôle historique du théâtre dans le développement de l'humanité. Le théâtre a toujours été un espace de contestation. A ses débuts, le théâtre appuyait le système, c'était un élément essentiellement religieux, mais très vite il a questionné la société. Molière, Shakespeare étaient profondément contestataires malgré le fait qu'ils vivaient du mécénat, du roi, du système ! Cela ne les a pas empêché de questionner la vie de l'homme.

Le théâtre doit-il nécessairement être engagé selon vous ?
Il l'a toujours été, historiquement.
Comme tout art, il doit avoir un contenu à défendre : questionner la conduite humaine. C'est la fonction de l'art : nous voir dans la réalité pour pouvoir nous améliorer.

Que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Du plaisir. Et une réflexion sur sa propre vie, sur la société.
Et puis, c'est de la culture ! Ça nous aide à avoir un point de vue sur la société. Comme Jean Genet en France ! C'était un terroriste de l'art !

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