mardi 26 août 2008

Mauricio Almuna, chargé administratif du Teatro Ictus, Santiago

Quand fut fondé le Théâtre Ictus, pouvez-vous nous raconter son histoire ?
Je ne peux pas donner de date exacte, elle n'existe pas. Cela fait environ 50 ans que le Théâtre Ictus a vu le jour. C'est la compagnie la plus vieille du Chili, et même d'Amérique latine. Nous travaillons professionnellement depuis 40 ans, elle a acquis une reconnaissance internationale immense. C'est la compagnie qui a marqué l'histoire théâtrale chilienne.
Nous avons un enregistrement, une vidéo, où on voit les fondateurs de l'Ictus rassemblés - je parle ici d'acteurs, de metteurs-en-scène, de dramaturges - qui racontent qu'ils étaient issus de l'Universidad Catolica, donc du théâtre traditionnel, et qu'ils ont dû s'essayer à un théâtre plus expérimental, en se défaisant de toutes les règles des années 45-50. A ce moment-là, le théâtre se référait à des pièces nationales, toujours les même, et ils ont voulu se tourner vers des auteurs plus transgressifs. C'est comme ça que peu à peu s'est montée cette compagnie.
Ensuite, le Chili, comme toute l'Amérique latine, a rencontré de grands changements politico-sociaux durant les années '50-'60, et plusieurs membres du théâtre se sont identifié à une idéologie - de gauche. Ils sont alors allés chercher autre chose, bien plus que le théâtre expérimental ou formel, non, il s'agissait là d'une nouvelle façon de faire du théâtre. Ils ont appelé ça : la création collective. C'est à dire qu'ils partaient tous ensemble d'un thème et à partir de ce thème, ils construisaient une pièce. Ce phénomène théâtral va constituer l'essentiel de la production artistique de l'Ictus.

Et aujourd'hui encore vous travaillez de cette manière ?
Non !! Là, je te parle de la naissance du théâtre, de son histoire. Qui s'inscrit plus largement dans celle du Chili. Je ne sais pas si vous la connaissez, mais c'est fondamental de connaître l'histoire du Chili pour comprendre celle de l'Ictus. Celui qui ne connaît pas l'histoire de ce pays ces 40 dernières années ne peut pas comprendre grand chose à ce qu'est le Théâtre Ictus.
L'Ictus, par sa création collective, a atteint une figuration nationale au sein du pays, car il est arrivé jusqu'au domaine télévisuel. Il y a eu un programme, La Manivela, un programme d'humour social, dans les années '70. L'Ictus traitait d'une thématique sociale et a réussit à l'amener jusqu'à la télévision, par l'humour. Dans ses pièces de théâtre également.
Dans les années '70, la plupart des pièces de l'Ictus sont imprégnées de la réalité sociale ambiante. Puis, peu à peu, la compagnie s'est mise à créer des œuvres avec en ligne de fond un message contestataire. Chacune des pièces s'inscrivait dans un contexte national voire mondial.
Par exemple, la pièce qui se joue en ce moment : Visitando al señor Green, traite du problème de la tolérance, à travers le respect des préférences sexuelles. Cela touche à des thèmes plus larges, comme la famille, l'amour, la solitude. Il y a quelques temps, avec El Grito, il s'agissait de dénoncer la corruption, très présente au Chili. L'Ictus a produit toutes sortes de pièces, Pablo Neruda viene volando, Tres Noches de un Sabado, Pimavera con una esquina rota, etc ... avec toujours un message d'espoir plus ou moins suggéré.
En 1980, Ictus devient le premier producteur indépendant de vidéo. Il va utiliser une forme audiovisuelle pour introduire dans le pays un autre "espace culturel" au moment où ils ferment tous. Ces documentaires, là encore, montraient la réalité sociale et politique chilienne. Ictus "...se transforme alors en une institution, qui à partir d'une vision et d'un engagement artistique, permet une alternative de communication à travers laquelle on peut voir l'interdit et exprimer d'une manière artistique ce que la dictature voulait cacher. " (cf brochure Ictus, un espacio de encuentro) Cela nous a permis d'avoir tout un réseau de liens au niveau national avec les syndicats, l'Église, etc ... On distribuait nos vidéos dans la région. On donnait ainsi aux gens la capacité de survivre pendant la dictature.

Vous semble-t-il nécessaire que le théâtre soit engagé, ou est-ce que ça peut être uniquement du divertissement ?
Non. Il faut qu'il y ait un impact sur le public.
La compagnie Ictus ne fait pas de théâtre "commercial". La volonté première de l'Ictus est que ses œuvres aient un poids. Social, politique, humain. En tous cas, les pièces doivent chercher à dire quelque chose, pas seulement à divertir.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Il doit pouvoir améliorer la qualité de vie. De notre pièce Visitando al señor Green, le public ressort avec un regard changé sur le respect qu'il faut apporter aux préférences sexuelles de chacun. Il faut savoir que ce pays est traditionaliste, ce genre de choses dérange.
Voilà, améliorer la qualité de vie, je crois que c'est cela, la volonté de l'Ictus.

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