mardi 11 novembre 2008

Mario Arietto et Laura Gallo à Oncativo

Pour commencer, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Laura Gallo : Mon nom est Laura Gallo, je fais du théâtre ici à Oncativo (province de Córdoba) depuis l'âge de 11 ans et actuellement je joue dans une pièce qui raconte l'histoire de deux bonnes sœurs françaises disparues pendant l'époque de la dictature.
Mario Arietto : Je suis Mario Arietto, directeur de l'école municipale de théâtre depuis 1993, ça fait déjà pas mal d'années qu'on travaille avec ces classes de petits groupes avec l'intention et l'objectif premier d'offrir un espace d'ateliers de création, autant pour l'acteur que pour le spectateur, formation des acteurs, formation des spectateurs. Avec l'objectif que le théâtre soit un espace culturel où chacun peut trouver un lieu où raconter ses idées, où s'exprimer, où pouvoir développer ses capacités à tous les niveaux.

Comment avez-vous eu envie de faire du théâtre ?
Mario : Pour ma part - ce n'est pas pareil que pour Laura qui est d'une autre étape, d'un autre moment, quand on fait du théâtre depuis l'adolescence - j'ai décider d'étudier à Córdoba et après on m'a demandé en 1992 de faire un projet municipal, pour la commune de Oncativo, j'ai travaillé sur ce projet, et bon, depuis là on continue.
Laura : Dans mon cas, j'étais très jeune quand j'ai commencé. J'ai commencé un peu avec timidité, je ne savais pas ce que c'était et j'ai découvert que c'était un moyen très important pour moi et ça a déterminé ce que je voulais faire de ma vie. Et il me semble que le théâtre a une valeur qui est terrible pour ce qui est de la transmission avec les autres. Il me semble qu'à travers le théâtre, on peut exprimer beaucoup beaucoup de choses et c'est cela qui me plaît le plus.

Pouvez-vous nous parler de votre pièce ?
Mario : La pièce s'intitule Por los peces y los panes (A cause des poissons et du pain, ndlr), c'est un travail qui appartient au genre du théâtre-danse, du théâtre du mouvement, c'est du moins comme cela qu'on le désigne. C'est un projet qui a surgit avec Laura qui est l'une des actrice et une autre qui n'est pas avec nous en ce moment. C'est un travail sur lequel on planche depuis un peu plus de deux ans et le sujet des deux bonnes sœurs françaises disparues durant la dernière dictature militaire nous a intéressé.
Leur vie, et ce qu'elles ont fait nous a intéressés : elles sont venues de France travailler en Argentine avec un projet d'ordre religieux à grand contenu social. A cette époque, la misère était très grande dans le milieu paysan en Argentine. Elles travaillèrent donc là-dedans et les militaires les firent disparaître à cause du fait qu'elles portaient des idéaux de transformation du pays - avec beaucoup d'autres, la dictature a fait 30'000 victimes. A cause de cela, ils les ont fait disparaître : ils les ont tuées bien sûr, et les ont jetées dans le Río de la Plata depuis un avion. Ça nous a beaucoup intéressés, on a trouvé cette histoire et on essaie de la raconter avec notre spectacle.
Laura : Elles ont participé très activement à la lutte pour les droits de l'homme. Elles ont fait partie du premier groupe de parents de disparus qui ont commencé à dénoncer toute la répression qu'il y avait.
Et bien sûr, il s'agit à travers cette histoire de raconter l'histoire de tous nos disparus, qui est une partie très forte de notre histoire, qui nous a beaucoup marqués. Et pour nous le théâtre est une forme très noble de récupérer la mémoire.

C'est vous qui avez tout fait dans ce spectacle (musique, chorégraphies, etc...)?
Mario : Oui, au niveau technique, l'histoire est racontée à partir du mouvement, du texte - le texte théâtral, dramatique - de la musique et à partir de tout le travail sur l'image. Tout a été fait pour ce spectacle, avec une musique originale - c'est un compositeur qui a travaillé spécifiquement pour cette pièce.
Laura : L'investigation aussi. D'abord on a travaillé pendant plusieurs années sur le mouvement, on n'avait pas encore de thématique, c'est seulement ces dernières années qu'on travaille sur une thématique claire. Mais c'est notre idée de base, le corps et le mouvement, c'est ce qui nous paraît le plus pertinent.
Mario : Il y a des choses qu'on sent qu'on ne peut pas exprimer à travers la parole. Ces choses qu'on ne peut pas exprimer par des mots, on les raconte à partir du mouvement.

Pouvez-vous vivre avec l'instabilité du métier de comédien ?
Mario : Je crois que... j'ai une vision positive du sujet, j'ai de l'espoir, je crois que c'est une question d'espoir. On ne vit pas seulement du théâtre, mais le théâtre représente une partie de nos revenus. On ne fait pas d'argent, parfois on doit donc compléter avec d'autres activités, par exemple, moi je suis professeur, je travaille dans différentes écoles, je donne des cours.
Laura : Je suis professeur aussi, je donne des cours de théâtre à des adolescents dans une école et ici dans ce théâtre et je travaille aussi dans une coopérative, c'est de là que provient mon salaire minimum (rires). Mais je ne vis pas du métier de comédien, pas encore. C'est très difficile ici, en Argentine.
Mario : Du "produit" qu'on a réussi à construire, on ne pourrait pas en vivre, non, d'aucune manière. C'est une partie qui se complémente avec d'autres choses.
Laura : De plus, sortir le spectacle c'est quasi un combat : il faut se faire des contacts, il y a beaucoup de festivals mais ils ne te paient pas. C'est un lieu où tu vas pour te faire connaître, où tu peux te faire d'autres contacts. Mais des contrats, non.
Mario : C'est ce qu'il manque encore beaucoup à notre pays, surtout pour le théâtre de "l'intérieur", le théâtre qui n'est pas commercial. Le théâtre commercial de Buenos Aires fait beaucoup de contrats, il y a beaucoup de travail. Et nous on est de l'intérieur de l'intérieur : on est pas de Córdoba capitale, on est d'une région. Ça demande donc beaucoup plus de travail.

Vous avez pu sortir la pièce ?
Mario : Oui, oui, on a réussi à la présenter dans plusieurs festivals parce que notre travail a beaucoup intéressé les gens et on a été choisis. Mais du point de vue économique, non, pas encore. Personnellement, j'ai de l'espoir, je sens qu'en Argentine, malgré tout, on avance petit à petit vers la reconnaissance de cet art comme une profession, où la personne qui l'exerce à un salaire comme le médecin, l'avocat, l'architecte.
Laura : On a aussi eu la possibilité de s'intégrer à d'autres circuits que celui du théâtre, grâce à la thématique de la pièce. On a rencontré des gens du milieu des droits de l'homme par exemple. Les gens s'intéressent beaucoup à l'œuvre et c'est aussi l'un de nos objectifs : dépasser le cadre du théâtre et la jouer à des endroits où ce n'est pas commun.

Pensez-vous que l'artiste ait une responsabilité ?
Mario : Je crois que oui, au niveau social. Peut-être pas directement, enfin, on peut le considérer comme un moyen de lutte. Le théâtre traite toujours de la vie des hommes. On le fait avec l'intention directe, il s'agit de porter sur scène la vie elle-même et ça touche tout le monde, tout être humain. Le théâtre est éminemment anthropologique. Ça nous transcende et j'ai l'impression qu'on peut toucher tout le monde.
Laura : On ne peut pas ignorer le contexte social qui nous entoure. On est tout le temps acteur de cette société et quand tu te mets à penser à un spectacle, tu ne peux pas ne pas être traversé par ce qu'il se passe.

Le théâtre doit-il nécessairement être engagé ou peut-il être un pur divertissement, selon vous ?
Mario : Je crois que tous les moyens sont bons. A certains moments, c'est un regard plus dénonciateur, à d'autres moments il y a du divertissement, dans le sens où le théâtre nous permet de profiter, d'apprécier une pièce. En ce sens, le théâtre est toujours un divertissement du point de vue esthétique. L'esthétique a le premier rôle. Tu peux dire les choses les plus terribles, socialement, mais avec une esthétique très particulière.
Laura : Aujourd'hui, dans le théâtre de Córdoba, je ne sais pas s'il y a une mouvance politico-sociale très forte comme dans les années '70 quand sont nées les créations collectives, quand il y avait une ébullition. Aujourd'hui je crois qu'il n'y a pas autant, pas si spécifiquement et d'autres façons, avec d'autres thèmes. De mon expérience personnelle, je sais plus ce que je veux en tant qu'actrice et je pense que le théâtre doit dire des choses de la réalité. J'appartiens à une organisation sociale aussi et pour moi, le théâtre c'est aussi un outil pour exprimer toute cette vision du monde qui se construit.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Mario : Tout. C'est un miroir infini. Depuis le texte minimum, ou depuis le silence minimum jusqu'à la textualité maximale, ou la musicalité, le public va toujours voir quelque chose qui va lui rester et lui apporter. Enfin, c'est mon expérience personnelle : pourquoi je m'investis autant dans le théâtre ? pourquoi ça me remue de l'intérieur ? je sens que c'est l'espace par excellence où la personne est impliquée totalement, de tout son être. Elle n'est pas médiatisée, comme au cinéma ou à la télévision. Le théâtre vibre, avec cette personne qui vibre là, devant toi, ici et maintenant. Le théâtre c'est le présent. C'est toujours un apport gigantesque pour le spectateur, selon moi.
Laura : Ça te transforme aussi, au moment où tu vois la pièce, et qu'elle t'émeut. Un échange d'énergie avec l'autre, c'est très transformateur. Et c'est comme ça avec tous les arts. Je crois que le monde ne pourrait pas exister sans art parce que c'est ce qui nous mène vers un autre plan. Du plan assez matérialiste du monde d'aujourd'hui, qui a quelque chose de très froid, l'art nous mène à un autre plan et nous fait sentir vivants et capables de réaliser beaucoup de choses.
Mario : Par exemple, la pièce dans laquelle jouent les filles, ça me fait ça. Comme je suis le premier spectateur, étant le metteur-en-scène, elles me transportent en permanence. Même si elles disent des choses terribles, si elles montrent des choses terribles de l'histoire argentine. Elles racontent ces choses terribles mais à partir de la beauté, de la grâce d'une autre dimension. Et ce à chaque représentation. C'est pour ça que ça m'enchante.

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