dimanche 23 novembre 2008

Monica Carbone, Teatro La Luna, Córdoba

Tout d'abord, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis une des co-directrices du Teatro de La Luna, cela fait 22 ans que l'on est installés ici, dans ce barrio Güemes (quartier de Córdoba, ndlr). Je travaille avant tout dans la mise en scène et dans la formation de l'acteur, et bon. La caractéristique de cet endroit est que nous sommes deux femmes et qu'ensemble nous avons décidé de mettre en œuvre ce projet avec l'idée de faire de l'art dans un lieu où ça n'existait pas. Où les gens n'avaient pas l'habitude de voir des spectacles.

Comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
J'ai une histoire personnelle. Ma grand-mère était directrice d'un théâtre, et de ce fait, j'ai toujours su qu'à travers le corps et la voix on pouvait inventer différents personnages et raconter des histoires, livrer des messages "transformateurs" ... c'est ce que je peux dire de mon travail, que ce n'est pas quelque chose qui me servirait à moi uniquement, mais plutôt le fait d'utiliser mes capacités pour pouvoir communiquer quelque chose qui nous serve à tous.

Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce théâtre ?
Graciela et moi avons vécu à Mexico durant la dictature, plusieurs années, où on a eu l'occasion d'ouvrir un lieu comme celui-ci. Quand la démocratie est revenue en Argentine, on s'est demandé si on ne voulait pas plutôt monter quelque chose ici, car le fait de déjà appartenir à une culture te donne un flux, une connexion, tandis que dans d'autres endroits il faut toujours s'adapter. C'est pour cela qu'on a pensé à revenir en Argentine. Pour pouvoir acheter un endroit, il a fallut se faire de l'argent et ce en donnant beaucoup de représentations. En réalité c'est très difficile de se détendre dans ce pays, en pensant que tu vas vivre de ta profession et que ce lieu va se transformer en un business. La Luna n'est pas un business, et ne l'a jamais été. C'est le résultat d'une décision politique : nous sommes deux femmes qui avons décidé de faire quelque chose ensemble, dans un quartier considéré comme marginal. Quand on est arrivées dans cet endroit, il n'y avait aucune école de théâtre. Il y avait seulement deux cellules d'urgence, c'est à dire des lieux où se regroupe un certain type de population. Alors nous, ce qu'on a fait, c'est d'être des voisines. Des voisines artistes. C'est nous ça. (rires)

Peut-on vivre de son art, ici ?
Oui. Mais sans penser que l'on peut vivre du théâtre indépendant. On a ouvert des ateliers, on a voyagé en faisant des tournées pédagogiques dans d'autres pays. Pendant un certain on se rendait chaque année en Allemagne, on a d'ailleurs un lieu là-bas où on donne des cours de formation de l'acteur. Tout ce que l'on fait fait partie d'un processus, on a pu sélectionner des choses au cours de la formation que l'on pensait pouvoir être utilisées à d'autres fins. Cela a généré une forme de travail qui nous caractérise.

Comment définiriez-vous le genre de théâtre que vous faites ?
Je pense que notre théâtre ne se résume pas à une seule esthétique. On est passées par différentes méthodes : travail très corporel sans texte à travail textuel poussé. A partir de ces investigations apparaissent des choses. Les temps changent, et nous aussi. La réponse que chacun va donner change elle aussi. Je dirai que c'est un théâtre qui ne flotte pas dans l'espace, il est inséré dans une réalité socio-culturelle.

Et il n'y a que vous deux qui travaillez ou vivez ici ?
Nous vivons toutes les deux ici, mais il n'y a pas que nous qui travaillons, il y a beaucoup de personnes qui ont intégré le groupe de théâtre. On a des groupes mixtes, et celui qui s'appelle "mujeres de la Luna" ("femmes de La Luna", ndlr) où l'on travaille davantage sur des thématiques de genre. On a des groupes de jeunes qui s'intègrent, parce que l'on opère toujours avec cette idée de diversité et d'intégration. On ne crée pas seulement des groupes avec des jeunes du quartier, mais avec tous, et cela nous enrichit énormément.

Et au début, seulement avec des jeunes du quartier ?
Jamais seulement avec ceux du quartier, non. Toujours avec tous et toutes. On avait déjà un groupe quand on a acheté cet endroit. On a simplement intégré les gens à ce groupe, avec toujours cette idée de maintenir cet espace de formation ouvert, afin que tous les habitants (les gens du quartier inclus) travaillent.

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait un devoir, une responsabilité ?
De notre point de vue, autant celui de Graciela que du mien, chaque artiste a un engagement. Un engagement avec le présent. Ici, dans cet endroit, nous accueillons la culture, qui nous nourrit, et à notre tour, nous nous nourrissons d'elle, nous l'intégrons. C'est cela. Nous pensons que les acteurs, les artistes, doivent travailler dans la réjouissance. Il doit toujours y avoir quelque chose à communiquer, sinon il y existe comme un manque.

Pensez-vous que le théâtre doive dénoncer quelque chose à chaque fois ?
Le théâtre raconte. Il raconte, expose, partage, assume. Lorsque l'on fait ça, on parle toujours d'un présent dans lequel il y a de la justice et de l'injustice.. Nous sommes engagés dans le fait de parler de choses que l'on tait où dont on ne veut pas parler. Dans notre groupe de femmes, par exemple, on travaille sur des thématiques de genre, comme la condition de la femme latino-américaine, ou de toutes les femmes du monde. Dans notre pays il y a beaucoup de cas de violences conjugales, et certaines conditions nous figent dans une idée parfaitement unidimensionnelles de ce que fait la femme. En réalité, le dénoncer serait comme une "intention de ...", alors qu'en parler permet de le partager et d'élargir les consciences.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Le théâtre a un potentiel énorme, puisqu'il permet d'intégrer tous les arts : la musique, la littérature, les arts visuels et tout le travail corporel que l'acteur apporte. Le théâtre a ce pouvoir là : il peut communiquer un message à partir de plusieurs disciplines. Et oui. Je crois que le théâtre est transformateur. Ici, par exemple, on a vécu des expériences particulières comme de faire des choix moins évidents. De se dire : "Très bien, on va monter En attendant Godot de Beckett, sur un terrain vague, sans aucunes autres constructions. Et ici, dans ce quartier, on a joué En attendant Godot grâce au soutien des voisins et des éboueurs (comme on ferme à 11h, ils arrêtaient leurs camions). A présent on comprend mieux le message.

On essaie aussi de travailler le plus possible avec ceux qui n'ont aucuns contacts avec l'art. On est persuadées que chacun peut comprendre et connaître la force de l'art. Son utilité. C'est ce que l'on fait, ici, au Teatro La Luna.

1 commentaire:

Unknown a dit…

Una buena ENTREVISTA !!!
A bientôt !
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