lundi 19 janvier 2009

Chela de Ferrari, metteur-en-scène liménienne

Pour commencer, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Oui, bien sûr. Je suis Chela de Ferrari, directrice artistique du Teatro de La Plaza, c'est une salle qui a ouvert il y a 5 ans, elle est à ma charge, cette salle et tout l'équipement de ce théâtre et toutes les productions. Ce n'est pas une salle que nous louons, c'est une salle où l'on produit des pièces et ma tâche principal est la programmation annuelle. Parfois je mets-en-scène, une fois par an ou une fois tous les deux ans je mets une pièce en scène ici.

Comment avez-vous eu envie de faire du théâtre ?
Quand j'étais petite, que j'avais 8-10 ans, je mettais-en-scène mes sœurs et mes voisins. J'écrivais des pièces, je les appelais, on jouait un peu et je les dirigeais et on les présentait pour les occasions familiales. C'est quelque chose que je faisais avec beaucoup d'intérêt, c'était mon meilleur jeu, ma meilleure manière de jouer. Ça, et une vieille caméra cassée de mon père, il n'y avait que le zoom qui fonctionnait, donc je l'utilisais et je m'imaginais des films.

Pouvez-vous nous raconter la genèse de la pièce que vous avez mise-en-scène, El beso de la mujer araña (Le baiser de la femme-araignée, de Manuel PUIG) ?
La dernière pièce que j'ai mise-en-scène, c'était Célébration, basée sur un film, Festen et plus tard réécrite pour le théâtre. Ce texte est tombé entre mes mains et c'est donc le dernier que j'ai travaillé. Dans le cas de cette pièce - j'ai toujours travaillé avec beaucoup d'acteurs, 17, 10-11 acteurs dans les précédentes - et soudain j'ai senti la nécessité de travailler une pièce plus intime, avec moins d'acteurs, un monologue ou peut-être 2 acteurs. Et en cherchant, j'ai trouvé ce texte.
L'union des opposés m'intéresse. Ça m'émeut quand j'apprends aux nouvelles qu'un enfant palestinien et un israélien jouent ensemble, par exemple. Ou quand des ennemis se rencontrent, l'union des contraires, des différences, le rapprochement des opposés m'intéresse. Et cette pièce, d'une certaine manière, c'est cela : deux personnages opposés, très différents, qui sont obligés de partager l'espace d'une prison, l'espace terrible d'une prison de Buenos Aires et ils sont obligés de s'entendre pour survivre. Il m'a paru intéressant de me demander : que se passe-t-il ? On est ici, obligés de partager cet espace, on doit donc s'entendre et on va trouver la manière. C'est un peu ce qu'il se passe aujourd'hui dans le monde, non ? On est là, dans cet espace, et comment se fait-il qu'on n'arrive pas à regarder l'autre au-delà, on regarde toujours avec des préjugés, comment fait-on pour s'en libérer et atteindre la véritable liberté ?
Et bon, toutes ces questions, j'ai senti que cette pièce me permettais, à moi et aux acteurs, de chercher un peu, d'essayer de répondre à ces questions.

Comment avez-vous travaillé ?
Dans un premier temps, on a cherché beaucoup de matière, on a beaucoup lu. J'ai passé aux acteurs du matériel qui pouvait les aider à trouver leur personnage. On a fait un bon travail d'investigation. Énormément dans mon cas, j'ai passé quasiment un an à chercher, à lire, pas seulement sur Manuel Puig (l'auteur), mais aussi sur le contexte historique de l'Argentine, sur l'homosexualité, sur la figure du Che Guevara, comme l'un des personnages est un guérillero. Les acteurs aussi ont regardé des images. Ça, c'était avant de commencer les répétitions, mais aussi pendant.
Et ensuite, on a simplement travaillé scène par scène, c'est une pièce qui demande beaucoup de détails. C'est très important de mettre au clair toutes les actions, et d'être toujours en train de se demander : qu'est-ce qu'il ya et qu'est-ce que je veux obtenir de l'autre ? Des choses élémentaires, en somme.

Vous avez surtout travaillé à partir d'improvisations ou à partir du texte seulement ?
A partir du texte, dans ce cas je ne me rappelle pas... - pour d'autres pièces oui, mais avec celle-ci, non, tout à partir du texte.

Vous nous avez dit que la pièce a reçu un accueil mitigé à ses débuts ?
Oui, la première représentation a eu lieu face à un public assez jeune, et on pensait que, comme ils étaient jeunes, la pièce allait être reçue de manière plus "ouverte". Mais on a eu une sacrée surprise parce que ça a été une première représentation très difficile et on croyait que toute la saison allait être comme ça : des rires nerveux, du rejet parfois. Mais au fur et à mesure des représentations, la pièce a trouvé son public.
Ce public très conservateur, qui sait qu'il y a une scène entre deux hommes et qu'il ne pourra pas le supporter, ne vient plus. Donc on a un public qui entre réellement dans la pièce et qui remercie profondément, qui laisse des silences très importants, qui les comprend et à qui la pièce parle. Ce n'est pas une œuvre tous publics, ce n'est pas une de ces pièces qui remplissent la salle comme on en a l'habitude dans ce théâtre. Ça n'a pas mal fonctionné, mais ça remplit moins la salle et cela, on le savait. Mais on est contents du résultat, des critiques qui nous parviennent.
Je ne pensais pas faire de cette pièce un étendard de quoique ce soit, non, je sentais simplement que c'était important de raconter cette histoire, de nous poser les questions que soulevaient cette pièce. Mais oui, je crois que c'est important de prendre des risques de toute manière. Je ne parle pas en tant que metteur-en-scène de la pièce - parce qu'en ce sens, je ne pensais pas à ça - mais en tant que directrice de cet espace : oui, on cherche des pièces risquées, des pièces nouvelles, contemporaines, qui parfois peuvent choquer le public, mais qui posent des questions, qui proposent des réflexions, et on le fait fréquemment dans cette salle, chaque année on essaie d'avoir une pièce comme celle-là.

Quelle a été la plus grande difficulté ?
... La plus grande difficulté... je crois que plus que difficulté - je ne parlerais pas de difficulté mais plutôt là où nous avons mis l'accent c'est dans le travail actoral, évidemment. Il y a deux comédiens et cette relation doit être absolument crédible. On doit sentir qu'à chaque instant il se passe quelque chose, qu'il y a comme un lien qui se tisse et, en ce sens, on a travaillé des heures et des heures pendant les répétitions, pour que chaque geste ait de l'importance, pour trouver un "pourquoi". La façon dont les acteurs se déplacent dans l'espace est également très importante.
Les acteurs proposaient, et ils m'ont donné la possibilité de tout essayer. Avec eux, je pouvais tout essayer. On a beaucoup travaillé l'espace, la relation spatiale, c'est un personnage à part entière dans cette pièce.

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait une responsabilité ?
Oui. Je crois qu'on a la responsabilité de raconter... on est un miroir, d'une certaine manière, où de l'autre côté il y a des personnes qui se regardent. Ce qu'ils voient, ce ne sont pas des choses qui se passent à d'autres endroits, sur une autre planète, elles se passent ici et maintenant.
Nous parlons de qui nous sommes, de ce que nous voulons et ce pays, le Pérou, a besoin d'une plus grande identification, il y a un problème d'identité. Donc oui, on a une grande responsabilité avec les histoires qu'on raconte.
Je crois que l'artiste est responsable de cela. Mais je crois aussi qu'il y a des nécessité très particulières, intimes. J'ai des nécessités particulières, cette pièce je l'ai montée parce qu'il y a une histoire personnelle. Mais cette histoire à un rapport avec d'autres. Je ne suis pas une extraterrestre (rires), ce qu'il m'arrive, c'est plus ou moins ce qui arrive à d'autres, mes inquiétudes, mes questions sont celles d'autrui. Le personnel et le social se trouvent mêlés ici.

Pensez-vous que le théâtre doive systématiquement dénoncer, ou peut-il être un pur divertissement ?
Personnellement, ça ne m'intéresse pas de faire une pièce qui ne soit que du divertissement parce que je m'ennuie beaucoup. Mais je comprends qu'il y ait ce besoin, et je comprends parfaitement qu'il y ait des gens qui aient envie d'en faire. Moi, ça ne me suffit pas, mais je le comprends, et je ne crois pas que ça soit mieux, ou moins bien, je ne juge pas, je crois que ça a de l'importance aussi.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Beaucoup de gens m'ont dit, après avoir vu la pièce : "C'est comme si j'avais vécu beaucoup de temps. Ce ne sont que 2h, mais j'ai compris des choses qui prennent plus de temps à comprendre dans la vie." Je crois que c'est ça que fait le théâtre : il nous accélère. Tout à coup on comprend des choses.
Aujourd'hui je pense qu'on est fous, on n'a pas le temps de s'arrêter. Entre internet, le portable, on n'a pas le temps de se poser des questions, de regarder. Je crois que le théâtre nous permet d'entrer dans un univers en très peu de temps et de nous poser des questions, de nous regarder nous-mêmes aussi.

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