jeudi 15 janvier 2009

Jorge Rodriguez, La Gran Marcha, Lima


Pouvez-vous vous présenter en quelques phrases ?
Bonjour, je suis Jorge, je vis ici, à Comas. J'aime beaucoup cet endroit, et j'ai envie d'y faire quelque chose qui me plaise avec les enfants du quartier et les voisins.

Comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
Par conscience. J'aime l'art. Depuis tout petit, je dessine. Mon père a été musicien, bohème, et du coup j'ai toujours cherché un endroit ou faire des choses manuelles, j'aime fabriquer ... et le théâtre est arrivé pour une raison purement sociale : aider le quartier, par le biais de l'Église. On a donc monter une pièce pour attirer du monde, en parlant d'un sujet qui touchait chacun. Ensuite, on faisait passer le chapeau. Et l'argent allait à ceux qui en avaient vraiment besoin. C'est comme ça que le théâtre a commencé. Cela a enclenché une réflexion sur soi, comment s'améliorer soi-même, mais aussi sur le thème du quartier, sur le fait de vivre le mieux possible ensemble, en communauté...

Vous êtes acteur, metteur-en-scène ?
Je suis acteur, et autodidacte. Il n'y a pas d'école de mise-en-scène ici. Je suis directeur de La Gran Marcha, mais je me considère plus comme un promoteur, un provocateur ou un animateur. Le tout est d'essayer de changer quelques petites choses dans le quartier.

4. Vous avez commencé avec La Gran Marcha, d'où vous est venue l'idée ?
Ce groupe est né dans une église, dans une paroisse. Le nom est irlandais. Et il a grandit comme ça, avec ce nom, et on ne voit pas de raisons de le changer. On commence à donner un sens bien particulier à ce que l'on fait. Et le nom entier : La Gran Marcha de Los Muñecos, c'est parce que les interventions que l'on fait dans la rue sont conséquentes. On a choisi de faire de la rue un espace théâtral. D'y amener nos personnages, nos histoires... Cela existe depuis les années '90. Et on vit de cela, enfin on survit. Il s'agit plutôt d'une "résistance culturelle". C'est très difficile, on rencontre beaucoup d'obstacles. On sait très bien qu'il n'y a aucun soutien financier de la part du ministère de la culture. C'était encore pire durant la dictature, c'était dangereux de faire n'importe quelle activité culturelle. Il faut donc faire de l'art en résistance, et avec beaucoup de créativité. Car aujourd'hui, l'école n'a aucune connexion avec la culture. C'est incroyable. Il y a une incohérence totale dans l'éducation, dans la formation de l'élève. Par exemple, on voit des défilés scolaires, dans le style marche militaire, au lieu de créer quelque chose de plus créatif. Non, ils font des concours de marche, à celui qui lèvera la jambe le plus haut, qui sera le plus rigide. C'est un peu ironique dans un pays comme le nôtre, non ? Mais bon, on arrive à changer les choses, petit à petit.

Au sein même du quartier ?
Oui. Mais il faut commencer par s'aider soi-même. Trouver un degré de bonheur, ce n'est pas toujours évident. Là il s'agit de nos voisins, de nos amis, d'un partage. Marcher dans ton quartier et saluer ton prochain avec un sourire, et qu'il te rende ce sourire. Demander comment ça va, tout simplement... Avant, cet endroit était dangereux, il y avait des gangs, beaucoup de violence. On essaie de changer cela. Les gens du quartier le comprennent. Hélas, tout cela a une limite, dans le sens où l'on veut l'impossible. (rires)

Comment travaillez-vous au sein de groupe ?
On est une équipe de 7 personnes, et on essaie de vivre de cette activité artistique. On vend un "produit" en allant vers ceux qui reconnaissent notre travail. On donne quelques ateliers également, en partageant notre expérience avec les enfants, les jeunes ... c'est grâce à cela qu'on réussit à vivre. Certains veulent apprendre d'avantage, diversifier leur expérience, aller vers quelque chose de plus professionnel, et effectuent un apprentissage actoral plus poussé, avec d'autres intervenants. Mais la majeur partie de notre travail vient de notre propre investigation. Il n'y a pas d 'école de théâtre de rue ici. Les écoles officielles au Pérou proposent du travail pour la scène, en salle. Et la plupart sont très semblables à celles qu'on rencontre dans les autres pays. En Europe notamment. Ici à La Gran Marcha, on cherche à faire un théâtre qui nous appartienne davantage. Parfois par le discours, parfois par le langage, que cela se rapproche de ce que l'on est. Et on joue avec tout cela.

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait un devoir, une responsabilité ?
Oui. Avec lui-même, avec ceux qui l'entourent. On travaille aussi dans ce sens-là. Car les préoccupations des jeunes d'aujourd'hui tournent autour d'eux-même, c'est "moi je" et rien de plus. Ce qui nous intéresse, nous, c'est justement les relations inter-générationnelles. Avec la société aussi. On cherche à développer la solidarité, et on travaille beaucoup dans ce sens.

Pensez-vous que le théâtre doive systématiquement dénoncer quelque chose, ou peut-il être seulement du divertissement ?
Je pense que le théâtre doit divertir tout en faisant réfléchir. Cela doit être une réflexion. Bien sûr il existe du pur divertissement. Mais La Gran Marcha a opté pour du théâtre "réflexif". A la fois réflexif et divertissant. Ici, au Pérou, cela me semble important de penser les choses, que la réflexion soit quotidienne, normale. Certains ne prennent jamais de recul, apprennent ce que racontent les livres et c'est tout. Mais il faut essayer de comprendre sa réalité, pour pouvoir la changer. Ici, on a l'espoir de l'améliorer. Moi, je crois que le paradis est ici, il suffit de le découvrir en nous-même.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Beaucoup. Ici, dans ce genre d'endroits, beaucoup. Beaucoup. Car le théâtre permet le questionnement. Comme c'est inventif, qu'il faut toujours créer de nouvelles choses, cela implique une réflexion constante. On est confronté à des vérités qu'on ne nous a jamais enseigné à l'école. Et ces réalités apportent énormément aux gens. Ils apprennent aussi à s'exprimer, à communiquer avec autrui, à regarder l'autre, à toucher l'autre ... Je pense qu'avec tout cela on peut changer son quotidien. Le théâtre que l'on fait ici a su motiver la communication entre les habitants. Par exemple, pour l'aménagement des rues dans le quartier, les architectes demandaient leur avis à chacun : "Tu préfèrerais que cet espace soit plus large ?" etc ... Il y a même eu des assemblées créatives, où chacun disait ce dont il avait envie. Avant, toutes les décisions venaient d'en haut, maintenant c'est un partage ...

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