mardi 20 janvier 2009

Edgard Guillen en casa, Lima

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Bon, je suis un vieux comédien, j'ai consacré toute ma vie au théâtre, et comme je vous l'ai raconté, les 18 dernières années, j'ai fait du théâtre chez moi : Edgard Guillen en Casa. L'une des particularités est que je ne faisais pas payer l'entrée, le chapeau tournait après le spectacle. Et le plus important selon moi, c'est que je faisais et que j'ai toujours fait le théâtre qui me plaisait, à moi, je n'ai rien voulu concéder, pas de théâtre qui rameute toute la population, non, même s'il est venu beaucoup de monde. Mais les gens venaient voir 2 grands classiques. Faust de Goethe, et Richard III, de Shakespeare. Deux adaptations, donc l'une, Richard III a été traduite par Alonso Alegria, un dramaturge péruvien, car la traduction en espagnol est horrible, tellement horrible que j'ai demandé à Alonso d'en faire une. Il parle très bien anglais, et très bien espagnol. C'est un dramaturge. C'est une version très "jolie" (en français dans le texte) ... (rires)

Comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
Bien. J'aurais du être médecin. Je venais d'intégrer la faculté de médecine, lorsque j'ai fait un petit tour dans le centre de Lima, et je suis passé devant le Théâtre de San Marco (car j'ai toujours été rattrapé par le désir d'être chanteur, danseur, acteur ...). Je suis rentré à la maison, et j'ai dit : "Je n'ai pas été pris en faculté de médecine." Mon père m'a répondu : "Bon. Peu importe." Et voilà, cela fait 48 ans que je fais du théâtre. Je me suis entièrement consacré à ça. Je suis allé en Europe, en Espagne, à Madrid, j'ai eu beaucoup de chance car j'ai beaucoup travaillé. Et ensuite, c'était l'époque de Franco, c'était une période un peu dure, cela dit il y avait du bon théâtre, du théâtre très contestataire. Et le théâtre de Franco ... moi-même j'ai travaillé avec un metteur en scène qu'il (Franco) avait envoyé pour faire du théâtre. Et puis est arrivé le moment où cela m'a un peu fatigué. Dans les années '62-'63. Et j'ai décidé de voyagé, très jeune. Je voulais aller en Angleterre, mais je n'ai pas pu.
Au final j'ai eu beaucoup d'expérience dans le cinéma, mais comme traducteur, comme acteur dans des petits rôles comiques, mais avec de grands comédiens. Cela m'a beaucoup appris. J'ai suivi bon nombre d'ateliers, de cours ... je suis allé au théâtre, à Londres par exemple, à Paris, s'il vous plaît ! Jean-Louis Barrault, Madeleine Renaud, et j'ai pleuré tout le long du spectacle. Il y a eu comme un impact esthétique. Je ne parle pas français, mais je connaissais la pièce ... les deux interprètes étaient tellement extraordinaires ! Madeleine Renaud est venue au Pérou, dans les années '70, avec Jean-Louis Barrault et le Théâtre National Populaire. Elle a joué Le jeu de l'amour et du hasard, Hamlet, et une autre pièce de Marivaux. Ici, nous n'avons pas vu de très bon théâtre depuis longtemps. Cela a beaucoup changé et maintenant ce sont les jeunes qui ont repris le flambeau. Ils font beaucoup de choses. Moi, en jouant chez moi, je me suis un peu déconnecté du milieu (avec l'âge on change beaucoup). Je me suis dit : "Je vais rester dans mon château, dans mon petit château (ma maison ma plaît énormément)" Et voilà, j'ai donné bon nombres de spectacles entre ces murs, et ma particularité était de jouer tous les personnages. Je joue, je mets en scène, j'ouvre la porte, je passe le chapeau, j'allume et j'éteins la lumière ... je fais TOUT !

Et ce n'est pas difficile de s'auto-diriger ?
Ça l'a été au début, oui. Je vais te raconter. Mon expérience a été très rapide. Quand je suis revenu d'Europe, j'ai monté un groupe qui s'appelait le Pequeño Teatro, je cherchais un metteur-en-scène aussi fou que moi, mais il n'y en avait pas. Alors un jour j'ai appelé un ami qui m'a dit : "Si tu sais si bien ce que tu veux faire, et bien fais-le toi-même, fais-le toi-même !" Et moi de me dire "C'est ça, je vais mettre-en-scène." J'ai autant dirigé que j'ai joué. Du coup me diriger moi-même n'était pas difficile.

Et cela a beaucoup plu au public, non ?
Oui, il est venu beaucoup de monde. Ces pièces ont bien marché. J'ai eu l'occasion de travailler avec deux metteurs-en-scène italiens. Je montais un Tchekov, en travaillant des heures durant, des mois durant pour un one man show, et cela faisait un spectacle de 6 heures ! Ces italiens sont venus, très sympathiques (l'un est Argentin et l'autre Italien), j'ai vu leur travail, ici, dans un festival, je suis allé les voir en leur demandant de m'aider à raccourcir mon spectacle. On s'est enfermés dans un théâtre de 7h du matin à 7h du soir. On a raccourci le spectacle à 1 heure ! Et avec ça, j'ai voyagé dans toute l'Europe. Pas toute l'Europe, mais dans beaucoup d'endroits, et dans toute l'Amérique latine.

Combien de temps, donc ?
Très longtemps. 19 festivals.

La pièce a beaucoup évolué ?
Ce qui a changé le plus, c'est le regard que je portais sur Tchekov. C'était un travail très personnel, puisque c'était mon histoire, pas mon histoire personnelle, mais le problème de l'acteur, qu'est ce qui est réel, qu'est-ce qui ne l'est pas, la métaphore de la réalité et de l'irréalité dans le théâtre. Cela a beaucoup plu, parce que cela faisait réfléchir les gens. Et moi aussi.

Comment avez-vous fait votre publicité, pour faire venir les gens chez vous ?
Par le journal. Par chance, dans le Comercio (journal péruvien, ndlr), il y a un listing intitulé "Teatro" avec toutes les sorties, et j'y étais. J'ai joué tous les jours, durant 48 ans, sans m'arrêter. Je te jure. Je n'ai presque jamais pris de vacances. Maintenant, je suis en vacances ... mais j'écris une pièce. L'idée est très belle, car c'est une rétrospective, cela va s'appeler Variaciones de una retrospectiva (Variations d'une rétrospective, ndlr). L'idée est très sympa. Seul sur scène avec une malle d'où je sors des habits, des choses, avec des éléments de chaque pièce, mais avec un thème central, hein. Le personnage principal se trouve dans une grotte après la troisième guerre mondiale, 2000 ans ont passé, et il ne sait pas ce qui se passe au dessus de sa tête. Tous ces éléments le maintiennent en vie. Donc ça commence comme ça, et tout le long je rejoue les pièces que j'ai donné ici, mais je ne sais pas comment ça va se terminer. Je ne sais pas si ce monde va être merveilleux ou horrible.

Et avez-vous pu vivre de cela ?
Survivre (rires). Oui. Mais j'ai eu beaucoup de courage, de force. J'ai auto-géré les évènements, à une époque où je produisais de grandes choses, des spectacles de 30 personnes. Il y avait plus d'argent, aussi. Mais peu à peu ça a changé, tu sais que la politique du pays n'aide pas les arts de la scène, il n'y a jamais eu d'appui du gouvernement. Moi, j'ai appris à lutter, à me défendre, mais il y a beaucoup de grandes compagnies qui naissent aujourd'hui et meurent au bout de 4 mois, d'autres ont vécu 1 an, tout a toujours été précaire.

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait un devoir, une responsabilité ?
Je crois que oui. Mais aujourd'hui, à mon âge, je pense que la plus grande responsabilité est avec soi-même. Et je pense que c'est beau de vivre sa vie en faisant du théâtre pour le partager avec les gens. C'est une manière de socialiser. Je ne crois pas que le théâtre puisse changer le monde, hein, je ne crois pas. Il aurait déjà dû changer. On parle de siècles de théâtre ! Faire du théâtre, c'est comme un vice personnel. Et c'est une affaire entre l'auteur, l'acteur et le public. Rien de plus.

Pensez-vous que les pièces doivent dénoncer quelque chose à chaque fois ?
Dénoncer ? Oui. Quand j'ai joué Tchekov ou que sais-je, c'était le questionnement sur l'être humain, avec un monologue très fort. L'être humain est en réclame. Cela est important. Le côté politique m'importait moins, cela dit il y a toujours un parti-pris. Soit tu es d'accord, soi tu ne l'es pas. C'est pour cela que j'ai monté Richard III. Parce que je pense que c'est une métaphore du pouvoir. Richard veut tuer toute sa famille pour le pouvoir. Donc dans mon adaptation, lorsque ça commence, il est déjà en enfer. Et toutes les nuits, il raconte son histoire, et toutes les nuits, il meurt. Car c'est une punition, il est assassiné par toutes les personnes qui ne l'aiment pas. Quand à Faust , c'est une manière de dénoncer ce qui se passe lorsque l'on n'est pas conforme à la règle. Je faisais 3 personnages : Faust, Mefistofeles et Margarita. La dramaturgie était bonne. Ça a très bien donné. Car le même moment est raconté par 3 personnages différents. Et c'est Margarita qui termine le drame.

Et combien de temps a duré la pièce ?
1 heure. C'était très agile, très amusant aussi, on peut voir les photos ici ... (il se retourne et nous montre). Et au final, je faisais les 3 personnages avec des petits changements visuels. Ce fut une très belle expérience. Après cela, j'ai fait un travail sur Sarah Bernhard, Sarah Bernhard y las memorias de mi vida, et elle était un prétexte pour parler de politique et ces possibilités sexuelles de chacun dans le cadre de certains régimes politiques. Là, il y a des photos (il montre à nouveau).

Que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Ce qu'il peut apporter ? Je pense qu'il y a une sensibilité que nous avons tous l'obligation de laisser sortir. Mon expérience est très belle : comme je ne faisais pas payer l'entrée, les gens venaient car c'était gratuit. Gratuit ! Faust ! Et le plus intéressant dans tout cela c'est qu'après la pièce, le public restait 2 heures durant à papoter avec moi. "Pourquoi faites-vous du théâtre ?" Cette interview que l'on fait, je la faisais tous les soirs. " Mais qu'est-ce que c'est chouette le théâtre ! Je n'y étais jamais allé jusqu'alors ... " disaient certains.

Et il y avait toutes sortes de gens dans le public ?
Toutes sortes. Au Pérou, il y a des différences de classe sociales énormes. Les gens venaient de quartiers très éloignés, 2 heures de trajet. Ça a été une expérience inouïe.

Et cela a changé quelque chose dans votre vie ?
Beaucoup. Je me suis rendu compte que j'étais maintenant un véritable "communicateur social", car je réponds aux questions de gens, je leur dis ce que je pense du théâtre, et je me rends compte que les gens veulent des choses de qualité. Ici sont venus des enfants, ce sont de merveilleux spectateurs ... bien sûr, j'ai essayé de faire des choses très agiles. Et quand je demandais : "Vous vous êtes ennuyé ?" "Noooon !" La culture n'ennuie pas. Goethe est une chose compliquée, mais c'était fait d'une manière très directe, très claire. Au début, je croyais que non, puis j'ai vu que si...

Caroline : Merci beaucoup Edgard !

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