mardi 13 janvier 2009

Fernando Zevallos de La Tarumba, Lima

Pour commencer, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Voyons... je suis Fernando Zevallos, je fais du théâtre et du cirque, comme acteur et metteur-en-scène. Je suis aussi l'un des directeurs de La Tarumba, qui est cette école de théâtre-cirque-musique pour enfants, jeunes et adultes.

Il y a plusieurs directeurs ?
Nous sommes deux. Stella Paredes et moi. Stella s'occupe de toute la partie gestion, organisation, production, et moi de la partie artistique.

Comment vous est venue l'envie de faire du cirque ? Et du théâtre ?
Le cirque, c'est parce que je vivais à un bloc d'un endroit où, chaque année arrivaient les cirques. Et pas seulement un, normalement il y en avait deux, une fois il y en a même eu cinq, parce que c'était un grand terrain. Il se montait donc là-bas une espèce de festival de cirque. Et les artistes, ou les travailleurs du cirque en général louaient beaucoup de chambres dans les maisons du quartier où je vivais. Donc, à partir de là j'ai été en relation avec le cirque, j'y suis entré petit à petit, en devenant ami avec les enfants, en jouant, j'ai commencé à apprendre et je n'ai jamais arrêté jusqu'à présent !
Et le théâtre... quand j'avais 16 ans je voulais partir avec le cirque, et, logiquement, ma famille ne me l'a pas permis, et je le comprends totalement, ce n'était pas très sûr que je m'en aille avec ces cirques, d'autant que j'avais 16 ans, j'étais encore au collège. Donc ils ne m'ont pas laissé partir, je me suis offensé et je me suis rebellé : j'ai changé de collège, je suis parti vivre quelque temps chez mon oncle et à ce collège où je suis arrivé, j'ai découvert qu'il y avait un club de théâtre, et c'était pour moi la discipline la plus proche du cirque. Quand j'ai découvert le théâtre, j'en suis tombé amoureux. A cette occasion, j'ai pu entrevoir ce qu'est aujourd'hui La Tarumba : réunir le cirque et le théâtre.

Pouvez-vous nous raconter la genèse de La Tarumba ?
La Tarumba naît en 1984 de manière officielle. Mais comme je t'ai dit, depuis mes 16-17 ans j'avais déjà l'idée de créer un groupe où pourraient se combiner les deux disciplines et donc, en 1983 j'ai fait un essai : j'ai invité des jeunes, je leur ai appris des choses de cirque, j'ai mis en place un théâtre et on a sorti un spectacle cette année-là qu'on jouait dans les rues, sur les places, comme un essai de ce que pourrait être La Tarumba : il y avait du théâtre, du cirque et de la musique en live. Après un an passé à travailler dans la rue, en février '84, on a décidé de fonder La Tarumba. De ce groupe que j'ai rassemblé, nous étions neuf, nous sommes restés trois, nous l'avons fondé et à partir de nous trois ça s'est pas mal développé, je crois.

Est-il difficile de développer un groupe de ce genre au Pérou ?
C'est difficile, comme peut être difficile n'importe quelle activité professionnelle au Pérou et, j'imagine, dans beaucoup d'autres pays. Moi je n'aime pas penser que la vie d'artiste est un sacrifice. Je crois, au contraire, que de pouvoir vivre professionnellement de ce qui te plaît, c'est un privilège. Et c'est un privilège qui se construit. Mais, oui, définitivement, il faut travailler dur, comme pour n'importe quelle activité. Dans le cas de La Tarumba, je dis toujours qu'elle est née avec des lutins, avec de la magie. Parce que dès le premier spectacle, le public a très bien accueilli notre travail, et réellement, pour trois personnes qui n'avaient pas de capital, pas de salle pour répéter, avoir réussi à obtenir cette maison, l'espace en face, la tente et surtout la quantité de personnes qui vont aux spectacles, qui inscrivent leurs enfants ici et qui nous font confiance, pour moi ça sera toujours hallucinant.

Depuis combien de temps avez-vous cet espace ?
Nous avons cette maison depuis 1992. Rends-toi compte, si en '84 on l'a officiellement fondée, en '92, 8 ans après, on pouvait déjà avoir cette maison. C'est vraiment pas quelque chose de très fréquent, du moins ici. Surtout en ces temps, qui heureusement vont en s'améliorant, de beaucoup de violence, de beaucoup de misère, de beaucoup de corruption. Nous avons pu toujours rester au-dessus de la vague, si je puis dire, et cela tient non seulement à la conviction, à la foi avec laquelle nous avons assumé le projet de La Tarumba, mais aussi à la chance que nous avons eue de pouvoir sortir, voyager. Nous avons donc pu, durant les périodes difficiles ici au Pérou, nous avions des tournées permanentes à l'extérieur, on allait et on venait. Et cela nous a permis aussi de nous faire un capital.

Vous avez donc toujours pu poursuivre vos activités ?
Oui, depuis qu'on a commencé, on a jamais arrêté ! (rires)

Comment travaillez-vous au sein de La Tarumba ?
Dans la partie création de spectacles, je t'explique ce qu'on fait cette année, par exemple. Cette année - où l'on fête en plus les 25 de La Tarumba - nous abordons un thème très péruvien : nous prenons une partie de la côte, Chincha, et une autre de la montagne, qui sont deux départements voisins. Au fil des années s'est créé, même avant les Incas, un transit entre la côte et la montagne à partir de cet endroit, qui a généré un métissage de races, de cultures, de musique. Et il y a dans cette région une conception de pays qui m'intéresse beaucoup, dans laquelle se mélangent l'indigène, le noir qui est arrivé apporté par les Espagnols et les Espagnols. Et je crois que c'est important d'aborder ce thème maintenant, parce qu'il nous manque encore au Pérou de nous assumer en tant que Péruviens. L'autre fois - je fais un commentaire rapide - il y avait une émission à la télé où ils montraient des photos de Péruviens aux gens dans la rue et ils leur demandaient : "Qu'est-ce qu'un Péruvien pour vous ?" et les réponses des gens étaient... folles. Par exemple, il y avait une dame qui voyait un homme blanc et qui disait : "Ça c'est un Péruvien". Il y en avaient d'autres qui se référaient à un noir, d'autres à un indigène. L'idée de ce que c'est, d'être Péruvien est encore un peu confuse.
A partir de ce thème, ce qu'on a fait toute l'année 2008 c'est d'aller à chacun de ces endroits, apprendre sur la culture, la musique. On accumule beaucoup de travail d'investigation tout en répétant la partie technique. Ensuite on travaille à partir d'improvisations, de créations dans l'espace et on donne forme à la matière. J'essaie de maintenir la liberté des acteurs et ma propre liberté en tant que metteur-en-scène. Je crois que si on découvre tout à coup, après 7 ou 8 mois de travail, quelque chose qu'on cherchait, une semaine avant, bon, ça prendra du temps pour mûrir, mais je ne veux pas m'enfermer dans une idée fixe.

Pensez-vous que l'artiste ait une responsabilité ?
Je crois que l'acteur de théâtre, ou de cirque a une grande responsabilité. Et La Tarumba a une grande responsabilité parce que, d'un côté on reçoit la confiance des gens - ça, ça donne déjà une responsabilité. Et d'un autre côté, on doit assumer une responsabilité envers la profession, pour le développement, l'accroissement constant. Parce que le théâtre et le cirque sont des arts vivants, s'ils ne sont pas en mouvement et en développement constants, ils perdent leur sens. Et ça c'est une responsabilité qui, je crois, doit être implicite pour n'importe quelle personne qui se consacre au théâtre, qu'il soit acteur, metteur-en-scène ou technicien. En général, pour n'importe quelle activité dans la vie. En plus, on a une responsabilité, la plus importante je crois pour moi : c'est un espace privilégié, qu'une société, une communauté, un public, octroie à quelqu'un et cela, il faut le recevoir avec l'attention et le respect qu'il mérite.

Pour finir, que pensez-vous que les arts scéniques puissent apporter aux gens ?
Beaucoup, je crois. Je crois que, surtout aujourd'hui, dans un monde globalisé où tu as au cinéma tout ce que tu peux imaginer, avec internet la proximité avec des gens de différents endroits, pourquoi le théâtre, par exemple, qui est un rituel qui se fait face à peu de gens - même si tu as une salle de 1000 personnes, si tu prends en compte le contexte mondiale, ça fait peu de gens - pourquoi jusqu'à maintenant le théâtre ou le cirque ont cette quantité de gens, ce public interessé ? Je pense que c'est parce que ce sont des arts qui sont réellement un canal d'expression pour le public. C'est comme un des visages de la sculpture : c'est une nécessité que les cultures, les sociétés, les communautés ont de s'exprimer d'une certaine manière, de se refléter, de se regarder, de se créer des miroirs, de se réaffirmer ou de se confronter.
Plus qu'un "show" - je n'aime pas dire "show" - vit là l'essence du rituel, du rituel qui a mené à la création des arts scéniques.
C'est comme s'alimenter, boire de l'eau : c'est vital ! (rires)

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