mardi 10 février 2009

Carlos Zatizabal, Rapsoda Teatro, Bogotá


Tout d'abord pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Bien. Je fais partie de la Corporacion Colombiana de Teatro, dont voici le siège (il montre autour de lui), il s'agit d'une organisation faite par les artistes de théâtre colombiens. Cette année, la Corporacion fête ses 40 ans. Je travaille ici depuis environ 18 ans, et durant tout ce temps j'ai participé à la plupart des activités du groupe, l'organisation de festivals par exemple : El Festival de Mujeres en escena, El Festival de Teatro Alternativo ... on organise des rencontres en rapport avec la culture colombienne, son conflit, cette guerre qui persévère dans le pays depuis un certain temps. Et pendant ces années de travail, on a aussi monté une pièce qui a eu beaucoup de succès, en Colombie et à l'étranger, "El Opera-rap", comme certains de nos jeunes rappaient. C'est à partir que ça qu'on a fondé El grupo Rapsoda, dont Patricia et moi sommes les directeurs. La compagnie fête ses 15 ans. Certains de nos textes ont été écrits par Patricia et moi, et on a été inspiré par le projet de création collective d'Enrique Buenaventura.

Comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
Bien. Depuis tout petit. Parce que j'ai eu la chance d'avoir une tante qui a été la femme du frère d'Enrique Buenaventura, et de ce fait, j'allais déjà au théâtre étant gamin. J'ai connu le théâtre expérimental de Cali (TEC, ndlr), Enrique, et beaucoup de gens de théâtre de Cali. Je suis de là-bas. Chez moi, il y avait beaucoup d'artistes, surtout du côté de mon père, des musiciens, des danseuses, les sœurs de mon père, mon père aussi était un peu artiste. Donc c'est pour ça... ensuite ça a été mon tour.

Comment travaillez-vous au sein du groupe ? Vous ne faites que de la création collective ?
En général, tout commence là, oui. Car finalement, ceux qui se retrouvent à jouer une situation face à un public, ce sont les acteurs. Le travail que nous faisons, celui de mettre en scène, d'écrire, de composer, est différent du travail de comédien, car nous, on intervient pendant les répétitions, pendant la "préparation" du spectacle. Mais on ne peut pas, sous prétexte de création collective, éliminer certains rôles. Il est nécessaire d'avoir un œil extérieur, une direction d'acteur, un représentant du public. De personnages plus spécialisées dans certaines choses. Pour la création musicale, par exemple, la musique n'intéresse pas tout le monde, ce qui motive c'est la perspective de l'invention, donc il faut quelqu'un qui aide à la direction musicale, et travaille avec les acteurs. Parfois c'est l'un des membres du groupe, parfois non. Ça dépend. De même que l'écriture des textes, très souvent, se fait au fur et à mesure des improvisations des comédiens. Mais il faut souvent un certain talent, une poésie, pour parvenir à effectuer ce travail-là. Toujours en accord avec les acteurs, tester sur scène, ce qui fonctionne le mieux, utiliser ce mot plutôt qu'un autre. Pour ce qui est de la stucture du spectacle, on part souvent d'une pièce qui a déjà été écrite, par l'un d'entre nous, ou de la pièce d'un dramaturge. Par exemple, l'un des spectacles que l'on eu au répertoire : Guadalupe años cincuenta, est une pièce du Teatro de la Candelaria, écrite par l'ensemble du groupe. Nous n'avions plus qu'à la monter. Et au sein de notre compagnie, c'est pareil : je suis dramaturge, Patricia aussi. La pièce que je vous invite à voir Jeudi, Olimpia, comporte certaines scènes écrites par Patricia elle-même, d'autres par une dramaturge espagnole, Margarita, et une dramaturge argentine, dans une autre adaptation : Olimpia o la pasión de existir. Donc à partir de ça, d'une mise en espace, d'une structure de scène, les comédiens ont improvisé, proposé des choses, etc ... c'est comme ça que ça a commencé. Il y a beaucoup de manières d'appréhender le travail de création collective. Mais ce qui est toujours présent à l'esprit, c'est le fait de reconnaître l'acteur comme étant le poète de la scène. C'est sur lui que repose le jeu du spectacle, la relation avec le public, finalement. Donc ce que l'on travaille le plus dans la création collective, pour répondre à ce jeu, c'est l'improvisation. Le comédien sur scène, durant la représentation, doit parfois réagir en fonction de ce qui se passe dans le public, jouer avec, le prendre en compte sans être déstabilisé. Si un chien débarque sur le plateau, qu'est-ce que tu fais ? (rires)

Et combien de temps durent les répétitions généralement ?
C'est pareil. Il n'y a pas de durée définie. Du genre :"En deux mois on boucle les répétitions". Ça dépend. Si la création collective part du groupe, de ses questionnements, de ses centres d'intérêt, ça prend parfois du temps. S'il n'y a aucune proposition par exemple, s'il y a seulement le désir de monter une nouvelle pièce, il faut commencer par se demander ce que l'on veut, qu'est-ce qui nous préoccupe, et qu'est-ce qui préoccupe le public, aussi. Observer ce qui se passe dans le monde, au sein de son pays en particulier. Débusquer tout cela demande une investigation à plusieurs niveaux, culturel, poétique, politique, théâtral... et lorsque l'intuition de ce dont on pourrait parler se développe après plusieurs réunions, on peut commencer les improvisations, pour explorer l'inconscient du groupe, son désir. Et trouver quelque chose. Le thème qui nous intéresse. Ça, c'est l'une des manières de procéder. C'est assez long, ca peut durer deux ans. L'autre façon de faire, c'est quand le groupe dispose d'un dramaturge et que celui-là propose des textes. Cela économise beaucoup de temps. C'est un point de départ plus avancé dans le sens où celui qui écrit s'est déjà préoccupé des intérêts du groupe. Cela dit, la construction des images théâtrales, des actions, des regards, des mouvements, demande elle aussi beaucoup de temps. Improviser, essayer, chercher, de manière expérimentale. C'est une autre manière de faire du théâtre. Le rôle du metteur-en-scène, du dramaturge, est minime, dans le sens où l'on a pris conscience que le grand pouvoir du spectacle surgit dans la pratique. De la proposition de l'acteur. Même si le metteur-en-scène et le dramaturge interviennent dans cela aussi. Cette pièce que j'ai écrite, c'est à force de l'essayer sur scène que j'ai vu ce qui n'allait pas, que j'ai changé le texte.

Pensez-vous que l'artiste ait une responsabilité, un devoir ?
Mais comme tous les citoyens, non ? On ne vit pas en dehors d'une ville, d'un pays, ou du monde. Et en général, les artistes, par leurs questionnements, leur manière de faire de l'art, sont toujours en relation avec un public, avec les intérêts des gens. Ce sont nécessairement des préoccupations d'ordre politique et social dans le sens large du terme. Tu ne peux pas parler de quelque chose qui ne fasse pas partie de notre univers. Parce que sinon tu ne te fais pas comprendre (rires). Enfin, certains font a, mais leur travail est parfaitement hermétique et obscure. Personne ne comprend, ça ne raconte rien. C'est un art vide. Mais ça existe. Le marché actuel encourage cela. Il y a certaines structures mercantiles qui cherchent à créer un vide dans l'âme collective et dans le cœur des gens. Mais ce n'est pas notre cas. On a conscience du fait que notre travail est dirigé vers un public particulier, celui qui côtoie notre théâtre, le public de cette ville, de ce pays. Ce qui se passe ici nous préoccupe beaucoup.

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Bonheur, joie et réflexion. Dans le fond, c'est pour s'amuser, se divertir. Mais dans le cas de notre théâtre, on cherche à faire rire de nos propres conflits. Pour mieux les comprendre. A travers la réflexion musicale, théâtrale, corporelle, on crée des questionnements. Il ne s'agit pas de résoudre un problème, mais de poser des questions. De manière plus allègre, car ca ne touche plus seulement la raison mais l'humain dans son intégralité. Cela produit une pensée heureuse. Même si les histoires que nous proposons sont parfois très douloureuses, il y a de la joie à comprendre.

Aucun commentaire: