mercredi 18 février 2009

Fabio Rubiano Orjuela, dramaturge et directeur du Teatro Petra, Bogotá

Pour commencer, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis Fabio Rubiano Orjuela, colombien, je suis directeur et dramaturge du Teatro Petra ici à Bogotá.

Comment vous est venue l'envie de faire du théâtre ?
J'ai commencé 4 cursus universitaires : biologie, biochimie, ingénierie industrielle et économie. Je suis resté 2 ans dans le premier, un semestre dans le 2ème et le 3ème et 4 semestres en économie. J'ai eu mon bac très tôt, à 16 ans, et j'ai commencé à étudier... c'était pas très clair pour moi, quand j'étudiais l'économie, je me suis inscrit à l'école de théâtre. Le soir j'étudiais l'économie et le matin, le théâtre. Et un jour j'ai décidé de ne pas retourner à l'économie, d'aller seulement au théâtre, et je le regrette beaucoup parce que j'aurais eu beaucoup d'argent ! (rires)

Pouvez-vous nous raconter la genèse du Teatro Petra ?
Ça a commencé à l'école de théâtre, en '83-'84, Marcela Valencia et moi (une grande actrice, qui a joué dans toutes nos pièces) avons décidé de chercher une pièce qu'il nous plairait de mettre-en-scène, mettre-en-scène ce qu'on aimerait voir. On a cherché dans toute la dramaturgie possible, on s'était fixé une limite de 100 œuvres, on a donc lu 100 pièces - à cette époque il n'y avait pas internet. La possibilité de trouver des pièces venues d'ailleurs était très réduite, et tout ce qu'il y avait à la bibliothèque était... - aujourd'hui la bibliothèque de Bogotá est très très... c'est l'une des meilleurs d'Amérique latine, je crois que c'est la meilleure - mais à l'époque, non, et le matériel qu'il y avait n'était pas très contemporain, on ne trouvait que des très vieilles pièces. On a finalement trouvé une pièce d'un auteur vénézuélien, Roman Calvo. J'ai commencé à en faire une adaptation, puis une autre, puis une autre, puis une autre jusqu'à ce qu'il en sorte une pièce qui s'intitule El negro perfecto (Le noir parfait, ndlr). Pour la première pièce, on a répété pendant 18 mois, tous les jours de 6h30 du matin à 13h, je ne mens pas. On avait rendez-vous à 6h30 dans le parc, on faisait des exercices jusqu'à 7h30, ensuite on allait dans la salle de répétition où on faisait des exercices corporels pendant une heure encore et ensuite on répétait. Je ne sais pas comment on ne s'est pas tués.
La pièce - comme toutes mes pièces - durait 3h à la première représentation et 1h40 à la 3ème. Il faut couper. J'écris plus que ce que je dois raconter.

De quoi voulez-vous parler dans vos œuvres ? Y a-t-il un thème récurrent ?
Non, je crois qu'on parle de ce que l'on vit. A une certaine époque, il y avait beaucoup de réflexion autour de l'amour, par exemple. De l'amour, des conflits de couple, mais racontés d'une manière très particulière. On a monté María Es-Tres - il y a un classique du romantisme latino-américain, qui est comme notre Chateaubriand, qui a écrit une pièce intitulée María, et c'est une María absolument romantique, avec une histoire romantique où les femmes sont les objets de l'action, mais pas les sujets. L'idée était donc de prendre cette María et de revenir au personnage féminin en la faisant sujet de l'action et en la faisant parler, pas qu'elle se meure d'amour mais d'ennui, de solitude, de désespoir, de douleur. Grande influence de Heiner Müller, c'était en 1990, on était tous "infectés" de Heiner Müller.
Ensuite vient Amores simultáneos (Amours simultanées, ndlr), qui a été jouée en France quelque part, qui a aussi un rapport avec l'amour, des réflexions sur celui qui attend l'amour parfait, celui qui espère, qui rêve à l'amour parfait.
Ensuite, il y a des œuvres avec un courant très directement lié au contexte. Il y en a une qui s'intitule Cada vez que ladran los perros (Chaque fois que les chiens aboient, ndlr), qui a aussi été jouée en France, mais à un niveau amateur, par des étudiants. Cette pièce par exemple part d'un massacre qui a eu lieu ici - c'est commun qu'il y ait des massacres ici malheureusement - un groupe de paramilitaires est arrivé dans une population rurale, a tué tout le monde, ils en ont attaché certains à leur lit pour les brûler et au final ils ont attrapé les chiens pour les pendre aux arbres. Il y a une phrase colombienne qui dit : " On ne sauve pas même les chiens", quand il y a des choses atroces. Que penserait un chien ? J'ai donc écrit cette pièce, c'est une famille de chiens qui commencent à perdre leurs capacités et à devenir des hommes qui tuent et violent. C'est une pièce qui ne me plaît pas ! (rires) Je n'aime pas ce langage, car c'est un langage trop monotone tout le temps. Il n'y a pas de variation, il lui manque beaucoup d'humour - c'est nécessaire dans ces cas-là. Les acteurs se sont donnés corps et âme. Ils me haïssent quand je dis cela, parce qu'ils se sont beaucoup impliqués. Et c'est la pièce la plus montée, en Colombie ils l'ont montée partout, et je leur dis : "S'il vous plaît, faites-la avec humour, pas avec douleur !", mais ils ne m'écoutent pas, personne ne m'écoute.
Ces dernières années, j'ai écrit quelques pièces sur les enfants. Je ne parle pas pour défendre qui que ce soit, je lance seulement des questions. J'ai donc écrit une pièce pour la Slovénie, montée par le théâtre Mladinsko (en Slovénie) intitulée El vientre de la ballena (Le ventre de la baleine, ndlr). Une habitante du quartier, ici, tombait enceinte tout le temps, et on a découvert qu'ils la payaient 80'000 pesos colombiens (=30$ environ) pour son bébé. C'était un "ventre à louer", cette pratique est très commune, c'est aterrant.
J'avais beaucoup de matière pour écrire cette pièce intitulée Pinocho y Frankenstein le tienen miedo a Harrison Ford (Pinocchio et Frankenstein ont peur de Harrison Ford, ndlr), cela faisait 8 ans que je récoltais de la matière et j'en avais tellement que, quand les Slovènes m'ont appelés, j'ai pris pioché lá-dedans pour écrire El vientre de la ballena.
El vientre de la ballena, c'est l'histoire des mères, de ces "ventres à louer", du marché enfantin. Pinocho... c'est l'histoire des enfants.

Pourquoi avez-vous utilisés des éléments audio-visuels dans la scénographie ?
C'était comme une possibilité de narration. Il y a 10 ans, j'ai testé tous les jeux : vidéo, micro, téléviseur, dans la lignée d'une performance, d'une action plastique. Dès lors, j'ai décidé de ne pas refaire ce genre de spectacle, où la technologie est plus importante que les acteurs et que la narration. La narration m'intéresse beaucoup, ca m'intéresse d'établir des codes de communication avec le public, que les pièces aient une lecture - pas facile, mais possible, qui dépasse le cercle de la troupe - qu'il existe une relation avec le public.
Ici, l'inclusion des vidéos aide à la narration, ca m'évite de m'étendre sur d'autres choses. J'ai exigé que les vidéos soient basiques : une animation plane, deux dimensions, une seule couleur, très très basique.
Quand une vidéo apparaît sur scène, on oublie les acteurs, j'ai donc voulu que ce soit très très subtil, pour ne pas qu'on oublie les acteurs.

Comment avez-vous travaillé pendant les répétitions ?
J'ai toujours les 70%-80% du texte et je l'essaie avec les acteurs, et je commence à couper. Et il y a des choses qui apparaissent avec les acteurs que je rajoute. Il y a certaines de mes œuvres que je n'ai pas essayées avec des acteurs et, pour moi, ce sont des pièces incomplètes. C'est impossible pour moi d'écrire sans acteurs. Je crois profondément en l'écriture sur la scène, c'est là que les choses sont valables. Le théâtre doit "sonner", le théâtre, c'est l'ouïe, il doit y avoir un rythme, une musicalité, une cadence.
Le théâtre appartient aux acteurs.

Pensez-vous que l'artiste de théâtre ait une responsabilité ?
C'est sûr. L'artiste a une responsabilité artistique. Il ne doit pas faire des choses ennuyantes, ni des choses seulement pour lui. Je ne crois pas en cela. C'est comme un acte d'amour : on ne fait pas l'amour tout seul - enfin si, mais ce n'est pas si amusant ! (rires) Il faut penser au public. Ce n'est pas pareil que d'essayer de le satisfaire, c'est autre chose. Moi j'aime offenser, non, pas offenser mais utiliser l'humour, des éléments humoristiques : l'ironie ou l'humour noir. Et l'humour n'est possible que si tu offenses quelqu'un, sinon ca n'a pas de sens. Il ne s'agit pas de sortir et de vomir sur le public, lui balancer de la merde, ça c'est facile. Il faut élaborer, et faire que le public se rie de quelque chose qui ne lui plaît pas, faire qu'il rie d'un massacre par exemple, ou d'un viol.
Le politiquement incorrect est artistiquement attractif. Le correct est simplement "correct".

Pour finir, que pensez-vous que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Mmmmh... plaisir esthétique. Je ne peux pas dire plus. Bien sûr, si à côté du plaisir esthétique vient s'ajouter un point de vue, une question, une information, très bien.
Je crois que le théâtre montre les relations comme elles sont, telles quelles, les relations humaines. Il faut voir du théâtre parce que ce sont des prophéties, des mises-en-garde. Il y a des pièces que tu arrêtes de voir, et ce sont comme des avertissements que tu as arrêté d'écouter, que tu as ratés.
Le théâtre c'est la vie-même, la vie réelle qui représente une vie, qui en apparence est la réelle, puisque c'est la nôtre, mais non, parce qu'on ne dit pas tant de vérités comme le dit le théâtre.

1 commentaire:

bertha díaz a dit…

salut caroline,
C'est vraiment intéressant ton blog, puisque nous pouvons nous donner une idée de l'actuel panorama des arts scéniques de l'Amérique latine.
... En effet, j'ai une question pour toi, comment est née l'idée de faire ce chemin pour le théâtre de la AL? Et comment tu la développes, dans termes plus concrets (voyages, contacts...)
Bisous et du courage!!!