mardi 10 février 2009

Enrique Lozano, dramaturge, Bogotá

Pour commencer, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Bien, je m'appelle Enrique Lozano, je suis dramaturge et je fais aussi de la mise-en-scène. J'ai une compagnie à Cali (Cualquiera Producción, ndlr) avec laquelle j'ai travaillé sur sept pièces. Là je viens de rentrer, cela faisait 5 ans que je vivais hors du pays, donc je suis tout juste en train de me repérer dans le milieu colombien.

Tu vas rester à Bogotá ?
Oui, je vais y rester.

Comment t'es venue l'envie d'écrire pour le théâtre ?
Franchement, c'est un peu par hasard, parce que j'écrivais des romans. Mais je commençais aussi à écrire pour le cinéma. Et dans le processus d'écriture pour le ciné, j'ai vu qu'il y avait un concours, à Cali, pour écrire une pièce de théâtre et j'ai essayé de faire l'expérience de traduire le scénario que j'étais en train d'écrire en langage théâtral. Et cette pièce a gagné un prix, un metteur-en-scène m'a contacté, j'ai donc voulu apprendre plus et je n'ai jamais arrêté d'écrire pour le théâtre depuis.

De quoi veux-tu parler dans tes pièces ? As-tu un thème de prédilection ?
Je crois que ça dépend, et que ça a changé au cours de mon œuvre. Au départ, ça me plaisait beaucoup de travailler sur le local, sur ces personnages de Cali qui, à cette époque, gravitaient dans le milieu des narcotrafiquants. Ma première pièce parle de quatre narcotrafiquants persécutés par le gouvernement qui se font braqueurs de banque. Il s'agissait donc de travailler sur ces personnages qui, à cette époque, perdaient le contrôle de la ville. Mon intérêt était très local.
Plus tard, je pense que quand j'ai quitté la Colombie, cet éloignement de l'environnement dans lequel je baignais a fait que tout a changé. Et je crois que, d'une certaine manière, il y a un thème qui m'a toujours poursuivi, c'est tous ces personnages qui sont en marge de la société, ou de la société légale, comme les narcotrafiquants, pareil les guérilleros. C'est-à-dire les figures qui travaillent dans l'illégalité, qui entourent notre société, et les raisons pour lesquelles ils en sont arrivés là. Je crois que c'est quelque chose qui me hante : qu'est-ce qui fait que j'abandonne la légalité et que je dépasse la frontière pour braquer une banque, défendre un idéal ou pour envoyer 1kg de cocaïne aux États-Unis ? Qu'est-ce qui fait que je mets le pied hors de la légalité ? Je crois que ce thème me hante.
Après, en étant en-dehors, je crois que j'en suis venu à revenir un peu à ma vie personnelle et je crois que c'est par-là que je me dirige en ce moment. Comment était le monde quand j'étais petit, le monde dans lequel j'ai grandi ? Et être là-bas, ça m'a permis de prendre de la distance avec ce contexte que je veux retourner visiter maintenant.

Toutes tes pièces ont été mises-en-scène ?
Non, pas toutes. J'ai eu 10 mises-en-scène, et 5 qui n'ont pas été éditées.

Et toujours à Cali ?
A Cali, principalement, oui. Il y en a une qui est allée à Buenos Aires, et une autre en Australie à Sydney. C'était une lecture dramatique, pas une mise-en-scène.

Que peux-tu nous dire de la dramaturgie colombienne ?
Je crois que c'est une dramaturgie en développement, la dramaturgie colombienne, parce qu'il n'y a pas eu une tradition théâtrale comme celle qu'il y a en Argentine ou au Mexique. Ici c'est beaucoup plus récent et notre dramaturgie est encore liée à une génération qui, aujourd'hui - ses représentants sont en train de se retirer ou de mourir comme Enrique Buenaventura. C'était une génération qui était très liée au théâtre politique, au théâtre engagé à gauche. Il y a le Teatro de la Candelaria ici à Bogotá par exemple. Je pense que cette génération a encore beaucoup d'influence, que ce soit par association ou par contradiction pour les auteurs d'aujourd'hui.
Je ne sais pas vraiment, parce que la Colombie est un pays très divers, la Colombie est un pays de régions très très isolées les unes des autres. Je ne pourrais donc pas faire un diagnostique de la dramaturgie colombienne en général. Mais je sais qu'il y a une génération de dramaturge comme Santiago García, Enrique Buenaventura, Gilberto Martinez à Medellín qui ont éduqué les générations postérieures. Je crois que ma génération est une génération qu'on pourrait considérer comme déjà en-dehors de l'orbite de leur influence. Je crois que ma génération est la première qui n'ait plus réellement de dette aussi directe envers ces grands maîtres.
Je pourrais parler de Cali. Il me semble qu'à Cali aujourd'hui, il y a beaucoup de jeunes dramaturges, et le problème, c'est qu'il y a plus de dramaturges que de compagnies, il me semble. Il y a beaucoup de gens qui écrivent, mais il y a très peu de possibilités de mettre-en-scène ce qui s'écrit. C'est dû au fait qu'il y ait trois écoles de théâtre pour une ville qui n'est pas si grande, il y a deux millions d'habitants à Cali. Mais il me semble que c'est quelque chose de positif et que c'est quelque chose qui va changer, qui est en train de se développer. Le fait qu'il y ait trois écoles va permettre qu'il y ait plus de compagnies stables, à long terme.

Penses-tu que le dramaturge ait une responsabilité ?
Oui, je crois que le dramaturge a beaucoup de responsabilités. La première avec son travail, son métier. Il me semble que, dans un milieu comme le nôtre, où il n'existe pas de formation dramaturgique académique, notre première responsabilité en tant que dramaturge dans ce pays, c'est de former, d'apprendre le métier. Parce que c'est quelque chose qui s'est toujours fait à l'intérieur des compagnies, par exemple la génération de Santiago García et Enrique Buenaventura, ils se sont formés avec leur troupe de théâtre. Aujourd'hui, il me semble qu'il y a plus de possibilités de chercher une formation académique, ici ou ailleurs.
Il me semble donc que la première responsabilité du dramaturge c'est de se former dans son métier. Puis vient la responsabilité sociale, il me semble que le dramaturge en a une, aussi. Mais que c'est une responsabilité sociale différente de celle qu'on trouve dans le théâtre politique traditionnel. Ce n'est pas que je vais changer le monde avec mes écrits, mais que... - pour moi la responsabilité réside dans le fait qu'il y a quelque chose que je veux dire du monde, et ma responsabilité, c'est de le dire.

Pour finir, que penses-tu que le théâtre puisse apporter aux gens ?
Je pense que ca dépend des gens. En ce qui me concerne, je serais content... ou plutôt, il y a quelque chose qui me plaît beaucoup dans le fait de faire du théâtre en Colombie, c'est de montrer au public qu'il est possible de faire du théâtre en Colombie. (rires)

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